Carola Rackete, du sauvetage des migrants à la défense des forêts


Libé
Mercredi 21 Octobre 2020

Ala barre d’un navire humanitaire en détresse, Carola Rackete a bravé un blocus italien pour y débarquer des migrants. Aujourd’hui, l’Allemande a repris son combat pour la planète en occupant une forêt menacée par un projet d’autoroute. L’ancien ministre italien de l’Intérieur Matteo Salvini (extrême droite) a injurié cette “emmerdeuse”, cette “criminelle” et des habitants de la petite île italienne de Lampedusa lui ont souhaité de se faire “violer par ces nègres”. La faute de Carola Rackete, alors capitaine du Sea Watch 3 : avoir dans la nuit du 29 juin 2019 accosté de force dans le port de Lampedusa pour y débarquer, après deux semaines d’errance en mer, 43 migrants que l’ONG allemande et son navire de secours avaient sauvés en Méditerranée. Son acte de désobéissance civile, qui lui vaudra de passer trois jours en prison, l’a propulsée héroïne de la cause des réfugiés. Un an et demi plus tard, “Capitaine Europe” comme la salue alors le Spiegel en Une, patauge dans la boue en ciré jaune, entre des chênes centenaires de la forêt de Dannenrod, dans le centre de l’Allemagne. Depuis fin septembre, cette experte en protection de l’environnement, diplômée d’une université britannique, occupe cette zone protégée avec d’autres écologistes qui veulent empêcher l’abattage des arbres pour y construire un tronçon d’autoroute. Ses désormais légendaires dreadlocks sont toujours là —accrochés ce jour-là en un chignon—, le calme et la détermination aussi. Ici, “la société civile dit: ‘Ça suffit maintenant!’”, explique la jeune femme de 32 ans en désignant les cabanes installées dans des arbres à plus de dix mètres de hauteur pour empêcher la police de déloger les protestataires. En Allemagne, “il y a des centaines de projets de construction de routes (...) c’est insensé dans un contexte de crise du climat”, poursuit celle qui n’a plus loué de logement depuis neuf ans et a choisi de vivre frugalement, avec quelques centaines d’euros à peine par mois. A Dannenrod, elle dort sous une tente malgré le thermomètre qui frissonne. “Nous avons besoin d’un moratoire sur tous les projets d’infrastructures”, assure-t-elle, pour déterminer s’ils “sont conformes aux objectifs climatiques de l’Accord de Paris”. Parce qu’elle sait que sa parole désormais compte, Carola Rackete appelle à changer de vision en matière environnementale. Une urgence selon elle car la crise climatique est “dramatique”. L’ampleur du réchauffement de la planète, cette scientifique dont le livre “Il est temps d’agir” a été traduit en six langues, a pu le mesurer dès sa première mission de navigatrice fraîchement diplômée en 2011 à bord du brise-glace Polarstern qui vient d’achever la plus grande mission d’exploration au pôle Nord. “Une expérience décisive”, se souvient-elle, “parce que tu peux vraiment voir la crise climatique de tes yeux” avec la fonte progressive de la banquise d’été. L’hiver dernier, elle s’est rendue pour la huitième fois en Antarctique après déjà quatre séjours en Arctique. “La station météorologique argentine a mesuré 18° en février”, s’exclame celle qui a aussi travaillé pour Greenpeace. Du jamais vu. Sans illusion sur la volonté des partis politiques d’adopter des objectifs “efficaces” dans la lutte pour le climat, elle continue néanmoins d’aller voter. Pour elle, l’abstention sert les intérêts de l’extrême droite. Le verbe posé, Carola Rackete affiche la rigueur des gens du nord de l’Allemagne d’où elle est originaire. Mais elle s’énerve quand on la présente encore comme “la voix des migrants”. “C’est n’importe quoi! Comment pourrais-je représenter tous ces gens alors que je n’appartiens pas à leur groupe?”, lance-t-elle en rappelant aussi que si elle a effectué plusieurs missions en Méditerranée depuis 2016 pour Sea Watch, elle n’est pas membre de l’ONG. Les réfugiés “n’ont pas besoin d’une figure d’héroïne qu’on jette sous la lumière des projecteurs”, tranche-t-elle. Elle n’est pas retournée aux commandes d’un navire humanitaire depuis un an et demi. “Même si je le voulais, je ne le pourrais pas”, constate-t-elle, déplorant que les bateaux des ONG soient empêchés d’opérer en mer pour des problèmes ou des défauts techniques. Et d’ironiser: “L’Union européenne a beaucoup appris de mon incarcération l’an dernier”.


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