Entretien avec Martine Aubry, Première secrétaire du PS : “Au Maroc, la réforme constitutionnelle doit rentrer en pratique”


Entretien réalisé par Narjis Rerhaye
Lundi 12 Mars 2012

Entretien avec Martine Aubry, Première secrétaire du PS : “Au Maroc, la réforme constitutionnelle doit rentrer en pratique”
En rencontrant samedi 10 mars  la Première secrétaire du PS, Abelilah Benkirane, le chef de gouvernement et leader du parti islamiste au pouvoir, lui a dit à peu près ceci : «Je ne parle pas des femmes pour que vous croyiez que je soutiens les femmes». Martine Aubry en est profondément convaincue : «Le Maroc regorge de talents et de fortes personnalités féminines qui doivent trouver leur place, essentielle pour poursuivre la démocratie et le développement au Maroc».
C’est dire si les socialistes français, en campagne pour revenir aux affaires, sont très attentifs à ce qui se passe au Maroc. «Il faut maintenant que cette réforme constitutionnelle rentre en pratique. Je pense à des réformes qui me tiennent beaucoup à cœur : l’indépendance de la justice, la régionalisation qui est essentielle pour un développement équilibré du Royaume, la parité vers laquelle le Maroc doit tendre. Des engagements ont été pris auprès du peuple, il faut qu’ils soient tenus», affirme celle qui est également maire de Lille dans un entretien accordé à «Libération».
Le voyage marocain de la Première secrétaire du PS est d’abord et avant tout une somme de rencontres. Martine Aubry, qui représentait ici François Hollande, le candidat socialiste aux présidentielles, a rencontré les Usfpéistes, bien sûr, mais aussi les jeunes du Mouvement du 20 février, les femmes, les Français du Maroc  avant d’être reçue en audience Royale. Des constantes ont été réitérées, des espoirs formulés et des vœux d’avenir commun ont été émis. Sur la question du Sahara par exemple, la leader socialiste a redit le soutien de sa famille politique à la proposition marocaine d’autonomie, une proposition, dit-elle, qui va vers le sens de l’avenir.
Au Maroc, la leader a expliqué, éclairci, précisé les positions mais aussi les propositions du Parti socialiste français. Dans une campagne présidentielle où s’est invitée la surenchère, le PS a su raison garder, mettant le développement, les rapports à l’autre, y compris quand il est étranger, la condition humaine et le rôle  de la France dans le monde au cœur de ses propositions. Pas question de surenchérir sur l’ouverture d’une usine Renault à Tanger. Martine Aubry préfère parler de production « low cost » tout en mettant le doigt sur l’absence de politique d’industrialisation de l’actuel gouvernement sortant. «Le Maroc a le droit et peut-être même le devoir de se développer. Nous avons, nous, le même devoir de maintenir une politique d’industrialisation en France. Ce que nous avons critiqué, c’est l’absence de politique d’industrialisation de la part du gouvernement français. Il n’y a pas de politique de la filière de l’automobile qui va des sous-traitances jusqu’aux grands constructeurs automobiles. Nous pensons que nous devons avoir entre l’Europe et le Maghreb une organisation de la production qui soit un partage de la valeur ajoutée, avec des multi-localisations qui se pensent à l’avance », explique la responsable politique.
En matière de politique d’immigration, la vision du PS ne souffre pas la moindre ambiguïté : l’objectif affiché de passer de 180.000 à 100.000 n’a aucune chance de rentrer dans la réalité, soutient Mme Aubry qui en appelle aussi à une rénovation de l’Union pour la Méditerranée, «aujourd’hui confisquée par le président de la république sortant».
Rénovation encore et toujours pour celle qui a réussi à rénover un PS usé et divisé. «Si nous avons pu le faire, l’USFP le pourra aussi», assure Martine Aubry. «Avec l’USFP, nous avons décidé de mettre en place un groupe de travail commun, pas seulement pour la rénovation mais aussi pour que nous travaillions sur des thèmes  en commun qui peuvent nous permettre ensuite d’être des acteurs majeurs de la coopération entre l’Europe et la Méditerranée», conclut-elle. 



Libération : Vous avez rencontré Abdelilah Benkirane, le chef de gouvernement. Que peut dire la femme de gauche que vous êtes au  leader du parti islamiste au pouvoir ? D’autant que lors de votre rencontre avec les socialistes marocains vous avez beaucoup parlé de vigilance…

Martine Aubry : La première chose à dire quand on est de gauche et que la démocratie a parlé, c’est qu’il faut respecter la démocratie. Le Printemps arabe a pris ici la forme du Mouvement du 20 février. Le Roi a prononcé dès le 9 mars 2011 un discours qui a annoncé une profonde modification de la Constitution qui a été approuvée par le peuple marocain. Il faut maintenant que cette réforme constitutionnelle rentre en pratique. Je pense à des réformes essentielles : l’indépendance de la justice, l’éducation et la priorité donnée à la jeunesse, la régionalisation qui est essentielle pour un développement équilibré du Royaume, la parité vers laquelle le Maroc doit tendre comme  d’ailleurs  tous les pays.
 Des engagements ont été pris auprès du peuple. Il faut qu’ils soient tenus. Le PJD  de M. Benkirane tout comme l’USFP qui est aujourd’hui dans l’opposition, ont fait campagne sur la justice, l’accès à l’éducation, l’accès à la santé, la lutte contre la corruption…. Avec le chef de gouvernement, nous avons parlé de tout cela, mais aussi de la  manière d’accorder l’attention la plus grande vers ceux qui sont les plus démunis. Nous avons également discuté de la situation économique du Maroc et échangé sur l’approfondissement nécessaire de la coopération entre la France et le Maroc, mais aussi entre l’Europe et l’Union pour la Méditerranée.


Avez-vous parlé d’égalité avec M. Benkirane ? Au cours de votre séjour, vous avez rencontré les femmes de ce pays. Avez-vous perçu de l’inquiétude chez les Marocaines ?

Nous avons en effet parlé des femmes. Le chef du gouvernement a lui-même abordé cette situation. Ma conviction profonde est que le Maroc regorge de talents et de fortes personnalités féminines qui doivent trouver leur place, essentielle pour poursuivre la démocratie et le développement au Maroc. Le passage de sept à une femme au gouvernement a suscité beaucoup d’inquiétudes, j’en ai parlé avec les femmes de la société civile samedi midi.

Vous avez été à la rencontre des jeunes du Mouvement du 20 février. Que retiendrez-vous de leurs revendications ? Et que retenez-vous aussi de la transition marocaine. Ici, on a plus tendance à parler d’évolution plutôt que de révolution?  

Les jeunes Marocains, comme les jeunes Tunisiens, Libyens, Egyptiens, Yéménites nous ont montré que l’on pouvait revendiquer dans le calme même si, en face, la répression peut être excessivement douloureuse  comme c’est le cas en Syrie. Je pense que ces jeunes se sont levés à la fois pour parler des droits de tous- dont la  liberté- mais aussi de ces sociétés qui ne laissent plus sa place à la jeunesse, l’accès à l’éducation, à l’emploi, à une vie normale. Leur mouvement a été assez exemplaire. Il entraîne chez moi une grande admiration. C’est un courage et une forme de contestation qui inspirent le respect.

En matière de politique étrangère, quelle sera la position du Parti socialiste français, une fois au pouvoir, concernant la question du Sahara et la proposition marocaine d’autonomie ?

La France, que ce soit le gouvernement actuel, ou le Parti socialiste, a la même position. Nous considérons que  la proposition d’autonomie renforcée est la  solution vers laquelle il faut avancer et travailler au sein de l’ONU. Le Maroc va aller vers une régionalisation et propose un statut qui va plus loin pour le Sahara occidental.

L’ouverture d’une usine de Renault à Tanger s’est invitée à la campagne présidentielle française. Qu’en disent les socialistes français ? Est-ce que vous parlez  de délocalisation ou de production « low cost » ?

La direction de Renault elle-même  parle de production low cost. Quant à moi, je dis les choses simplement. Le Maroc a le droit et même le devoir de se développer. Nous avons, nous, le même devoir de maintenir une politique d’industrialisation en France. Ce que nous avons critiqué, c’est l’absence de politique industrielle de la part du gouvernement français notamment dans la filière automobile, des sous-traitants jusqu’aux grands constructeurs. Nous pensons que nous devons avoir entre l’Europe et le Maghreb une organisation de la production qui soit un partage de la valeur ajoutée, avec des multi-localisations qui se pensent à l’avance. C’est ce qu’ont  fait ensemble l’Allemagne et les ex-pays de l’Est. C’est une coopération d’égal à égal que nous voulons développer, qui seule peut donner des résultats gagnant-gagnant. Donc de la coopération, de l’anticipation, de la réflexion.
 
Vous évoquez la question de la coopération et justement à quel partenariat euro-méditerranéen appelez-vous ? Et par rapport à  l’Union pour la Méditerranée que vous semblez vivre comme une coquille vide, une sorte de caprice présidentiel, que deviendra-t-elle si le PS remporte les présidentielles le 6 mai prochain ?

Nous considérons  que l’Union pour un Maghreb arabe est un élément majeur, une étape vers une véritable union entre l’Europe et les pays de la Méditerranée. Une telle union, nous la voulons large aussi bien du côté européen que de celui de la Méditerranée. C’est ce qui se passe aujourd’hui en Amérique avec l'ALENA et le MERCOSUR et en Asie avec l'ASEAN.
Nous pensons que nous avons un avenir commun sur le développement économique, sur la politique énergétique, sur le développement des transports, sur la place de la jeunesse, sur la mobilité des compétences. Aujourd’hui, l’Union pour la Méditerranée a été un peu confisquée par le Président de la République française qui a exclu certains pays européens et qui a engagé le processeur de MM.Kaddhafi, Ben Ali et Moubarak. Ce qui n’était pas exactement le bon moyen de démarrer !
Nous pensons qu’il faut garder le secrétariat général qui existe à Barcelone et qui est d’ailleurs présidé, pour la deuxième fois, par un Marocain. Il faut maintenant rentrer dans les actes. Il faut arrêter de parler, il faut faire. Il s’agit en même temps d’élargir le processus  et de commencer à agir. Je pense par exemple à la politique énergétique. Plusieurs projets sont sur la table : le développement du solaire et de l’éolien, la politique de l’eau -avec un premier projet précis, la dessalisation de l’eau  en Palestine-, la politique d’éducation  et de formation. Voici des sujets qui pourraient nous permettre d’avancer vraiment.

 Au cours de ce voyage marocain, vous représentez François Hollande, le candidat socialiste aux présidentielles. Je voudrais que l’on évoque la politique d’immigration. Récemment le président candidat, Nicolas Sarkozy, s’était prononcé en faveur de la réduction de moitié du quota des nouveaux arrivants légaux en France. Quelle sera la politique d’immigration du Parti socialiste s’il accède au pouvoir ?

Quoi qu’il ait dit ou fait voter comme lois –il y en a eu 11 en cinq ans sur l’immigration- il y a toujours 180.000 entrées par an sur le territoire français. Autant dire que l’objectif affiché de passer de 180.000 à 100.000 n’a aucune chance de rentrer dans la réalité. Par exemple, lorsque le président sortant nous parle de non automaticité quand un Français se marie avec un étranger et que ce dernier veut résider  en France, il est en contradiction avec la Constitution qui parle du droit de vivre en famille, avec la convention européenne des droits de l’Homme et avec beaucoup de directives européennes.
Il n’est pas question pour nous d’aller dans ce sens. Nous pensons que la politique d’immigration doit se situer à un autre niveau, et d’abord celui de la coopération. Les étrangers qui entrent légalement sur notre territoire doivent pouvoir bénéficier de cartes de séjour progressives, d’une durée d’un an, trois ans, dix ans, au fur et à mesure de leur intégration. Il doit y avoir des possibilités d’allers-retours avec les pays d’origine ; c’est ce que soutient François Hollande. Nous abrogerons bien sûr la circulaire Guéant sur les étudiants. Nous devons faciliter la circulation des jeunes, des universitaires, des chefs d’entreprises.
C’est comme cela que les rapports entre la France et le Maroc seront encore plus grands. Je suis toujours malheureuse de voir ces jeunes qui viennent du Maroc, du Maghreb, d’Afrique Noire aller faire leurs études aux Etats-Unis ou au Canada. Si nous voulons demain créer le développement économique ensemble, il faut que nous continuions à garder cet élément commun. Je fais cette proposition complémentaire, celle d’aller vers un Erasmus francophone dont pourront bénéficier les étudiants dès lors qu’ils sont originaires d’un pays francophone. C’est une des forces du Maroc et notamment de sa jeunesse que d’avoir un trilinguisme.
Enfin, François Hollande défend une régularisation sur critères –comme nous l’avons déjà fait- et qui prend en compte la durée de séjour sur le territoire et les facteurs d’intégration.

 L’USFP est dans l’opposition après 15 années passées au pouvoir. Le PS français a bien connu lui aussi l’usure du pouvoir. Pensez-vous que les socialistes marocains pourront se rénover, vous qui avez été la championne de la rénovation du Parti socialiste ?

Si on a réussi, ils réussiront ! Nous sommes partis d’une situation qui n’était pas brillante, liée sans doute à une insuffisance de réflexion sur la société, sur les besoins de la population, sur les nouveaux défis du monde, sur les réponses à apporter. Et nous étions divisés. Que de chemin parcouru depuis!
 Avec l’USFP, nous avons décidé de mettre en place un groupe de travail commun, pas seulement pour la rénovation mais aussi pour que nous travaillions sur des sujets qui peuvent nous permettre ensuite d’être des acteurs majeurs de la coopération entre l’Europe et la Méditerranée. Les responsables de l’USFP m’ont expliqué leur choix de l’opposition pour garder leur identité, travailler un projet pour le Maroc et préparer une prochaine alternative. Si nous pouvons y contribuer à notre modeste part, c'est-à-dire en portant ensemble des projets, nous en serons les acteurs avec grand plaisir.

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