Entretien avec avec l'ex-agent du DRS, Karim Moulai, déballe tout à Libération : Révélations sur de multiples assassinats et sur l’attentat de l’hôtel Atlas Asni (5)


PROPOS RECUEILLIS PAR JAMAL HAFSI
Mardi 7 Septembre 2010

Karim Moulai
qui dit avoir pris contact,
dès son arrivée
en Grande-Bretagne, avec
le MAOL
et avec le Mouvement
Rachad déclare
ne plus se sentir
en sécurité.
Menacé
de mort
en 2008, il redoute
d'être éliminé après les
révélations
qu'il a faites.   

Libé: Voulez-vous nous dire par là que vous aviez depuis votre arrivée en Grande-Bretagne décidé de divulguer ce que vous saviez sur les coups tordus  du DRS ? 

Karim Moulai: Effectivement, j'avais décidé, dès après mon installation en Grande-Bretagne, de divulguer ce que je savais sur les pratiques mafieuses de certains officiers du DRS. Aussi, mes contacts avec le MAOL, en la personne de l'officier Haroun, rentraient dans ce cadre.
Haroun était la personne, déléguée par le MAOL, que je voyais et à qui j'avais fourni des éléments concernant les exactions du DRS. Concernant son nom, il n'en fournissait aucun à cette époque. Et cette précaution me paraissait normale. C'est par la suite que j'ai appris par mes propres moyens qu'il s'appelait Haroun.  
Mes contacts, amorcés en 2007, avec le Mouvement Rachad ont pour leur part été facilités par l'ex-diplomate algérien Mohamed Larbi Zitout que j'ai connu dans le courant de la même année. À ce mouvement j'ai également apporté mon témoignage au titre de ma dénonciation des procédés auxquels recourait le DRS.

A la lumière des révélations que vous nous avez faites, y a-t-il lieu de conclure que le DRS est totalement gangréné ?  

Non, justement !...Et heureusement. Au sein du DRS il y a une nouvelle génération d'officiers intègres et de valeur ; de vrais patriotes qui font leur travail avec dévouement et sans verser dans les pratiques que j'ai égrenées tout au long de cet entretien. Ils sont pour la plupart bardés de diplômes, lauréats de grandes universités et écoles, ce qui n'est pas le cas de la génération aux commandes. Je tiens à signaler aussi qu'un mouvement de gronde, quand bien même encore timide, commence à être perçu au sein du DRS et que ce sont ces officiers qui en sont derrière.
Quand des citoyens innocents sont rackettés ou assassinés, quand des vies sont brisées, quand des femmes sont violées…par les éléments d'un département qui est censé assurer la sécurité du pays, on ne peut éternellement laisser faire.       

Un personnage central est souvent revenu dans toutes les déclarations que vous avez faites : Abdelkader. Pourquoi particulièrement lui ?

Particulièrement lui, parce qu'avant tout c'était mon recruteur et mon officier traitant. Cela dit, si je l'ai souvent évoqué tout au long de mes déclarations, c'est aussi parce que j'ai été témoin oculaire parfois partie prenante dans des opérations commanditées ou supervisées directement par lui et qui font l'essentiel des preuves qui étayent mes propos. Encore que je n'ai divulgué jusque-là qu'une partie des coups tordus signés Abdelkader et le groupe d'officiers qui composent son équipe.

Pouvez-vous nous citer les noms de quelques-uns de ces officiers ?

Il y avait bien évidemment Tazir Mounir dont l'épouse Jamila est une journaliste à la télévision algérienne, Hassane Messaoudi également marié à une journaliste, Nadia, de la télévision algérienne, Elyass Moussaoui marié aussi à une journaliste, Salma, officiant à la télévision algérienne et Hamid Amalou. Et si j'ai cité certaines des épouses, c'est juste pour mettre en évidence ce que je vous disais toute à l'heure à propos des accointances entre journalistes et DRS.   
 
Outre les assassinats perpétrés par cette équipe, de quelle nature étaient  les autres coups tordus dont ils étaient, selon vous, les auteurs ?

Racketter des citoyens par exemple en leur adressant des menaces de mort au nom de groupes terroristes islamistes. Et à ce titre, je citerai cet exemple : la propriétaire d'un groupe scolaire, que je connaissais, avait reçu une menace de mort censée lui avoir été adressée par des  terroristes. Aussi, lui était-il demandé de payer 50 millions de centimes si elle voulait être épargnée. Sachant que je la connaissais, Tazir Mounir, alias Zoubir, l'un des officiers du groupe, me demanda alors de passer la voir, question de lui dire bonjour. En fait, il devinait qu'elle allait me parler de cette menace, dont il était derrière. Ce qu'elle a effectivement fait. Après quoi, Mounir lui conseillera  gentiment mais avec quelque insistance de payer les 50 millions, arguant que c'était là la seule solution pour échapper à la menace des terroristes qui pesait sur elle. Ne se doutant de rien, la propriétaire a fini par payer la somme qui, comme vous le devinez, est allée atterrir dans les poches de Mounir. Aussi, des « opérations » de ce genre étaient monnaie courante.

Est-ce qu'il est arrivé que les services de sécurité algériens aient cherché à vous contacter depuis que vous êtes en Grande-Bretagne ?

Oui, ils l'ont fait. Quelqu'un est venu me dire que l'ambassade souhaite me parler au sujet d'une affaire familiale, j'avais compris que c'était en rapport avec ma fille et mon ex-épouse. J’y suis allé et y ai rencontré le dénommé Hadj Khlili, le responsable de la sécurité au sein de l'amabassade, lequel m'a demandé de reprendre du service et d'espionner le Mouvement Rachad. En contre-partie de quoi, il m'avait promis de me délivrer un passeport sous une fausse identité, ce qui me permettrait d'aller en Algérie, de prendre en charge un certain nombre de choses et enfin me désigner, une fois ma mission terminée, au poste de chargé de l'information à l'ambassade d'Algérie à Londres avec un salaire net de 4500 livres sterling par mois.  
J'ai refusé bien évidemment et j'ai informé le Mouvement Rachad de la proposition qui m'a été faite par l'ambassade d'Algérie ; information qui a été transmise par Mohamed Larbi Zitout que j'ai rencontré à l'hôtel Hilton sur Edward road.
  
Quelle a été alors la réaction de l'ambassade d'Algérie ?

Ils m'ont menacé de mort. Les menaces que j'avais pris le soin d'enregistrer ont alors été transmises à la police britannique, laquelle m'a alors expliqué que les services de renseignements étaient mieux indiqués pour traiter cette affaire avec plus de célérité. Un rendez-vous fut alors pris avec des agents des services de renseignements dans un hôtel et promesse m'a été faite de veiller à ma protection.
            
Avez-vous toujours bénéficié durant votre séjour en Grande-Bretagne d'une protection de la police britannique ?  

Oui, la police britannique m'a toujours fait bénéficier de sa protection et cela dure jusqu'à ce jour. Cependant, et après les révélations que je viens de rendre publiques, je pense ne plus être en sécurité ici. Aujourd'hui, j'ai l'intime conviction que le DRS tentera tout pour m'éliminer. Une conviction que confortent des informations qui me sont parvenues sur les intentions de ce département.
De par ma formation aux techniques du pistage, j'ai déjà pu remarquer à ma sortie des locaux londoniens de la chaîne El Hiwar, au moment où un chauffeur de la chaîne allait me déposer quelque part à Londres, qu'il y avait des éléments du DRS qui me suivaient. J'ai dû recourir à une diversion à la station Victoria pour les semer. Il est évident qu'ils ne faisaient que me suivre et qu'ils ne voulaient pas me descendre à ce moment.   

Depuis, avez-vous pris des mesures de sécurité particulières ?

Il faut dire que j'ai pris depuis longtemps quelques dispositions dans ce sens. L'immeuble où j'habite compte 13 issues par où je peux sortir. J'en change tout le temps et je ne sors ou ne rentre par la porte principale que lorsque le concierge est là. Outre cela,  mon duplexe est équipé de caméras de surveillance. Néanmoins, il est entendu que tout cela n'arrêtera pas les sbires du DRS si celui-ci décide de passer à l'acte. Et cela est d'autant plus probable que les révélations que j'ai faites  ont sérieusement secoué le haut de la pyramide du DRS.
Je ne dors pour ainsi dire plus et je suis constamment sur le qui-vive.

Une dernière question : certains vous accusent de rouler pour le compte du clan du président Bouteflika en avançant que les accusations portées contre le général Toufik servent ce clan. Vous répondez quoi ?

Je ne roule pas plus pour le clan de Bouteflika que pour celui d'un autre. Je roule pour le clan de l'Algérie. J'ai très clairement dénoncé la corruption et les abus du clan du président.

Un dernier mot ?

En libérant ma conscience, je me sens soulagé…mais j'ai peur.


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