Dans les steppes de Mongolie, le climat déréglé pousse les bergers à bout


Libé
Mardi 25 Mars 2025

Un froid extrême avait décimé son troupeau de moutons l'hiver dernier. Un an après, Zandan Lkhamsuren lutte encore pour surmonter les dégâts causés par ces conditions météorologiques extrêmes, de plus en plus fréquentes en Mongolie.
Un quart des Mongols mènent encore une vie nomade. Mais ces dernières décennies, des centaines de milliers se sont installés en ville, notamment dans l'agglomération de la capitale
Ce vaste pays de 3,4 millions d'habitants, entre Russie et Chine, est l'un des plus touchés par le changement climatique. Selon certaines estimations, il se réchauffe trois fois plus vite que la moyenne mondiale.
En Mongolie, ces effets sont particulièrement visibles.

Parmi les conséquences, le "dzud" - synonyme d'hiver rigoureux et particulièrement enneigé, comme celui qui a décimé le troupeau de Zandan Lkhamsuren - est devenu plus fréquent et plus intense.

"L'hiver dernier (en 2024, ndlr) était le plus dur que j'aie jamais connu", déclare à l'AFP cet homme de 48 ans, dans la steppe proche de la petite ville de Kharkhorin, dans le centre de la Mongolie. Les températures s'y échelonnaient entre -32°C la journée et -42°C la nuit, raconte-t-il.

Les fortes chutes de neige et le sol gelé ont empêché ses moutons de trouver de la nourriture. Sur son troupeau de 280 bêtes, seules deux ont survécu.
Dans toute la Mongolie, ce sont plus de sept millions d'animaux qui ont péri - plus d'un dixième du total.
"Nos troupeaux couvraient toutes nos dépenses et on vivait très bien", raconte Zandan Lkhamsuren en servant du thé au lait salé chaud dans sa yourte traditionnelle.
 
Mais il lutte aujourd'hui pour joindre les deux bouts.
Après avoir perdu ses bêtes, il a dû contracter des emprunts pour nourrir un nouveau troupeau, plus petit, de chèvres - des animaux réputés plus résistants.

Ses deux filles étaient censées commencer l'université l'an passé dans la capitale, Oulan-Bator. Mais la famille n'a pas pu payer leurs frais de scolarité.
"Ma stratégie désormais, c'est de me concentrer sur ce qu'il me reste", déclare Zandan Lkhamsuren.

Alors que le soleil couchant projette de longues ombres sur la steppe, il siffle pour rassembler ses bêtes récalcitrantes et les conduire à l'abri pour la nuit.
L'homme dit garder un état d'esprit positif. En faisant grossir son troupeau de chèvres, il pourra peut-être réussir à financer les études de ses filles, dit-il.
"Je suis sûr qu'on pourra s'en remettre", déclare-t-il avec stoïcisme.

Le problème pour Zandan Lkhamsuren et les autres travailleurs agricoles, qui représentent un tiers de la population mongole, c'est que le dzud devient plus fréquent.
Il se produisait jadis environ une fois en 10 ans. Mais il y en a eu six au cours de la dernière décennie, selon l'ONU.

Le surpâturage participe depuis longtemps à la désertification de la steppe.
Mais le changement climatique aggrave la situation. Les sécheresses estivales rendent ainsi plus difficiles l'engraissement des animaux et le stockage du fourrage pour l'hiver.
"Comme beaucoup d'autres éleveurs, je regarde le ciel pour essayer de prévoir la météo", explique Zandan Lkhamsuren.

"Mais cela devient difficile (...) Le changement climatique est une réalité", souligne-t-il.
Sur sa moto qui soulève des nuages de poussière, Enebold Davaa, 36 ans, partage ces appréhensions.

L'hiver dernier, sa famille a perdu plus de 100 chèvres, 40 moutons et trois vaches.
"C'était notre principale source de revenus. Donc ça nous a vraiment accablés. C'était très dur", raconte-t-il.

L'hiver, plus doux cette année, a permis à sa famille de combler une partie de ses pertes mais il dit rester "inquiet" car sa famille "ne peut rien prévoir pour le moment".
Un responsable local, Gankhuyag Banzragch, indique à l'AFP que la plupart des familles du district ont perdu entre 30 à 40% de leur bétail l'hiver dernier.

Les difficultés rencontrées par les éleveurs poussent un nombre croissant de familles à déménager ailleurs, explique-t-il.
Un quart des Mongols mènent encore une vie nomade. Mais ces dernières décennies, des centaines de milliers se sont installés en ville, notamment dans l'agglomération de la capitale.

Tout en faisant bouillir des raviolis à la viande de cheval, la femme d'Enebold Davaa explique que la famille pourrait également plier bagage s'ils perdaient davantage de bétail.
"Après, en ville, la principale difficulté, c'est l'accès à l'éducation pour nos enfants", s'inquiète-t-elle.
Son mari, lui, a une raison encore plus fondamentale de rester.
"Je veux continuer à élever mes bêtes. Je veux conserver mon mode de vie", explique-t-il.
 


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