Aux confins de la Syrie et de l'Irak, la ville de Cizre est devenue un symbole de la reprise du conflit kurde. Le mois dernier, les forces de sécurité turques y ont affronté la jeune garde du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) pendant huit jours, au milieu de 120.000 habitants aux abois soumis à un blocus total.
Les combats ont été particulièrement meurtriers. Le gouvernement affirme n'avoir éliminé que des "terroristes". Mais, selon les ONG de défense des droits de l'Homme, 21 civils ont été tués et la population de la ville traumatisée.
Les jeunes qui ont pris les armes pour faire le coup de feu contre les unités spéciales de la police antiémeute turque dans les rues de Cizre sont sur la même ligne. Le gouvernement est le seul et unique responsable des violences.
"Nous n'avons fait que nous défendre", assure Siphan à qui veut l'entendre. Le visage dissimulé par une cagoule, T-shirt de camouflage et pantalon de treillis, ce grand escogriffe de 28 ans affiche fièrement son appartenance au Mouvement de la jeunesse patriotique révolutionnaire (YDG-H), une "filiale" urbaine du PKK.
Sitôt levé le couvre-feu, son groupe, qu'il dit fort d'une centaine de jeunes, a remis en place les barricades et les tranchées à l'entrée du quartier de Nur, avec la ferme intention de continuer à en interdire l'entrée aux forces de l'ordre.
"A la moindre occasion, on est arrêtés, nos maisons sont perquisitionnées, je ne veux plus de cette cruauté. On est prêts à faire ce qu'il faut pour empêcher ça", lâche Siphan, "on veut juste que la République turque respecte nos droits de citoyens et qu'elle reconnaisse que nous sommes Kurdes".
Le gouvernement turc a balayé d'un revers de main ces revendications et justifié son recours à la force par la nécessité de réprimer une tentative de "soulèvement" à Cizre, comme dans plusieurs autres villes du sud-est de Turquie à majorité kurde.
"Nous sommes confrontés à une opération qui vise à étendre la guerre menée par les groupes armés (kurdes) des zones rurales aux villes", a expliqué le Premier ministre islamo-conservateur turc, Ahmet Davutoglu.
"Bien sûr, aucun Etat ne peut accepter que des quartiers entiers de plusieurs villes s'affranchissent de son autorité", tranche Vahap Coskun, professeur de droit à l'université Dicle de Diyarbakir, "mais les mesures prises par l'Etat pour réagir aux manifestations et aux provocations du PKK sont largement contraires aux droits de l'Homme".
A la veille du scrutin du 1er novembre, les deux camps s'accusent mutuellement de recourir aux armes pour faire pression sur les électeurs.
"Ceux qui se présenteront devant les bureaux de vote pour terroriser, pour faire pression en disant +vote pour tel ou tel parti+ seront traînés devant la justice", a lancé mardi le chef du gouvernement devant ses partisans à Van (est).
Le Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde) crie lui aussi au scandale et dénonce les arrière-pensées électorales du pouvoir. "Son objectif est de faire que le HDP ne soit pas représenté au Parlement", accuse la députée Caglar Demiralp.
Le bâtonnier de la ville en est lui aussi convaincu. "Le pouvoir essaie d'effrayer les gens pour qu'ils ne votent pas. Il pourrait même annuler le scrutin ici sous de faux prétextes sécuritaires", met en garde Nusirevan Elçi. "Il est facile de tuer, c'est beaucoup plus difficile de faire la paix".