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séparent de l’Aïd Al-Adha, dit Aïd El Kébir. Ce dernier est au cœur des
discussions dans les foyers. C’est la star du mois. Tête d’affiche de toutes
les campagnes publicitaires depuis deux semaines, le mouton occupe aussi le petit écran. Il est à la fois l’appât des sociétés de crédit qui ciblent les Smicards et l’outil de motivation efficace des grandes
surfaces pour booster leurs ventes. D’après les officiels, cette année l’offre en ovins couvre les besoins du marché local. Mais les prix restent à la merci des spéculateurs. Tous les paramètres le permettent, surtout avec l’anarchie qui frappe
ce commerce très juteux. Un commerce qui donne naissance à d’autres activités parallèles. Eclairage.
Le célèbre souk de moutons Afiquia n’est plus. Cette année, les responsables de la ville ont décidé de transformer ce grand espace en un lieu de culte : les Casablancais y feront la prière de l’Aid. Mauvaise nouvelle pour les citoyens puisque ce marché leur assurait une offre riche et diversifiée en ovins. Il était à quelques minutes du centre-ville et bien positionné au cœur d’une dizaine de quartiers populaires de la métropole. Sa proximité de la sortie de l’autoroute vers Mohammedia et Rabat lui a donné une renommée à l’échelle régionale. Des habitants des villes voisines s’y rendaient également pour se procurer de bons moutons à des prix raisonnables. Bien évidemment, en plus des bons prix et de sa proximité, le souk Afriquia avait un autre point positif, celui de l’hygiène. Les moutons gardent leur bonne forme dans des espaces à ciel ouvert. Les mauvaises odeurs dégagées par les bêtes et leurs déchets étaient circonscrites par des clôtures. Ce qui n’est pas le cas dans les grands hangars loués pendant les quelques jours avant le jour «J» dans les différents quartiers. Les citoyens en souffrent énormément, mais la fièvre du mouton leur fait oublier les malheurs des odeurs et de la saleté. Sans oublier l’insécurité qui caractérise ces hangars. Plusieurs incidents ont été enregistrés l’année dernière dans différentes régions du pays : des moutons sont morts asphyxiés dans des garages. Des incendies ont également éclaté dans d’autres hangars. Ce qui met des vies humaines en danger. Côté prix, n’en parlons pas : c’est exorbitant. Les prix du mouton sont trop élevés dans ces hangars. Les spéculateurs le justifient à leur manière : «Nos charges sont énormes. Le hangar nous revient cher. Pour deux semaines, nous louons entre 3.000 et 5.000 DH. Tout dépend de la région, de la superficie et surtout de l’emplacement du hangar. En plus des charges quotidiennes (nourriture et breuvage des bêtes), il y a aussi les frais des gardiens et du personnel», explique El Mardi, spéculateur. En «off», le commerçant nous a assuré également que d’autres charges s’y ajoutent, celles des agents d’autorité dont il achète le silence, à prix d’or, car le local où il s’est installé n’était pas destiné au commerce puisqu’il ne disposait pas du fameux sésame permettant l’exercice de cette activité. «J’ai des amis dans certaines régions de la métropole qui réservent des moutons à ces agents pour qu’ils puissent travailler en toute quiétude, loin de toute inspection sanitaire ou contrôle impromptu. Heureusement pour moi que les autorités du quartier Inara à Casablanca sont un peu indulgentes avec les commerçants. D’ailleurs, ils ne veulent pas attenter aux intérêts des habitants du quartier qui profitent de cette période pour gagner un peu plus d’argent», ajoute-t-il. Notons que souvent ces commerçants viennent à la fin d’une grande chaîne de spéculateurs. «Entre l’agriculteur et le consommateur final, toute une chaîne de spéculateurs bénéficient de ce marché très juteux, sans le moindre contrôle de l’Etat qui évalue les recettes de ce marché à quelque 7,7 milliards de dirhams. La grande marge revient bien évidemment aux spéculateurs», précise un observateur. Ceci dit, l’agriculteur et le consommateur sont lésés par ses spéculateurs que les officiels encouragent davantage en leur offrant plus de marge de manœuvre dans les villes et même en milieu rural. On peut rappeler que les autorités de Casablanca qui ont décidé de transformer le souk Afriquia en un lieu de culte, ont par ailleurs cédé un autre grand marché à Sidi Moumen à une société de gestion qui a fixé le prix d’accès au souk à 1000 DH. Une taxe trop élevée par rapport à celle versée aux gérants du souk Afriquia, l’année dernière. Ladite société exige le paiement des 1000 DH à chaque entrée de bétail. Mesure qui décourage les petits commerçants, incapables de payer ce prix fort. Même certains spéculateurs ne sont pas satisfaits de cette initiative et ont opté pour l’autre formule : louer en groupe des hangars qui serviraient de dépôt, de point de vente et de logement pour les commerçants et leur personnel. Dans les deux cas, les spéculateurs en profitent pour booster les prix sous prétexte que les charges sont élevées. Et pourtant, les responsables affirment un peu partout via les médias que l’offre dépasse la demande et que les prix sont à la portée des citoyens. Ils avancent même que le volet hygiène est bien maîtrisé. Ce qui n’est pas le cas en réalité. Au niveau des différents points de vente, le manque d’hygiène, de contrôle sanitaire et la spéculation sont légion. Dans presque tous les quartiers de la métropole, les odeurs que dégagent ces hangars sont à couper le souffle des usagers et des passants. Les petits commerces de foin et d’armes blanches en plein public s’ajoutent aux autres aspects de l’anarchie qui caractérise cette saison. Ce qui rend la vie infernale dans les quartiers populaires. Surtout que les sociétés chargées de la collecte des ordures ne multiplient pas le nombre de passages des camions de collecte es déchets en cette période. Ils savent pourtant que l’Aïd est une occasion les saletés et les ordures se multiplient. Notons ainsi que rares sont les campagnes de sensibilisation des citoyens. Ces sociétés avaient promis de distribuer des sacs en plastique, mais rien de cela n’a été fait jusqu’à présent.
Les malheurs des chefs de familles
Face à cette situation, les consommateurs, qui ne pensent qu’à la frénésie des prix, restent, d’une part, à la merci des spéculateurs et, d’autre part, à celle des sociétés de crédit qui les harcèlent avec leurs offres alléchantes. Hamid en est un. Ce quadragénaire est malheureux. Il ne sait plus quoi faire. Satisfaire sa femme et ses deux petites filles ou se contenter d’acheter une petite bête. Sa femme exige un grand mouton. La bourse de Hamid ne le permet pas. «A peine je peux m’acheter un mouton à 1800 DH. Un budget modeste par rapport au marché. Je ne peux aller au-delà de cette somme. Surtout que je suis surendetté», avoue le père de famille. Mais sa femme, entêtée, ne veut rien savoir. Séduite par l’image du beau mouton sur les spots publicitaires et sur le petit écran, la conjointe de Hamid a son propre argument : «Tout le monde prend un crédit. En plus il est gratuit. Il n’a qu’à contracter 2500 DH qu’il paiera sur dix mois. Cela nous permettra d’avoir comme tous nos voisins un mouton respectable». Mais elle oublie que son mari est surendetté. Notons dans ce sens que rien n’est gratuit. Les frais de dossier réclamés par les sociétés de crédit équivalent à un intérêt de 7,5 % sur une durée de 10 mois. Et le consommateur est lésé. La Fédération nationale de la protection du consommateur avait même tiré, depuis deux semaines, la sonnette d’alarme sur la question : «Les panneaux publicitaires et les messages publicitaires mensongers créent illégalement le besoin chez le consommateur frappé par la frénésie du consumérisme. Ce qui expose les salariés à des crises financières inattendues dans les mois qui précèdent l’Aid. A peine sortis des vacances, du Ramadan et de la rentrée scolaire, ces derniers sont rattrapés par les crédits ». D’importants prélèvements s’effectuent sur leurs salaires.
Pour les non salariés, la situation est pire. Certains vendent leurs meubles à des prix dérisoires pour s’acheter un mouton. D’autres s’adonnent à d’autres pratiques pour satisfaire les caprices d’un enfant, d’un parent âgé ou d’une femme exigeante. De l’autre côté de la ville, à proximité de Hay Drissia, un petit marché est né en cette période de l’année. Un petit espace où les «adeptes de l’immolation» offrent leurs meubles à des prix dérisoires. Ceux qui n’en disposent plus, s’adonnent à la manche. Les mendiants sont plus nombreux en cette période. Les voleurs, en tous genres, aussi. Les prostituées le sont davantage. En un mot : la conquête du mouton mobilise toutes les couches sociales. Ce souci commun devient de plus en plus persistant à mesure que le jour fatidique approche. A vrai dire, l’Aïd El Kébir est loin d’être une fête pleine de joie et de plaisir pour les chefs de familles qui s’efforcent avec les moyens dont ils disposent de satisfaire les leurs.
Face aux voleurs de bétail
Chacun a sa manière et ses «compétences» d’assurer la protection du mouton de l’Aid. Les plus spectaculaires d’entre eux, ce sont les voleurs de bétails qui restent la catégorie la plus menaçante. Elle est également la plus crainte par les commerçants qui veillent sur leur bien. Des tours de garde sont effectués même dans les hangars fermés. L’enjeu est de taille : «Le plus petit des spéculateurs dispose d’un stock évalué à plus de 120.000 DH. Ce qui fait de nous la cible favorite des pilleurs de bêtes. Plusieurs spéculateurs ont péri lors des opérations de vol. Dans les campagnes, les gendarmes sont très vigilants», explique un spéculateur. Et d’ajouter : «Nous sommes plus exposés aux dangers sur les routes. Surtout quand il fait nuit. Les voleurs provoquent volontairement des accidents pour nous obliger à nous arrêter. C’est pourquoi nous nous déplaçons toujours avec du renfort». Certains voleurs préfèrent la ruse aux agressions physiques. L’année dernière, un agriculteur a été victime d’une arnaque spectaculaire. De pseudo-spéculateurs se sont présentés chez lui pour négocier l’achat de 180 moutons. La transaction a eu lieu. Un acompte a été versé à l’agriculteur. La livraison était prévue pour le lendemain. Arrivé tôt sur les lieux, l’agriculteur a trouvé ses bêtes en train de mourir. Il n’avait pas d’explication à donner aux spéculateurs qui ont décidé de renégocier les prix afin d’égorger les bêtes et de les écouler auprès des bouchers de la région. De par la gravité de la situation, l’agriculteur accepte sans perdre de temps. Rapidement, la marchandise est chargée dans les camions qui quittent aussitôt les lieux laissant derrière eux un mouton toujours en vie. Le vétérinaire a affirmé par la suite que le mouton se portait bien, mais qu’il était seulement drogué. Pendant que les spéculateurs négociaient le prix, l’un d’entre eux imbibait les breuvages de moutons de produit soporifique. L’arnaque dépassait, cette fois-ci, l’agriculteur, au point qu’il était tombé dans le piège. Une histoire, parmi d’autres, que les spéculateurs se racontent pour faire plus attention aux voleurs et autres arnaqueurs.