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Deux innovations, une vision commune
L’idée d’utiliser un «nez électronique» pour détecter des maladies par leurs signatures olfactives aurait pu relever de la science-fiction. Pourtant, Sensebiotek, dirigée par Dr Nabil Moumane, en a fait une réalité scientifique. Ce dispositif médical novateur repose sur une observation biologique fascinante : lorsque le corps humain est affecté par une maladie, ses métabolismes et réactions immunitaires modifient les composés volatils qu’il émet, altérant ainsi son odeur naturelle.
«Quand une maladie entre dans notre corps, notre odeur change du fait des réactions immunitaires internes», explique Dr Moumane avec passion. Cette innovation pourrait révolutionner le diagnostic dans des domaines aussi variés que l’oncologie, les maladies infectieuses ou les troubles métaboliques. À l’ère où la détection précoce est essentielle pour améliorer les taux de survie et réduire les coûts de traitement, le potentiel d’un tel dispositif est immense. Imaginez un outil capable de dépister des cancers ou des infections graves avant même l’apparition des symptômes cliniques. Cette avancée non invasive offre des perspectives inédites pour les systèmes de santé.
Deep Echo, quant à elle, s’inscrit dans une logique d’automatisation et de simplification des examens échographiques, essentiels dans le suivi prénatal. Son fondateur, le radiologue Saad Slimani, a conçu une technologie basée sur l’intelligence artificielle qui analyse en temps réel les images échographiques pour évaluer la santé fœtale. «Cet outil est une avancée majeure, à la fois pour la formation des jeunes médecins internes et pour alléger le travail des praticiens expérimentés», explique Dr Slimani. «Ce système, adaptable à différents niveaux d’expertise, peut s’avérer particulièrement utile dans des contextes où les ressources médicales spécialisées sont rares», ajoute le fondateur de Deep Echo, avant de rappeler que «si le siège de la start-up est aux États-Unis, son activité opérationnelle est bel et bien au Maroc», le but, selon lui, étant de capter les opportunités offertes par les marchés internationaux tout en contribuant au développement d’un écosystème local.
Défis persistants d’un écosystème en construction
L’émergence de Sensebiotek, Deep Echo et d’autres start-ups technologiques illustre une tendance plus vaste où le Maroc s’impose progressivement comme l’un des pôles d’innovation les plus dynamiques en Afrique. Ce mouvement est le fruit d’un écosystème entrepreneurial encore jeune, mais en pleine expansion, porté par une jeunesse inventive, dynamique et résolument tournée vers le digital. Si le nombre exact de start-ups actives au Maroc reste difficile à évaluer en raison de l’absence de statistiques précises, les experts s’accordent à reconnaître une croissance soutenue, visible dans les principaux hubs économiques et technologiques du pays.
Certains secteurs, comme la fintech, l’agritech et la santé numérique, se distinguent particulièrement. La fintech, par exemple, joue un rôle clé dans l’inclusion financière, une problématique majeure au Maroc et sur le continent africain. De leur côté, les innovations en agritech, souvent issues des laboratoires de l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) à Benguerir, visent à transformer des pratiques agricoles traditionnelles grâce à des solutions modernes et durables. L’UM6P n’est pas seulement un centre de formation d’innovateurs capables de repenser les pratiques agricoles : c’est un véritable laboratoire d’idées où se croisent des chercheurs, des entrepreneurs et des investisseurs, tous animés par une volonté de résoudre les défis locaux avec une approche globale.
À Casablanca, cœur économique du pays, les incubateurs fleurissent, attirant des talents à la recherche d’accompagnement et d’opportunités. Ces structures offrent bien plus que des espaces de travail, elles constituent un environnement propice à l’expérimentation, à la collaboration et à l’échange.
Cependant, le chemin reste semé d’embûches, malgré ce tableau prometteur. Si l’écosystème entrepreneurial marocain a connu des avancées significatives, il reste entravé par des processus longs et parfois rigides qui freinent son plein épanouissement. Les start-ups marocaines évoluent dans un environnement où la souplesse, pourtant cruciale dans le domaine des nouvelles technologies, se heurte à des processus longs et contraignants.
L’un des premiers défis concerne le système d’incubation. Bien qu’ils jouent un rôle crucial dans l’émergence des start-ups, ces programmes sont souvent conçus pour des cycles limités à six mois, une durée qui s’avère insuffisante pour transformer une idée innovante en une entreprise viable. La recherche de financement, qui suit généralement cette étape, est un vrai parcours du combattant. Les procédures complexes, associées à des décaissements effectués en plusieurs tranches, rallongent les délais et réduisent la capacité des entrepreneurs à se concentrer pleinement sur le développement de leurs produits ou services. Ce manque de flexibilité décourage les entrepreneurs les plus ambitieux, freine l’éclosion des innovations et fait perdre aux start-ups leur avantage concurrentiel dans un monde où l’agilité est essentielle pour survivre.
Bien que plusieurs fonds de financement aient été créés ces dernières années pour soutenir les start-ups, les investissements restent limités en volume et en portée. Les investisseurs privés, qu’ils soient locaux ou étrangers, hésitent, quant à eux, à s’engager pleinement. Souvent en raison d’un manque de visibilité sur la viabilité des projets à long terme. Dans le monde des affaires, pour attirer des capitaux et s’ouvrir à des marchés internationaux, les start-ups doivent non seulement prouver leur potentiel, mais surtout leur viabilité, un exercice périlleux pour des structures encore jeunes et fragiles.
Enfin, le manque d’interconnexion entre les différents acteurs de l’écosystème constitue un frein majeur. Les synergies entre les start-ups, les grandes entreprises, les universités et les organismes publics restent trop faibles pour générer un impact systémique. Cette fragmentation limite les opportunités de collaboration et réduit l’efficacité des initiatives visant à accélérer l’innovation. En l’absence d’une stratégie cohérente et coordonnée, les efforts individuels, bien que remarquables, peinent à se transformer en un mouvement collectif capable de rivaliser avec les grandes nations technologiques.
Un potentiel inexploité
Le CES 2025 a offert aux start-ups marocaines une opportunité inestimable pour mettre en lumière leur ingéniosité et leur savoir-faire. Dans ce temple de l’innovation mondiale, les technologies présentées par Sensebiotek et Deep Echo n’ont pas seulement attiré l’attention des visiteurs, elles ont suscité l’intérêt d’investisseurs internationaux, ouvrant la voie à des collaborations stratégiques. Cependant, un événement, aussi prestigieux soit-il, ne suffit pas à bâtir une trajectoire durable. Pour que cette participation au CES ne soit pas une exception, mais bien le début d’un mouvement structuré, le Maroc doit adopter une approche systémique et pérenne.
Naoufal Lamrisse, expert en écosystèmes technologiques, souligne l’importance d’un cadre d’accompagnement robuste et cohérent. Selon lui, «les succès individuels de start-ups comme Sensebiotek et Deep Echo doivent devenir le socle d’une dynamique collective capable de repositionner le Maroc sur la carte mondiale de l’innovation». «Pour transformer ces succès individuels en une dynamique collective, plusieurs leviers sont à actionner», estime Naoufal Lamrisse. «L’Etat, en collaboration avec les acteurs privés, devrait simplifier les processus administratifs pour les start-ups, offrir des incitations fiscales aux investisseurs étrangers et améliorer le système d’incubation en introduisant plus de flexibilité et de personnalisation dans l’accompagnement des jeunes entreprises», explique le spécialiste qui insiste également sur l’importance de la formation : «l’instauration de programmes dédiés à l’entrepreneuriat technologique permettrait d’élargir considérablement le vivier de talents locaux», précise-t-il. Et d’ajouter: «Ces formations ne doivent pas seulement préparer les jeunes à maîtriser les outils technologiques; elles doivent aussi leur apprendre à naviguer dans les environnements complexes de l’innovation mondiale. Cela inclut le développement de compétences en gestion, en marketing, mais aussi en négociation, essentielles pour attirer des investisseurs et établir des partenariats stratégiques».
Pour Naoufal Lamrisse, «le Maroc, à travers des initiatives comme celles de Sensebiotek et Deep Echo, prouve qu’il dispose de la créativité et des talents nécessaires pour jouer un rôle central dans l’innovation, non seulement en Afrique, mais aussi sur la scène mondiale».
L’expert souligne que «le pays, malgré ses défis, a toutes les cartes en main pour devenir un acteur majeur de l’innovation technologique, à condition de surmonter les obstacles structurels». «Le Maroc est prêt. Les ressources humaines, le potentiel, les idées et l’énergie sont là. Ce qui manque, c’est un cadre flexible et coordonné pour permettre à ces ressources de s’exprimer pleinement. Si cette transition est opérée avec détermination, le pays ne se contentera pas de contribuer à l’innovation africaine, il en deviendra un leader incontesté», conclut-il avec optimisme.
Mehdi Ouassat