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Une question d’autant plus lancinante qu’une enquête nationale, réalisée par le ministère de la Santé, en partenariat avec l’OMS, en a démontré l’urgence et l’acuité. 48,9 % des personnes interrogées dans ce cadre, y présentaient au moins un signe relevant de tel ou tel trouble mental, allant du simple trouble obsessionnel ou de l’insomnie passagère à des manifestations plus graves comme les psychoses. Par ailleurs, 25,6% des personnes visées par cette enquête présentaient une dépression.
Malgré le nombre important de personnes qui souffrent de troubles mentaux dans notre pays, on ne dispose que de 1900 lits psychiatriques pour une population de 32 millions d’habitants. Trois fois moins de lits que nos voisins algériens et tunisiens.
Casablanca, grande métropole et qui compte 100.000 malades mentaux, ne dispose que de 240 lits. Répartis entre le Centre psychiatrique universitaire (CPU), l’hôpital Baouafi, l’hôpital de Mohammedia et le centre de Tit-Mellil. Encore est-il que ces lits sont loin d’être tous fonctionnels. Citons, au passage, que la ville d’Alger dispose de 700 lits de psychiatrie, contre 800 pour la capitale de la Tunisie. Les chiffres concernant la psychiatrie au Maroc font peur. Très peur même. Ce manque de professionnels, d’infrastructures et de budget, pose un problème de taille, aussi bien sur le plan social qu’économique.
Cette situation peu enviable ne saurait être redressée par le budget infime alloué à la santé mentale dans notre pays (5%). Rappelons, à ce propos, que l’OMS préconise 10% du budget total de la santé pour la santé mentale.
Malgré les progrès importants réalisés au cours de ces dernières décennies au Maroc, il reste beaucoup à faire en matière de psychiatrie.
Il faudrait, en particulier, doter les petites villes et les régions les plus reculées du Royaume, d’infrastructures pour la prise en charge de la maladie mentale. Sans parler de la nécessité vitale de former des médecins psychiatres et des infirmiers spécialisés en psychiatrie. Ce sont justement ces « ambassadeurs de la réalité », comme on les appelle, qui seront à même d’alléger la souffrance liée à la maladie mentale.
Driss Moussaoui, professeur de psychiatrie à la Faculté de médecine et directeur du Centre psychiatrique universitaire Ibn Rochd de Casablanca : “14 provinces n’ont ni psychiatre, ni institution psychiatrique”
Driss Moussaoui : En 1979, nous étions moins de 10 psychiatres. Ce nombre a nettement augmenté depuis, mais il reste très insuffisant. Je pense que le nombre de postes qui sont ouverts par le ministère de la Santé, pour les résidents en psychiatrie (ceux qui font leur spécialité en psychiatrie) est nettement insuffisant. Il faut se poser la question, s’il ne faudrait pas créer un résidanat spécifique pour la spécialité psychiatrique, dans le but d’augmenter le nombre de psychiatres. En Algérie, à titre comparatif, ils sont près de 800 psychiatres, et ce pour une population à peu près similaire à la nôtre. Et pour la Tunisie, qui est beaucoup moins peuplée (10 millions d’habitants), ils sont déjà presque à 200 psychiatres. En France, ce nombre atteint 12.000 psychiatres pour une population de près de 62 millions d’habitants.
Une grande partie de ces spécialistes se concentre dans l’axe El-Jadida-Kénitra.
Effectivement, il y a une concentration importante dans cet axe, comme vous dites. Il y a 14 provinces au Maroc, qui n’ont strictement ni psychiatre, ni institution psychiatrique.
Une ville comme Casablanca, dont la population atteint les 5 millions, dispose en tout et pour tout de 200 lits d’hospitalisation en psychiatrie. Est-ce que vous ne trouvez pas que la situation est alarmante ?
Nous avons actuellement 104 lits au Centre psychiatrique universitaire Ibn Rochd, une vingtaine de lits de psychiatrie à l’hôpital Baouafi, une quinzaine de lits à Mohammedia et une centaine à l’hôpital de Tit-Mellil, qui se trouve à 25 km de Casablanca. Ces lits ne sont pas tous fonctionnels, par manque d’infirmiers. En effet, nous avons un manque dramatique en ce qui concerne le nombre d’infirmiers. D’autre part, l’hôpital psychiatrique de Tit-Mellil accueille essentiellement des malades mentaux qui sont placés par la justice. (Ce sont des patients médico-légaux qui ont commis des crimes ou des délits graves. Et leur hospitalisation dure souvent longtemps). Vous me demandez si la situation est alarmante ? Ma réponse est oui, bien entendu. Il nous faudrait un minimum de 800 lits de psychiatrie, pour pouvoir fonctionner correctement. Nous voyons tous les jours des malades qui ont besoin d’être hospitalisés, parce qu’ils sont dangereux soit pour eux-mêmes, soit pour les autres. Et pourtant, nous ne pouvons les hospitaliser tous, par manque de lits.
Omar Battas, professeur de psychiatrie et directeur de l’UFR : “La psychiatrie n’a pas toujours été inscrite dans l’agenda des décideurs”
Libé : A peine 350 psychiatres pour l’ensemble du Maroc. Pourquoi êtes-vous si peu nombreux ?
Omar Battas : Il y a de multiples raisons à cela. Tout d’abord, la psychiatrie est une discipline relativement récente dans notre pays. L’imaginaire collectif considère que les malades mentaux sont assez particuliers, et que les gens qui s’en occupent sont assez bizarres, quand ils ne sont pas malades eux-mêmes. Ceci ne motive certainement pas les jeunes médecins pour choisir cette spécialité. D’autre part, la psychiatrie n’a pas toujours été inscrite dans l’agenda des décideurs dans le domaine de la santé. Par conséquent, elle n’a pas bénéficié d’un investissement public. Ceci explique en partie la pénurie flagrante en ressources humaines (psychiatres, psychologues, infirmiers, assistants sociaux....)
En plus de leur nombre restreint, une grande partie de ces spécialistes des maladies mentales est fixée dans l’axe El-Jadida-Kénitra.
La raison est socioéconomique. Cette région est relativement la plus développée du pays. Ce qui la rend plus attractive, donc plus rentable pour les structures sanitaires.
Dans une mégalopole comme Casablanca, il y a, à peu près 200 lits d’hospitalisation en psychiatrie. Est-ce suffisant à votre avis ?
A mon avis, c’est nettement insuffisant, eu égard au nombre d’habitants de Casablanca qui avoisine les 5 millions. Ce manque de lits en psychiatrie génère énormément de problèmes. En premier lieu, la non-hospitalisation de certains patients dangereux pour eux-mêmes (suicide) ou pour les autres (hétéro-agressivité). Parmi les autres difficultés, liées à ce manque de lits hospitaliers, il y a le suivi irrégulier, voire même l’abandon de tout soin, et l’épuisement, en fin de compte, des familles qui essaient tant bien que mal de prendre en charge leurs patients à l’extérieur de l’hôpital. Il arrive parfois que ces familles se sentent abandonnées par l’équipe soignante.