Corruption et fragilité des Etats africains


Par Oasis Kodila-Tedika*
Lundi 16 Septembre 2013

Corruption et fragilité des Etats africains
L’Afrique est confrontée à plusieurs problèmes, notamment celui de la corruption et de la fragilité de ses Etats. Quelle relation entre ces deux derniers problèmes sur le continent ?
Nous vivons dans un monde corrompu. La moyenne de la note de 188 pays de la planète donne un chiffre négatif pour l’indice du contrôle de la corruption de la Banque mondiale, qui varie entre -2,5 et 2,5 (corruption minimale). Mais, en comparant la moyenne africaine à celle des autres pays du monde, il en ressort une différence statistiquement significative. On ne peut donc pas rejeter l’hypothèse selon laquelle le niveau de la corruption africaine serait plus élevé que celui des autres pays du monde.
Par ailleurs, le quartile le plus élevé est constitué de 46 pays dont les notes varient entre -1,72 et -0,77. Dans ce groupe des plus mal classés, l’Afrique se distingue fortement par rapport à tout le reste des continents.
Sans doute y a-t-il de nombreuses raisons (religion, niveau d’instruction, niveau de la démocratie, etc.) qui peuvent expliquer les différentiels  que  nous avons constatés.  L’argument  développé dans l’étude de Oasis Kodila Tedika et Remy Bolito Losembe (2013) est simple et va plus loin : chacune de ces raisons considère une dimension du problème ; or l’Afrique combine plusieurs problèmes du fait même de la nature de ces Etats, pour la plupart fragiles. En effet, l’Afrique subsaharienne est l’une des régions du monde où une bonne partie des Etats sont fragiles : 22 Etats sur un total de 48 en Afrique subsaharienne sont classés par la Banque mondiale comme étant fragiles (European Report on Development, 2009; Marshall et Cole, 2009). Cet argument demeure pertinent comme l’ont démontré récemment Oasis Kodila Tedika et Remy Bolito Losembe (2013), dans le cas d’extrême fragilité. Ils confirment, avec des techniques économétriques, que la situation d’extrême fragilité de plusieurs pays africains conduit à plus de corruption, en facilitant les activités de rente, de survie, etc.
La fragilité apparaît en fait de plus en plus comme un état « persistant » : par exemple, la probabilité qu’un Etat classé fragile en 2001 le demeure en 2009 est de 0.95. De manière générale, les 35 pays qui étaient définis par la Banque mondiale comme fragiles en 1979 étaient toujours réputés fragiles en 2009 (European Report on Development, 2009).
Non seulement les Etats fragiles en Afrique ont une croissance économique plus faible que les Etats non fragiles, mais ils semblent être pris dans une « trappe à fragilité » comme le démontrent Andrimihaja, Cinyabuguma et Devarajan (2011). Les résultats de ces derniers suggèrent que les Etats fragiles sont qualitativement différents des Etats non fragiles. Le point de différence est la possibilité de descente dans une « trappe d’équilibre inférieur » : un pays avec de telles caractéristiques (celles d’un Etat fragile) est susceptible de tomber dans un cercle vicieux de faible investissement, de faible croissance et de pauvreté. Ce qui, à son tour, l’affaiblit encore davantage. Au-delà de ces raisons qui renforcent la fragilité, Oasis Kodila-Tedika et Simplice A. Asongo (2013) confirment empiriquement que la corruption a un rôle majeur dans cette descente aux enfers. Plus les Etats africains sont fragiles, plus la corruption augmente.
En somme, il n’est donc pas facile de lutter contre la corruption en Afrique. Une lecture d’ensemble s’impose, avec un regard pertinent sur le problème institutionnel de ces pays pour véritablement faire changer la donne. Sinon, ces Etats fragiles tireront encore l’Afrique vers le bas. Les solutions créant plus de transparence et réajustant les intérêts individuels au profit de la collectivité, en façonnant notamment les règles politiques, doivent être privilégiées.

*Analyste sur LibreAfrique.org


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