D’ennemis jurés à alliés ou les relations entre une partie de la gauche et le PJD


Par Zahra Hmimid
Lundi 16 Février 2015

D’ennemis jurés à alliés ou les relations  entre une partie de la gauche et le PJD
Le 29 novembre 2011, Abdelilah Benkirane est nommé chef du gouvernement conformément à l’article 47 de la nouvelle Constitution adoptée par référendum cette même année. 
Mais malgré son arrivée en tête  des élections législatives du 25 novembre avec 107 sièges sur les 395 que compte la Chambre des représentants, le PJD doit  se résoudre à un gouvernement de coalition.  Et c’est ainsi que le 10 décembre 2011, le PPS annonce son ralliement au PJD.
Cette annonce  souleva un tollé général. Comment est-il possible qu’un parti de gauche fasse alliance avec un parti islamiste ? Qu’est-ce qui peut unir le PPS, héritier du parti communiste au PJD? Comment se fait-il que ces ennemis jurés soient devenus alliés? 
De nombreuses autres questions sont venues à l’esprit : pourquoi l’USFP a-t elle opté pour l’opposition ? Et comment se fait-il que ces deux partis de gauche, si longtemps alliés au sein de la Koutla,  adoptent des positions aussi divergentes vis-à-vis du PJD?
Pour tenter de lever le voile sur ce jeu d’attraction et de répulsion des relations, il nous semble pertinent  de présenter  les circonstances de la création de ces deux partis de gauche afin de mieux s’armer pour appréhender leurs positions  respectives.
Le PPS, héritier du Parti communiste marocain (PCM) et du Parti de la libération et du socialisme (PLS), a eu beaucoup de mal à se faire passer comme parti de masse. En effet, il a davantage touché  les milieux intellectuels que la classe ouvrière qui ne représentait au demeurant que 10% de la population urbaine.
Ce parti, s’autoproclamant parti du peuple, rencontre de nombreuses difficultés, la principale étant de créer une conscience de classe. En effet, le prolétariat marocain se reconnaît davantage dans l’idéologie arabo-musulmane du parti de l’Istiqlal que dans celle de ce parti couramment et abusivement qualifié d’athée. 
Le PCM a beaucoup souffert des accusations d’incompatibilité de l’idéologie communiste avec les valeurs de l’islam; sa presse a tenté de corriger cette image.
Ce parti, qui n’est jamais parvenu à sortir totalement de sa clandestinité si ce n’est durant de très courtes périodes, décide de se transformer en une nouvelle formation politique : le Parti de libération et du socialisme (PLS), parti progressiste et révolutionnaire associant les valeurs socialistes à celles de la civilisation arabo-musulmane. Tout comme ses prédécesseurs, ce parti a beaucoup souffert de la censure et de la répression durant les années de plomb et il n’a eu de cesse de démontrer que son idéologie n’était incompatible ni avec l’islam ni avec les institutions nationales.
Le parti de l’USFP, quant à lui, a milité pour l’instauration d’un Etat de droit mais cette lutte s’est faite dans la légalité car pour lui, la démocratisation ne viendra que par une bataille politique. De nombreux historiens s’accordent à penser que la création de l’USFP est un tournant historique dans le paysage politique marocain. En effet, la gauche marocaine passe d’une ligne à tendance révolutionnaire à une approche sociale démocrate. 
Pour l’USFP, le socialisme s’impose en tant que méthode d’analyse scientifique conduisant à la «seule voie de réaliser les aspirations des masses populaires».  

La crise identitaire
L’analyse du paysage politique marocain montre une tendance à l’affaiblissement de l’opposition idéologique des partis de gauche et une orientation à la convergence avec les partis de droite en matière de politiques économiques et publiques. Un rapprochement économique et idéologique s’est inévitablement opéré, la contrainte du programme d’ajustement structurel et la mondialisation ont incontestablement changé la donne. L’ancien choc des valeurs qui caractérisait la gauche tend à s’estomper.
On pourrait donc parler pour ces partis d’un recentrage qui s’accompagne d’une crise identitaire et cela transparait à travers les codes linguistiques  devenus obsolètes après l’abandon de l’objectif de rupture avec le capitalisme. Les anciens thèmes d’affrontement semblent être en déclin et l’on reproche de plus en plus à  la  gauche  «son virage à droite», autrement dit son acceptation du discours néolibéral. 
Cette crise identitaire de la gauche a coïncidé avec la recrudescence d’un nouveau phénomène dans les pays arabes, à savoir l’ascension des partis islamistes.

La montée de l’islamisme
Au Maroc, le mouvement islamiste apparait dans les années 1960 notamment dans les milieux universitaires.  Le pouvoir, qui n’a eu de cesse d’encourager les aspects islamistes dans la vie publique afin de contrebalancer le pouvoir de la gauche, a même été jusqu’à inciter le développement du phénomène des Zaouias et des Moussems.
A cette époque, pour le pouvoir ainsi que pour le parti de l’Istiqlal, l’islamisme représente indéniablement un rempart pour tous ceux et toutes celles qui sont effrayés par la gauche. L’impact de ces mouvements est d’autant plus fort qu’ils vont connaître un essor  au  moment où la gauche traverse une profonde crise identitaire.
Le fait que ces partis soient jeunes est incontestablement un atout. En effet, intégrer la vie politique plus tardivement que les autres leur confère une longueur d’avance.

D’ennemi à allié
L’histoire des relations entre la gauche et les partis islamistes est marquée par une forte tension, car ces derniers ont combattu avec violence les mouvements de gauche, tout en bénéficiant de la bienveillance du pouvoir. La politique menée visait alors à contrecarrer voire à anéantir les courants idéologiques de gauche qui étaient alors fortement ancrés dans les lycées et les milieux universitaires.
Rappelons qu’en politique, toute instance se doit de proposer des programmes politiques tout en ayant une instance adversaire qui représente  une opinion opposée. 
Cette instance s’adresse à une troisième instance ; il s’agit donc d’une situation où un locuteur s’adresse à un interlocuteur tout en cherchant à se différencier d’une troisième instance qui est en position d’adversaire ou de concurrent. Il s’agit d’une situation de «triangularité» (dispositif de concurrence) ou de «trio énonciatif».
Le discours du PPS et de l’USFP a été structuré sur un ensemble de représentations qui disqualifiaient le pouvoir et les autres partis qui étaient  perçus comme des adversaires de taille. Ce discours instaurait une opposition entre les partis de gauche incarnant le militantisme partisan du peuple et l’autre à savoir les autres partis et le pouvoir. Puis, pour la gauche, l’instance adverse va prendre un autre visage : ce seront les partis islamistes qui seront catalogués de forces obscurantistes.
 Initialement, le discours de la gauche marque  un attachement aux valeurs et à l’idéologie socialistes dans le sens de tendance antilibérale et anticapitaliste. Mais à partir des années 1990, ce discours va évoluer.
Ce n’est plus le sentiment d’appartenance à un parti ou à une idéologie qui prime mais l’appartenance nationale. Cette profonde crise idéologique est  issue des transformations au niveau mondial (dans les secteurs  économiques et politiques) qui se sont opérées à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Ces changements ont lourdement pesé voire remis en cause l’idéologie socialiste qui a  quelque peu perdu de son éclat et de son attirance en ce sens qu’elle ne fédère plus les foules. Elle semble  être désarmée face à la domination de l’économie libérale et donc au discours néolibéral qui règne en maître absolu.
Cette perte de vitesse n’a pas manqué de s’aggraver avec la montée de l’idéologie islamiste qui supplante sur nombre de points celle de la gauche et qui coïncide  avec l’engagement au gouvernement d’alternance de l’USFP et du PPS qui vont être traversés par une certaine ambiguïté idéologique jamais connue dans leurs histoires. 
Cette participation au gouvernement d’alternance semble avoir ôté à la gauche son rôle d’opposition systématique au pouvoir pour le céder aux partis islamistes qui deviennent dès lors les porte-paroles des déshérités et des masses populaires pour lesquels ce discours idéologique est novateur car ils proposent de renouveler les règles d’organisation sociale sur de nouvelles bases : des bases religieuses. 
Ainsi d’une longue et dure opposition, l’exercice du pouvoir a indéniablement essoufflé la gauche qui a mis fin à plus de quarante années d’opposition systématique.
La situation de cette gauche est aujourd’hui confuse. Parmi les exemples les plus explicites dans cette confusion, nous pouvons citer la relation entre les partis de gauche et le Mouvement du 20 février. La majorité des cadres des partis n’ont pas participé à ce mouvement. Une telle attitude ne répond plus à l’idéologie initiale qui était celle de la contestation. Elle est significative d’un nouveau discours et d’une nouvelle stratégie diamétralement opposée.
Cette gauche ne manie plus un discours de dénonciation qui faisait de ses adversaires politiques et du pouvoir la source des maux de la société. Cette incarnation du mal par le pouvoir semble aussi avoir miraculeusement disparu après 1998 et les partis islamistes, longtemps taxés d’obscurantistes, ne constituent eux non plus une menace. Qui sont donc ses nouveaux ennemis?
Pour Patrick Charaudeau, ne pas avoir d’ennemi, pour les membres d’un parti politique, « c’est se priver d’une partie de ce qui lui permet de se construire une identité : la source du mal n’a pas de visage » . Se forger une identité passe donc par la présence d’un ennemi. S’il n’y a pas d’ennemi, les valeurs qui doivent constituer le fondement identitaire du groupe tombent en déliquescence. Un discours identitaire n’existe que par l’existence de l’adversaire mais certains partis ne semblent plus avoir d’adversaire!
La gauche marocaine semble se chercher. A part leurs références historiques au socialisme, rien ne semble plus réunir la gauche : le PPS a fait le choix de faire partie du gouvernement et l’USFP celui d’être dans l’opposition.
Sans identité clairement définie et facilement identifiable, aucune force politique, fut-elle de gauche ou de droite, ne peut subsister. Une introspection idéologique s’avère nécessaire car à «quoi sert la gauche, si comme les autres elle s’installe dans l’ordre des choses?».
Alliances éphémères et insolites semblent être l’apanage du nouveau champ politique marocain. 
 


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