Education à la citoyenneté, une contre-performance du système éducatif marocain


Par Mounir Zouiten *
Mercredi 28 Août 2013

Education  à la citoyenneté, une contre-performance du système éducatif marocain
Pour cette nouvelle rentrée scolaire 2013, l’heure devrait être aux évaluations pour voir comment réagir aux nombreux dysfonctionnements du système éducatif national. Tout le monde est d’accord pour dire aujourd’hui que l’école marocaine est dans une situation qui laisse beaucoup à désirer. L’apprentissage y est de faible qualité. La maîtrise des langues n’y est pas du tout assurée. Le phénomène d’abandon scolaire enregistre toujours un taux élevé. Les programmes y sont toujours discordants par rapport aux besoins d’un monde en rapide évolution. La violence, en son sein et dans ses environs, est quasi-quotidienne, ... 
L’objet du présent papier n’est pas de passer en revue tous les maux de l’école marocaine, mais de mettre plutôt en exergue un volet du système plus rarement mis sous projecteur ; il s’agit de celui de l’éducation à la citoyenneté. Dans le contexte ‘’d’un Maroc en transition‘’, il est nécessaire d’œuvrer au renforcement des valeurs dynamiques qui fortifient l’activité humaine et rehausse ses potentialités. L’éducation à la citoyenneté est aussi importante que celle consacrée à l’assimilation des savoirs et des connaissances. Sans valeurs communes et partagées, une société ne peut pas parvenir à un minimum de cohésion sociale et permettre ainsi à ses membres de construire la démocratie.  
 
L’éducation des valeurs : une évolution positive dans l’ouverture 
de l’école sur la vie publique
 
L’éducation à la citoyenneté a été introduite par les pouvoirs publics dans le cadre de la réforme globale de l’éducation et de la formation. Des programmes spécifiques à la citoyenneté et aux droits humains ont été, en effet, conçus et mis en œuvre en vue d’ancrer dans les esprits des apprenants, au niveau de l’enseignement primaire et celui du collège, les valeurs de la citoyenneté. A cet effet, des manuels scolaires, destinés aux élèves et au corps enseignant, ont été élaborés en tant qu’outils pédagogiques et didactiques visant à introduire cet apprentissage dans le cursus scolaire à côté des autres matières dispensées dans les établissements.
L’instauration de ce module spécifique constitue une évolution positive dans l’ouverture de l’école sur la vie publique et dans son interaction avec son environnement. Elle marque une volonté de rupture avec un système éducatif traditionnel, normatif et fondé sur la mémorisation et la valorisation de la soumission et du fatalisme. Il a été envisagé d’ancrer les principes et les droits reconnus à l’enfant, à la femme et à l’homme, en général, tels que les stipulent les conventions et les déclarations internationales ratifiées par le Maroc, par le biais de programmes et de sessions éducatives adéquats pour les mettre en œuvre. L’objectif est d’introduire des ‘’ruptures’’ et des innovations au niveau des mentalités, des attitudes, des pratiques et des comportements des acteurs. Atteindre cet objectif supposait l’enclenchement d’une dynamique de changement impliquant une déconnexion franche par rapport aux situations établies et habitudes acquises.
 
Des compétences  et des moyens très peu développés
 
Ce que l’on constate, cependant aujourd’hui, après plus d’une décennie d’expérience, c’est que les compétences visées par l’introduction officielle du module ‘’éducation à la citoyenneté’’ n’ont été que très peu développées chez les élèves cibles. Ceux-ci ont été initiés à la thématique globale sans pour autant avoir la possibilité d’en traduire les valeurs apprises dans leurs comportements quotidiens. Qu’il s’agisse du respect de soi, du respect du plus âgé, du respect de la différence, du respect des choix ou qu’il s’agisse de la participation active, de l’expression des désirs et des besoins, des devoirs et des droits, de l’exercice du sens critique, de la prise de position, de l’argumentation,... toutes ces valeurs sont restées purement théoriques. Non seulement elles ne sont pas appliquées par l’ensemble des acteurs éducatifs, mais elles ne se sont manifestées d’aucune manière jusqu’à aujourd’hui, dans la vie quotidienne en dehors de l’école.
Le résultat est ainsi, le moins que l’on puisse dire, très limité, non pas parce que les élèves ne comprennent pas l’importance de cet apprentissage et ne s’y impliquent pas, mais parce que, pour pouvoir développer les compétences citoyennes visées chez les jeunes et les observer au niveau de leur comportement quotidien, les moyens adéquats et les actions pertinentes au niveau de l’espace scolaire doivent être prévus et accordés. Par ailleurs, la socialisation des jeunes ne se réalise pas en marge de celle plus large des différentes composantes de la société. 
Sur le plan de l’enseignement de ‘’l’éducation à la citoyenneté’’, le schéma du potentiel de compétences n’est pas intégré dans l’acte pédagogique et les outils didactiques sont quasi-inexistants. Il n’y a pas de conception sur les moyens à mettre en œuvre pour s’approprier pédagogiquement les différentes catégories de valeurs contenues théoriquement dans le document-cadre. En dehors des matières programmées, les établissements n’ont pas de programmation spécifique pour développer les activités relatives à l’éducation et à la citoyenneté. Le cours n’a rien de spécifique par rapport aux autres cours. Il n’est jamais accompagné d’activités pratiques. Il est enseigné et évalué de la même manière que les autres. Il est dispensé d’une manière très classique, à partir du manuel prévu par le programme, durant une heure hebdomadaire réservée à la matière. Rajoutée à l’heure hebdomadaire consacrée à l’histoire-géographie, l’heure dispensée à l’éducation à la citoyenneté fait partie du module appelé ‘’Al Ijtimaiyate’’. Une heure par semaine est insuffisante pour développer les connaissances et les compétences des élèves dans le domaine de l’éducation à la citoyenneté. L’insuffisance du temps accordé à la matière ne permet pas d’examiner les concepts en relation avec la réalité vécue par les élèves dans différents espaces et milieux sociaux. 
Rien de ce qui est programmé n’est pratiqué ou initié avec les élèves. Ces derniers découvrent à peine les notions de base de l’éducation à la citoyenneté: aucune initiation à la responsabilisation, ni recherche sur des thématiques relevant de la citoyenneté, ni réflexion sur ce qui se passe à l’intérieur de l’institution scolaire ou communale et encore moins sur ce qui se passe au niveau international. Les programmes restent, en bref, des contenus vagues, à apprendre par cœur et à réciter pour obtenir une note. La pratique pédagogique reste très marquée par l’approche transmissive au détriment de l’approche constructiviste des connaissances. Même quand il existe ce que l’on appelle les ‘’clubs citoyens’’ ou ‘’ateliers de la citoyenneté’’ au sein des établissements pour tenter de renforcer les savoir-faire en la matière (projection de films portant sur la promotion des droits de l’Homme, pièces de théâtre...), ces ateliers demeurent peu organisés et très faiblement animés à cause notamment de la démotivation des enseignants. Ceux-ci ont, par ailleurs, une importante charge horaire hebdomadaire et souffrent de mauvaises conditions de travail. Sans la moindre compensation, ils ne se sentent pas toujours motivés pour animer les ateliers et entreprendre des actions et activités en faveur des élèves. Quant à la participation de ces derniers, elle est très faible en raison de l’absence de programmation et de la discontinuité d’animation des ateliers. Il ne peut exister, de la sorte, aucun effet des cours de l’éducation à la citoyenneté sur le comportement quotidien de l’ensemble des élèves. 
 
La formation continue des enseignants  fait défaut
 
L’apprentissage de l’éducation à la citoyenneté dans les établissements scolaires pour les jeunes élèves suppose une formation permanente en faveur des enseignants pour qu’ils puissent, à leur tour, dispenser les cours dans les meilleures conditions. Or, la formation continue en la matière est inexistante. La formation, d’une année qu’on leur accorde dans les CPR, ne leur permet guère de maîtriser les contenus et les outils pédagogiques nécessaires à ce type d’apprentissage et d’enseignement. Ceci est d’autant plus vrai qu’au cours de cette courte formation, l’éducation à la citoyenneté est rarement abordée. L’enseignement de ce module devrait être accordé à des professeurs spécialisés et dotés de moyens pédagogiques pertinents en la matière. 
La réussite dans ce domaine est donc tributaire de la formation continue des acteurs éducatifs. Elle dépend aussi du degré d’implication et de participation des parents d’élèves dans les établissements scolaires, de l’amélioration soutenue de la gouvernance du système, de la bonne organisation pédagogique, de la bonne gestion des calendriers, de l’adaptation des méthodologies et des curricula, de l’efficience du mécanisme d’orientation scolaire et des systèmes d’évaluation ainsi que de la qualité des rendements interne et externe. 
 
Amalgame et dualité dans les contenus  des cours
 
Si l’échec dans le domaine de l’éducation à la citoyenneté est dû essentiellement à la qualité des moyens matériels et humains mis en œuvre, il est également lié aux amalgames dans le contenu des cours. Dans de nombreux établissements, il existe, à cause entre autres des convictions religieuses d’un certain nombre d’enseignants, une dualité dans le contenu du module de l’éducation à la citoyenneté, puisée dans la double référence à la culture universelle et à la culture musulmane. Dans la vision de l’islam, la religion est la source des valeurs. C’est là que celles-ci puisent leur sens pour se transmettre aux êtres humains qui les implantent dans leur société. Les valeurs sont une philosophie de comportement qui engage la raison et les sentiments. Cette conception des valeurs doit se refléter dans le comportement de l’homme, doit être en lien avec la vertu et se traduire dans les actions quotidiennes.
L’individu se trouve alors tiraillé entre deux pôles d’attraction, celui des valeurs universelles modernisantes et celui des valeurs inhérentes à ses croyances. Cette coexistence d’un double référentiel a induit une dilution de la notion de droit humain en faveur de valeurs humaines rapprochées à la culture religieuse. Ainsi, les valeurs fondamentales véhiculées par la culture des droits humains sont perçues et intégrées comme cohérentes et faisant partie du référentiel de l’islam. C’est dans le cadre de cette ‘’mise en cohérence’’ ou ‘’intégration’’ que semblent se dessiner des décalages d’interprétation et d’utilisation des valeurs universelles des droits humains, ainsi que des logiques d’exception, notamment en ce qui concerne les questions de l’égalité des sexes, la liberté de conscience ou la légitimité des châtiments corporels, stéréotypes culturels conservateurs qui opposent la spécificité marocaine à l’universel.
Cette dualité favorise le développement de différentes instrumentalisations idéologiques des principes et valeurs des droits humains, introduits dans les contenus des manuels scolaires, dans un contexte socioculturel marqué par la prééminence des pensées rétrogrades et conservatrices, dans de larges couches de la population marocaine. 
La spécificité culturelle devrait être inscrite comme enrichissement et renforcement du patrimoine universel, afin de garantir la cohérence dans les messages et les valeurs véhiculées par l’éducation scolaire. Cette rupture constitue la condition primordiale de dépassement de l’opposition du spécifique et de l’universel et de réconciliation de l’apprenant avec la culture humaine. Lorsque les manuels se contredisent, s’opposent, ils déstabilisent l’élève.
 
Que faire ?
 
Au terme de cette analyse, il s’avère nécessaire pour les pouvoirs publics de rectifier le tir dans l’approche de l’éducation à la citoyenneté adoptée par le système éducatif marocain en vue de relever les nombreux défis concomitants aux comportements non civiques.  
Compte tenu de la nature de la matière, de ses objectifs et des retombées qu’on en escompte, il faut lui réserver un traitement spécial, voire transdisciplinaire dans le cadre d’une vision claire facilitant l’adhésion de tous les acteurs du système éducatif. L’éducation à la citoyenneté étant l’affaire de tous, elle ne peut être réduite à une matière scolaire comme les autres matières. Elle devrait plutôt occuper une place stratégique dans le processus d’apprentissage visant à mieux gérer les phases de transition démographique, sociologique et économique.
Les activités pédagogiques relatives à la citoyenneté au sein et en dehors de l’école doivent bénéficier de moyens matériels, techniques et financiers adéquats et des mécanismes et structures pérennes d’accompagnement (ateliers, clubs, associations…). La qualité personnelle des enseignants et leurs aptitudes humaines et professionnelles figurent aussi parmi les principaux critères sur lesquels repose la réussite du projet de citoyenneté. Aussi est-il important d’investir dans le développement des compétences pédagogiques des enseignants et dans leur appropriation des connaissances et des valeurs de citoyenneté. Le coût de cet investissement ne doit pas être perçu comme une perte, mais plutôt comme un processus à travers lequel la valeur ajoutée sur le plan du développement humain et donc du citoyen responsable œuvrant dans l’intérêt de la collectivité. Il s’agit de rentrer dans la logique de l’investissement dans le capital humain sans lequel le développement durable restera une chimère.
S’imposent également le choix et la dynamisation d’une approche intégrée pour susciter l’enthousiasme des différents intervenants et insuffler l’esprit d’entraide et de complémentarité entre l’établissement scolaire et les différents partenaires extérieurs (parents, éducateurs, opérateurs culturels et ceux des médias). Les associations des parents d’élèves sont à privilégier, car la famille joue un rôle déterminant dans le modelage du comportement des jeunes générations. C’est la première école où les parents se partagent avec l’Etat et les autres institutions, le rôle d’éducateur. Il faudrait établir un lien étroit entre la famille et l’école si nous voulons que les enfants qui apprennent  des valeurs bien définies à l’école puissent ensuite les mettre en œuvre à la maison. Il ne faut pas qu’il y ait une contradiction, une inadéquation entre ce que l’enfant apprend à l’école et ce qu’il retrouve à la maison. Il faut instaurer un dialogue permanent entre l’école et la famille car il s’agit des deux institutions déterminantes dans la vie de l’enfant. Cette vie est, en fait, la préparation de la société démocratique. 
Ce qui se passe dans la vie publique, c’est-à-dire dans la rue est aussi important. La rue aura raison si la famille et l’école ne jouent pas leur rôle correcteur. En effet, si l’enfant ne trouve pas de protection dans la famille et dans l’école, il va la trouver dans la rue sous forme de gangs de violence, de consommation de drogues, etc.
Dans un contexte de construction démocratique et de diversité, l’apport de l’éducation à la citoyenneté est susceptible de permettre aux apprenants d’appréhender la construction universelle de la connaissance et l’intérêt de s’inscrire dans l’ouverture à la connaissance et aux productions de l’humanité. 
De même, il faudrait que les curricula cessent d’osciller autour de l’organisation hiérarchique des cadres référentiels (national, religieux, universel) et de les instrumentaliser. Les valeurs fondatrices de la cohésion sociale et la position qu’elles doivent occuper dans les manuels scolaires gagneraient davantage à être clairement exprimées. Le choix des manuels scolaires doit être fait selon les critères de clarté dans l’expression des valeurs et de leur conformité aux normes universelles. L’objectif de l’éducation à la citoyenneté est de promouvoir les valeurs d’égalité, de dignité, de liberté, de justice et d’entraide dans les comportements et les attitudes des élèves. Ces valeurs leur seront d’ailleurs très utiles lorsqu’ils auront le statut d’étudiant à l’université. On aura alors des étudiants que l’on pourra qualifier de responsables, travailleurs et ambitieux.
La citoyenneté active, dès le jeune âge, a une incidence durable, tout au long d’une vie sur le niveau et la qualité de l’engagement social et politique de tout citoyen. Elle influence les résultats du développement en renforçant le capital humain et social des individus.  
 
*PES, Université 
Mohammed V, Souissi, Rabat
 
 


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1.Posté par El yaagoubi ahmed le 28/08/2013 20:50
Nous sommes arrivés au paroxysme de la crise de notre Ecole du fait que la mobilisation de tous ne fut pas une devise massivement perçue et que ns avons laisser pétrir une multitudes de dysfonctionnements de tous ordres;
En toute franchise le dépassement d'une telle crise ne peut se résoudre que dans les conditions suivantes;
1;La conception d'un plan de développement pédagogique régional;
2.La reconsidération du fonctionnement des académies régionales;
3.La conception d'une agence régionale du management de la qualité au lien d une agence nationale d'évaluation qui parait boiteuse et sans utilité aucune
4.la régionalisation de la conception du manuel scolaire et du guide pédagogique
5.L'installation de cellules de recherche-action propre à chaque région;
6.La création d'une agence nationale Marocaine de lecture;
7..La création d'un groupe de recherche ou d'un réseau pour les ccm;
8.La création d'un groupe pilote spécialisée en culture de l'écrit pour différents cycles

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