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Pourtant la laïcité a fait du chemin depuis le début de la Nahda. Elle est aujourd’hui une laïcité de facto, ni tout à fait reconnue, ni tout à fait déniée. Une laïcité incertaine, insuffisante et improbable, réduite à une sorte de concept sans épaisseur et sans réalité effective. Aujourd’hui, plusieurs questions se posent: la séparation entre le politique et le religieux est-elle compatible avec l’Islam et est-elle possible au Maroc ? Qu’y apportera-t-elle ? Si cette séparation est effective, ne risquerait-elle pas d’affaiblir le rôle de la religion dans la société marocaine ? Cette dernière ne connaît-elle pas déjà une certaine sécularisation dans les mœurs (sur les plans social, économique et culturel notamment), quand bien même le principe de laïcité ne serait pas institutionnalisé ? Si la séparation entre le politique et le religieux est instaurée au Maroc, qu’en serait-il d’Imarate Al Mouminine (Commanderie des Croyants) ? C’est à ces questions et d’autres que la conférence-débat : « Séparation entre le politique et le religieux : Quelles perspectives ? », organisée le mardi 14 décembre à Casablanca a tenté d’apporter des réponses.
Pour Ali Bouabid, secrétaire général de la Fondation Abderrahim Bouabid (FAB), la question de séparation entre le politique et le religieux est problématique et délicate. Elle comporte des potentialités de désorganisation dans un pays comme le Maroc. Mais cette difficulté d’aborder le sujet n’est pas un alibi pour mettre cette problématique de côté.
Bouabid part d’un postulat : la séparation entre le politique et le religieux est le socle des régimes démocratiques, donc poser la question de cette séparation, « c’est s’inquiéter de la perspective démocratique dans notre pays », a-t-il précisé.
Il pense que le Maroc est dans une situation où le processus de sécularisation joue à plein et qu’il n’épargne quasiment aucun secteur de la vie publique.
Mais le problème, indique l’intervenant, vient de la séquence historique que nous traversons, caractérisée par une crise de la modernité dont nous nous débattons au quotidien pour nous approprier ou recycler les outils et les techniques de cette modernité ainsi que ses valeurs. Pourquoi est-elle en crise ? « Parce que cette modernité, produit de cinq siècles et qui a abouti à l’autonomisation du monde humain par rapport à tout déterminisme métaphysique ou transcendant, s’est traduite par la montée de l’individualisme et le reflux des idéologies qui ont laissé l’individu démocratique nu», a-t-il indiqué. Et du coup, la modernité n’est plus un vecteur d’émancipation comme elle l’a été à sa naissance, mais elle est devenue une puissance d’asservissement. Cependant, nuance le secrétaire général de la FAB, l’Occident a les moyens de combler ce vide qu’il a créé grâce à l’Etat providence. « Cette machine énorme qui prend en charge les dégâts du vide spirituel », a-t-il affirmé.
Mais qu’en est-il du Maroc ? L’intervenant pense qu’il y a une montée d’individualisation des comportements, mais sans que ce changement se transforme en une puissance collective, autrement dit, une puissance démocratique et sans qu’il soit soutenu par un Etat providence capable de gérer le reflux du religieux. C’est pourquoi M. Bouabid pense qu’il faut être extrêmement prudent sur ce sujet, sans pour autant perdre son optimisme sur les perspectives de cette mutation. « Le Maroc va construire par ses propres moyens son modèle d’accès à l’autonomie, car il n’y a pas de modèle dans le monde. Il n’y a que des trajectoires qui se construisent d’une manière progressive », a-t-il conclu.
De son côté, Lahcen Daoudi, parlementaire PJD, a affirmé que la laïcité est le produit d’un processus historique déterminé et qu’il est difficile de faire la part entre le politique et le religieux.
M. Daoudi se déclare musulman et laïque et favorable à la laïcité, avec une nuance près : qu’elle soit d’abord un besoin et une demande de la société marocaine. « Qu’elle soit un choix de la société », a-t-il précisé. C’est pourquoi il met en garde contre toute intervention d’en haut pour imposer la laïcité. « Il y a une machination pour pousser le Maroc vers des sentiers déterminés contre une majorité silencieuse. Il faut calmer le jeu parce que cela va réveiller les démons », a-t-il indiqué.
M. Daoudi est pour une évolution maîtrisée qui ne rompt pas les équilibres : « On doit aller doucement dans le changement et que l’Europe ne nous impose pas le rythme de ces changements ».
Pour sa part, Mustapha Khalfi, directeur du Centre marocain des études et des recherches contemporaines, pense qu’il faut parler de distinction entre le politique et le religieux et non de la séparation. « Il faut créer une différenciation institutionnelle et fonctionnelle entre les deux champs, en gardant l’interactivité entre eux », a-t-il souligné. Cependant, il croit que le problème du Maroc est d’abord celui de démocratie et des libertés et pour s’en sortir, il pense qu’il faut constitutionaliser Imarate Al Mouminine et faire respecter la loi sans oublier de préserver le rôle du référentiel islamique au niveau de la morale et des valeurs.
Mais quelle place a vraiment la religion dans le quotidien des Marocains ? Pour Mohamed Sghir Janjar, directeur de la revue "Prologues", il faut d’abord différencier entre les logiques discursives et les logiques d’actions. A ce propos, le sociologue marocain a noté que la réalité de la religion dans les discours est en contradiction avec celle observée sur le terrain.
M. Sghir Janjar a indiqué que le Maroc vit au rythme d’une sécularisation latente, vécue et non pensée et qui crée au quotidien des tensions. « La société marocaine, à l’instar des sociétés arabo-musulmanes est en cours de se séculariser et la religion est en train de se retirer de l’espace symbolique. Cette dernière n’a plus aucun pouvoir dans les sociétés arabo-musulmanes. L’Etat est en train de la conquérir et de la domestiquer», a-t-il expliqué.
Et qu’en est-il d’Imarate Al Mouminine ? Pour Ali Bouabid, cette question n’est pas centrale. Mais s’il se déclare hostile à cette institution intellectuellement, il est politiquement pour sa préservation. Même son de cloche du côté de M. Daoudi, la présence d’Imarate Al Mouminine est cruciale, « si l’Etat se désengage actuellement de l’Islam, ce sera catastrophique », a-t-il précisé. Pour M. Khalfi, si Imarate Al Mouminine est un acquis, la dimension démocratique pousse à sa constitutionnalisation.
Faut-il remplacer la réflexion sur la laïcité, pour lui substituer celle de démocratie et du rationalisme, que dictent de façon plus adéquate les nécessités de la société arabe ? A méditer.