Moins d’un an après avoir reçu à Oslo le prix Nobel de la paix, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a endossé le costume de chef de guerre en lançant l’armée éthiopienne à l’assaut de la région dissidente du Tigré, qui défiait son autorité. Le prix récompensait ses efforts de réconciliation avec l’Erythrée voisine, ennemie jurée de l’Ethiopie depuis une guerre meurtrière entre 1998-2000, mais de nombreux observateurs craignent désormais que l’opération militaire qu’il a lancée le 4 novembre au Tigré n’entraîne son pays dans une longue guerre civile. Issu d’un milieu modeste et pur produit d’un régime dont il a gravi les échelons et fut un des maîtres espions, Abiy Ahmed n’a pas encore 42 ans quand en avril 2018 il prend les rênes du deuxième pays le plus peuplé d’Afrique (plus de 100 millions d’habitants).
Né d’un père musulman et d’une mère chrétienne dans une petite commune du centre-ouest, Beshasha, Abiy Ahmed “a grandi en dormant sur le sol” dans une maison sans électricité ni eau courante. “Nous allions chercher l’eau à la rivière”, a-t-il raconté, ajoutant n’avoir découvert l’électricité et l’asphalte qu’après l’âge de 10 ans. Adolescent, il s’engage dans la lutte armée contre le régime militaromarxiste du Derg, dirigé par Mengistu Haïlé Mariam. Opérateur radio, il y apprend par nécessité la langue des Tigréens, ethnie minoritaire (6% de la population éthiopienne) mais dont le Front de libération des peuples du Tigré (TPLF) est le fer de lance du combat anti-Mengistu et le futur noyau dur du régime installé après sa chute en 1991. Il entame ensuite une ascension linéaire au sein de la coalition au pouvoir, le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF), contrôlée par le TPLF. Il gravit les échelons de l’armée jusqu’au grade de lieutenant-colonel et est en 2008 l’un des fondateurs de l’Agence nationale du cyber-renseignement, qu’il dirigera de facto pendant deux ans. En 2010, il troque l’uniforme pour le costume de député, puis en 2015 de ministre des Sciences et Technologies.
En 2018, l’EPRDF est aux abois. Bien que violemment réprimé, un mouvement populaire né trois ans plus tôt au sein des deux principales communautés du pays, les Oromo et les Amhara, a fini par emporter le Premier ministre Hailemariam Desalegn, symbole d’une coalition incapable de répondre aux aspirations de la jeunesse. L’EPRDF désigne Abiy Ahmed pour sauver la situation, faisant de lui le premier Premier ministre oromo. Il offre alors l’image d’un dirigeant jeune et ouvert dans un régime fermé et sclérosé. Il initie de profonds changements et plaide à l’envi pour l’unité de l’Ethiopie, déchirée par les violences communautaires, dans une Corne de l’Afrique chroniquement instable. En six mois, Abiy Ahmed conclut la paix avec le voisin érythréen, fait relâcher des milliers de dissidents, s’excuse publiquement des violences des forces de sécurité et accueille à bras ouverts les membres exilés de groupes qualifiés de “terroristes” par ses prédécesseurs.
Il développe aussi un programme d’ouverture d’une économie largement contrôlée par l’Etat. En secouant jusque dans ses fondations un régime ankylosé par plus de 25 ans d’exercice autoritaire du pouvoir et en pesant sur les dynamiques régionales, il a suscité espoirs mais aussi inimitiés. Des analystes ont rapidement mis en garde: le jeune dirigeant s’est placé dans une situation délicate, car ses mesures phare sont trop radicales et soudaines pour la vieille garde du régime mais pas assez ambitieuses et rapides pour une jeunesse avide de changement. En outre, son ouverture a réveillé des ambitions territoriales locales et d’anciens différends communautaires, débouchant sur des violences meurtrières. Parmi les victimes du changement, le TPLF, qui a contrôlé quasiment sans partage l’appareil politique et sécuritaire durant presque 30 ans et qu’Abiy Ahmed s’est employé à mettre progressivement sur la touche. Passés de facto dans l’opposition, ses dirigeants défient durant de longs mois l’autorité du Premier ministre, jusqu’à ce qu’il leur déclare la guerre. “La guerre est l’incarnation de l’enfer pour toutes les personnes impliquées”, déclarait-il pourtant en recevant son prix Nobel, évoquant ses souvenirs douloureux d’ancien soldat.
Depuis le 4 novembre, il balaie critiques et appels à la négociation, dénonçant “l’incompréhension du contexte” éthiopien. Son cabinet assure qu’il n’a pas changé. Dans une vidéo postée jeudi sur Internet Redwan Hussein, porteparole du comité de crise pour le conflit au Tigré, assure même qu’il mérite “à nouveau” le prix Nobel, “parce qu’il est en train de sauver son pays”. Abiy Ahmed est aussi accusé, après s’être affiché en champion de l’ouverture, d’user désormais de l’ancien autoritarisme, cautionnant des arrestations de masse et des abus des forces de sécurité. Quant aux élections, prévues pour 2020, qu’il promettait désormais libres, elles ont dû être repoussées en raison du coronavirus, le privant toujours de légitimité populaire.
Né d’un père musulman et d’une mère chrétienne dans une petite commune du centre-ouest, Beshasha, Abiy Ahmed “a grandi en dormant sur le sol” dans une maison sans électricité ni eau courante. “Nous allions chercher l’eau à la rivière”, a-t-il raconté, ajoutant n’avoir découvert l’électricité et l’asphalte qu’après l’âge de 10 ans. Adolescent, il s’engage dans la lutte armée contre le régime militaromarxiste du Derg, dirigé par Mengistu Haïlé Mariam. Opérateur radio, il y apprend par nécessité la langue des Tigréens, ethnie minoritaire (6% de la population éthiopienne) mais dont le Front de libération des peuples du Tigré (TPLF) est le fer de lance du combat anti-Mengistu et le futur noyau dur du régime installé après sa chute en 1991. Il entame ensuite une ascension linéaire au sein de la coalition au pouvoir, le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF), contrôlée par le TPLF. Il gravit les échelons de l’armée jusqu’au grade de lieutenant-colonel et est en 2008 l’un des fondateurs de l’Agence nationale du cyber-renseignement, qu’il dirigera de facto pendant deux ans. En 2010, il troque l’uniforme pour le costume de député, puis en 2015 de ministre des Sciences et Technologies.
En 2018, l’EPRDF est aux abois. Bien que violemment réprimé, un mouvement populaire né trois ans plus tôt au sein des deux principales communautés du pays, les Oromo et les Amhara, a fini par emporter le Premier ministre Hailemariam Desalegn, symbole d’une coalition incapable de répondre aux aspirations de la jeunesse. L’EPRDF désigne Abiy Ahmed pour sauver la situation, faisant de lui le premier Premier ministre oromo. Il offre alors l’image d’un dirigeant jeune et ouvert dans un régime fermé et sclérosé. Il initie de profonds changements et plaide à l’envi pour l’unité de l’Ethiopie, déchirée par les violences communautaires, dans une Corne de l’Afrique chroniquement instable. En six mois, Abiy Ahmed conclut la paix avec le voisin érythréen, fait relâcher des milliers de dissidents, s’excuse publiquement des violences des forces de sécurité et accueille à bras ouverts les membres exilés de groupes qualifiés de “terroristes” par ses prédécesseurs.
Il développe aussi un programme d’ouverture d’une économie largement contrôlée par l’Etat. En secouant jusque dans ses fondations un régime ankylosé par plus de 25 ans d’exercice autoritaire du pouvoir et en pesant sur les dynamiques régionales, il a suscité espoirs mais aussi inimitiés. Des analystes ont rapidement mis en garde: le jeune dirigeant s’est placé dans une situation délicate, car ses mesures phare sont trop radicales et soudaines pour la vieille garde du régime mais pas assez ambitieuses et rapides pour une jeunesse avide de changement. En outre, son ouverture a réveillé des ambitions territoriales locales et d’anciens différends communautaires, débouchant sur des violences meurtrières. Parmi les victimes du changement, le TPLF, qui a contrôlé quasiment sans partage l’appareil politique et sécuritaire durant presque 30 ans et qu’Abiy Ahmed s’est employé à mettre progressivement sur la touche. Passés de facto dans l’opposition, ses dirigeants défient durant de longs mois l’autorité du Premier ministre, jusqu’à ce qu’il leur déclare la guerre. “La guerre est l’incarnation de l’enfer pour toutes les personnes impliquées”, déclarait-il pourtant en recevant son prix Nobel, évoquant ses souvenirs douloureux d’ancien soldat.
Depuis le 4 novembre, il balaie critiques et appels à la négociation, dénonçant “l’incompréhension du contexte” éthiopien. Son cabinet assure qu’il n’a pas changé. Dans une vidéo postée jeudi sur Internet Redwan Hussein, porteparole du comité de crise pour le conflit au Tigré, assure même qu’il mérite “à nouveau” le prix Nobel, “parce qu’il est en train de sauver son pays”. Abiy Ahmed est aussi accusé, après s’être affiché en champion de l’ouverture, d’user désormais de l’ancien autoritarisme, cautionnant des arrestations de masse et des abus des forces de sécurité. Quant aux élections, prévues pour 2020, qu’il promettait désormais libres, elles ont dû être repoussées en raison du coronavirus, le privant toujours de légitimité populaire.