Enabel décline le bilan de son “Empowerment juridique”: Un guide des droits et obligations des migrants, demandeurs d’ asile et réfugiés au Maroc


Hassan Bentaleb
Mardi 25 Octobre 2022

​Quel impact ? Quelles finalité ou pertinence ?

«L’ é l a b o r a t i o n d’un «guide des droits et obligations des migrants, demandeurs d’asile et réfugiés au Maroc» et de fiches d’information, l’accompagnement de 2.197 migrants, réfugiés et demandeurs d’asile dans leur accès aux droits, l’organisation de 36 formations et ateliers au profit des différentes parties prenantes dans l’accès aux droits des personnes migrantes, l’appui à la création et la mise en réseau des acteurs travaillant dans la thématique migratoire, l’appui à la création d’un réseau national de cliniques juridiques universitaires marocaines, l’appui au travail en réseau d’avocats spécialisés dans le droit des étrangers et le renforcement des réseaux locaux de coordination», tel est le bilan du projet «Empowerment juridique des personnes migrantes » présenté jeudi à Rabat par Enable. Lancé entre novembre 2018 et octobre 2022, ce projet avait pour objectif de renforcer l'accès aux droits des migrants, demandeurs d'asile et réfugiés au Maroc en consolidant les connaissances sur les droits de ces populations, en favorisant le travail en réseau et la coordination entre les différents types d'acteurs. Si l’idée de ce projet est louable, il reste qu’un bon nombre d’acteurs associatifs et institutionnels demeurent partagés sur l’intérêt et l’impact de cette initiative.

Lutte contre l’analphabétisme juridique
Pour le camp des partisans de ce projet, ce plan est d’une importance capitale puisqu’il vise à assurer, à la fois, la compilation et la diffusion de l’information juridique relative aux droits des migrant(e)s, réfugié(e)s et demandeur(se)s d’asile et à garantir des actions de renforcement des compétences des acteurs pouvant faciliter l’accès aux droits des personnes (avocats, étudiants en droit, associations, personnel de justice) sans parler de l’appui à la production de données sur la thématique. « Nous soutenons fortement cette initiative notamment au sein de l’administration et auprès des agents de l’Etat chargés d’appliquer la loi. En effet, les textes juridiques existent mais ils sont souvent ignorés ou mal interprétés par les fonctionnaires», nous a indiqué une source du ministère de la Justice qui a sollicité l’anonymat. Et de poursuivre: «Nous pouvons dire qu’il y a une sorte d’analphabétisme juridique qui touche un bon nombre de fonctionnaires et qui provoque des malentendus et des différends entre l’administration et ses usagers issus de la migration. Parfois, cette méconnaissance pour ne pas dire ignorance est responsable d’abus de pouvoir et de privation de droits». Notre source nous a expliqué que l’élaboration d’un guide englobant des textes de lois clairs et précis pourra contribuer à dissiper les incompréhensions et les doutes concernant tel ou tel sujet de droit. Les formations, elles aussi, contribueront, toujours selon notre source, à informer et à sensibiliser les administrations à propos des textes et des conventions internationales existants. «Tout cela contribuera certainement à créer une sorte d’accumulation d’expériences et de savoir dont l’effet sera positif sur la relation entre l’administration et la personne migrante», a indiqué notre interlocuteur. Et de conclure : «Il faut noter également que cette initiative contribuera à enrichir la culture juridique chez les migrants ou leurs chefs communautaires. Ce qui aura pour conséquence l’émergence de sujets de droit conscients de leurs droits et obligations».

Un flou juridique
Du côté du camp des détracteurs de ce projet, il ne s’agit pas de remettre en cause ce plan mais de s’interroger plutôt sur sa pertinence, son intérêt et son impact notamment dans un contexte national fortement marqué par l’approche sécuritaire en matière de migration. En effet, un bon nombre des personnes interviewées se demandent à quoi sert ce projet s’il n’existe pas de droit des étrangers au Maroc et que pareil droit n’est pas enseigné dans les facultés marocaines. Ceci d’autant plus que les tribunaux ne tiennent pas compte des rares textes existants. S’il est vrai qu’il y a plusieurs textes juridiques encadrant un aspect ou un autre de ce droit, l’ensemble de ces textes ne constitue pas un corpus juridique complet sur les étrangers. Sans parler du fait que peu d’avocats marocains initient à ce droit et que l’accès à la justice pour les étrangers demeure conditionné par leur statut financier et social. En fait, ceux qui ont les moyens ont un accès plus facile à la justice. Ce qui prive les plus vulnérables d’accéder à celle-ci bien que cela soit garanti par la législation. Pour d’autres, ce projet soulève la question de la clarté de certaines dispositions juridiques et de leur interprétation. «Les textes existent mais parfois il faut faire face à des lois vagues et dont l’interprétation est large. Ce qui influence amplement la pratique judiciaire. En effet, nous croyons que l’existence d’un texte de loi n’empêche pas les abus. Tel est le cas, à titre d’exemple, des textes concernant l’éloignement et le refoulement des étrangers», nous a indiqué M.M, acteur associatif casablancais. Et d’ajouter : «Parfois, on doit faire face au vide juridique concernant certains aspects de la vie des migrants comme c’est le cas pour le regroupement familial ou les mineurs non accompagnés. Il faut prendre en compte aussi le fait que les migrants se sentent démunis par rapport à l’administration et aux fonctionnaires chargés de l’application de la loi. Il y a encore de la peur et un manque de confiance qui empêchent les migrants de réclamer leurs droits ou d’ester devant la justice. Bref, c’est la question de l’intégration dans tous ses aspects qui s’impose avec acuité».

Fragilité statutaire
Les détracteurs de ce projet mettent en avant également la question des priorités des migrants. Selon eux, c’est la problématique du renouvellement des cartes de résidence pour les 50.000 migrants régularisés en 2014 et 2016 qui n’est plus automatique, qui pose aujourd’hui problème. «Comment peut-on parler de culture juridique alors que notre existence au Maroc est menacée? Notre souci majeur est d’abord celui de garantir notre stabilité juridique au Maroc. Cette stabilité est désormais menacée au vu de l’intransigeance des autorités qui exigent aujourd’hui plus de conditions pour pouvoir renouveler nos cartes de séjour», nous a indiqué un migrant qui a également sollicité l’anonymat. Et de conclure : «Ce projet a aujourd’hui quatre ans d’existence et on se demande ce que ses initiateurs ont entrepris au niveau de ce problème de renouvèlement des cartes de séjour alors qu’un grand nombre de migrants n’arrivent actuellement pas à renouveler leurs cartes faute de pouvoir présenter des contrats de bail ou de travail puisque plusieurs d’entre eux habitent dans des quartiers populaires où les propriétaires refusent catégoriquement de leur fournir un contrat de bail ou une attestation d’hébergement. Ceci d’autant plus que plusieurs d’entre eux travaillent dans le secteur informel et n’ont pas de contrats de travail». 


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