​Les maux douloureux d'hier et les mots insuffisants d'aujourd'hui

Un retour sur un passé qui a consommé notre jeunesse et notre vie d'adultes, nous les vieux d'aujourd'hui


Par Mohamed Azergui
Vendredi 14 Novembre 2014

​Les maux douloureux d'hier et les mots insuffisants d'aujourd'hui
Le Maroc, pays d’essence amazighe, est à un carrefour mondial et donc, région de diversité. Les colons phéniciens, les envahisseurs, Romains, Vandales, Arabes et autres, sont repoussés dehors. Les Almohades arrêtent la marée des bédouins d’Arabie en Tunisie et en fixent un pan à l’Est du Maroc. Les Mérinides installent dans trois cités, une partie des expulsés (musulmans, juifs) après la reconquête espagnole. Les Marocains ont lutté durant trois siècles contre les Portugais sur notre littoral atlantique. Ils ont aussi lutté contre l’invasion du pays par les colons français et espagnols (luttes au Sud, Al Hiba), guerres du Rif (Khatabi), résistances dans les monts d’Atlas ( M. H.Zayani). La répression coloniale fut brutale (servitudes, corvées, impôts, prises illégales de terres). 
Dans les années 40-50, la résistance et la lutte anticoloniales reprenaient fortement partout au pays. Police, soldats, mokadems, amghars, caïds, collabos, délateurs et autres surveillaient et contrôlaient. La peur et la terreur régnaient, les prisons se remplissaient. Tous nous attendions la délivrance qui survint en 1956 que les Marocains ont tant espérée et rêvée. 
Tout le pays était en euphorie de fêtes; folies sans fin. Partout, des festivités en continu dans les villages et les souks, payées par les paysans pauvres. Partout, des festivités en continu dans les villes payées par les artisans, et les boutiquiers pauvres. Durant ces fêtes, des chefs venus de nulle part font des discours de fourbes en arabe dit sacré. Ce sont des loups avides du butin colonial et du pouvoir. Ils dissimulent les réalités (Sahara occupé.....) Leurs intrigues, leurs félonies, voracités et leurs cupidités n’ont pas échappé à la sagesse du peuple. La hache est la même, on l’a aiguisée et on lui a changé le manche, a dit d'eux un sage amazigh.
Durant près d’un demi-siècle, nous avons enduré des maux que les mots n’ont pas embaumés. Révoltes suivies de répressions collectives atroces et provinces entières bannies pour des décennies. Emeutes répétées réprimées dans le sang dans les grandes villes, pour l’école et le pain pour tous. Enlèvement d’opposants, disparitions, arrestations, prisons, tortures, assassinats, exécutions à l'aube. Séisme meurtrier d’Agadir, punition divine paraît-il et aide populaire et mondiale en partie subtilisée(!?). La mort subite de SM Mohammed V, monarque juste, adoré et aimé de tous les Marocains a affligé les Marocains. Une nouvelle ère débutait.
 Sécheresses chroniques, désertification rampante, exode rural en masse, bidonvilles, misère de tous la caractérisaient. Départ précipité des centaines de milliers de juifs amazighs après plus de 2000 ans de vie active au pays. Le colonat terrien européen cédait les terres arrachées dans le sang au colonat délétère urbain du pays. Enrichissement des familles de la mafia politique, grandes misères des masses rurales et urbaines. La corruption de tous, par tous, partout, pour tout, depuis 1956 elle s’est intégrée progressivement dans notre culture.
Le panarabisme naïf détruisait les esprits, (propagandes) les peuples, les langues (Kurdes, Amazighs) en plus des arabisations à outrance par obédience au nassérisme d’antan, et aux pétrodollars oligarques du Golfe. Dissolution institutionnalisée et délibérée de la culture, de la langue et de l’identité amazighes du pays. Enseignement au rabais et arabisé à outrance pour nous les démunis, écoles de qualité payantes pour les nantis. Simulacres d’élections, ombres de constitutions octroyées, adoptées et cautionnées par référendum. 

Mort subite d’un 
monarque fort

Il a dirigé le pays dans la douleur,  la sécurité et le labeur vers le progrès. Après lui, la pieuvre islamiste installe ses tentacules toxiques partout au pays, et arrive à prendre le pouvoir. Certaines de ces plaies sont profondes et incurables et aucun mot ne suffira à les guérir. Déjà au XVIe siècle, selon Léon l’Africain, les citadins des médinas du Nord méprisaient les tribus voisines amazighes avec qui ils commerçaient, achetaient leurs terres et les transformaient en serfs. Au XIXe siècle pour s’en protéger, avoir le monopole du négoce, ils s’alliaient à l’Europe (les protégés). Au XXe siècle alors qu’ils se terrent dans leurs cités, les tribus chleuhs luttent 20 ans durant contre les colons. 
Les descendants de ces citadins et des notables ruraux seront les scribes choyés des colons. Ils prendront à partir de 1956, les rênes du pays que d’autres ont libéré avec leur sang et leur vie. Ces citadins n’oublient pas cette angoisse séculaire et ancestrale des tribus environnantes toutes amazighes. Les médinas des années 40 et 50 étaient un calvaire raciste, suffocant pour nos pères boutiquiers soussis. Dès 1956 le racisme anti-amazigh est institutionnalisé de façon explicite par la force de la loi d’Etat. Il était ainsi interdit aux Imazighens de parler leur langue plusieurs fois millénaire dans l’administration, devant la justice, à l’école, à la radio ou l’écrire dans la presse, soit partout. 
Ils ne parlaient plus en amazigh que dans les villages, aux foyers. Ils s’attirent des regards de mépris en ville. «Parle arabe, langue du Prophète, du Coran ou tais-toi» nous lançait-on avec mépris en ville. Le slogan omniprésent était « une seule langue, l’arabe langue sacrée de l’Océan au Golfe arabique ». En 1957 une commission dite nationale qui ne compte aucun amazigh décrète l’arabisation comme l’un des quatre principes de base de toutes les politiques éducatives du pays à venir.
Les Constitutions octroyées jusqu’en 2011 ignorent les Amazighs sur la terre de leurs ancêtres. Pour ces document de base, les Amazighs n’existent pas. L’exode rural, l’urbanisation, les médias, les écrits, les revues, le panarabisme, l’école publique assassinent la langue et la culture amazighes.

Parler de l’amazighité 
du pays était criminel, 
punissable  

Ces maux sont si profonds dans notre mémoire amazighe et la religion ne peut plus les embaumer. 
Selon mes souvenirs d’enfance (années 40-50) des monts de l’Anti-Atlas, nous avions une religion modérée basée sur les cinq piliers de l’islam. Mon grand-père, seul hadj du village, était un paysan laborieux et pieux. Il faisait seul ses prières là où il se trouvait avec ferveur (très tôt le matin sur une Tizi, col, sous le soleil ardent dans la vallée, ou de nuit au retour). Il donnait discrètement le 1/10 de ses récoltes aux pauvres et à la médersa de la tribu (Tanalt). Il faisait le Ramadan sans rien changer dans son rituel de travail dans les champs ou aux souks. Il achetait des amandes sèches des villages, les vendait souvent à son ami Isaac, juif amazigh. C’est là l’islam pur, simple, sans idéologie que les Amazighs se sont donnés, voire reconstruit sur les piliers.
Dans les médinas d’antan, les gens pratiquaient aussi la religion de façon simple, modérée. Mais depuis le début des années 80 à nos jours, nous avons au pays un autre islam hybride, politisé. Des barbus et des voilées, à peine alphabétisés, mais tous illettrés pullulent de partout au Maroc. Ils sont financés grassement par les pétrodollars des pays arabo-islamistes wahabites du Moyen-Orient. 
Le Makhzen reste indifférent face à ces prosélytes car ils prêchent l’obéissance aux maîtres du pays. Ils envahissent les espaces publics (souks, villes, rues, quartiers, mosquées, bus, universités, médias). Sans remords aucun, ils envahissent la vie privée des gens (prêches forcés dans les fêtes familiales). Partout dans les campagnes et les villes apparaissent des milliers de cassettes, de vidéos, de livres et de revues (presque gratuits) faisant l’apologie d’une religion et diffamant les autres cultes du monde. Ils enferment les femmes dans le harem et en sortant ils les couvrent de tentes noires suffocantes. Le vendredi ils vont avec leurs fils à la mosquée, laissent leurs filles et femmes leur faire du couscous. 
Les barbus utilisent les lieux de culte et publics pour endoctriner les voilées et font pire en privé. Ils sautent au dernier wagon des révolutions arabes, arrivent au pouvoir, s’embourgeoisent. Des familles nanties d’obédience moyen-orientale sont au pouvoir en continu depuis plus de 50 ans. En fourbes, elles se sont créé des opportunités d’enrichissement prétextant le nationalisme de loup. Elles ont pris en prédateurs cruels le butin colonial: terres, fermes, sociétés, négoces, banques, pêche. Elles ont usurpé en prédateurs pour peu d’argent les biens des juifs marocains, terrorisés et vite partis. Elles ont pris en prédateurs tous les biens des étrangers prétextant la pseudo-marocanisation. Elles ont pris en prédateurs tous les biens de la Nation en prétextant la pseudo-privatisation. Elles ont pris en prédateurs les terres, les ruraux quittant les terres de leurs ancêtres pour la misère des villes.
Aujourd’hui, des décennies après, le départ des colons étrangers, les nouveaux colons sont bien là. Dans les villes, ils vivent à part dans de beaux quartiers chics au milieu de verdures et paix. Bientôt comme cela se fait en Orient arabe, ces quartiers seront barrés de clôtures anti-pauvres. Ces bénis de Dieu sont dans des villas, en petites familles servies par les esclaves modernes. (caméras, chiens, gardiens, jardiniers, chauffeurs, cuisiniers, nurses, bonnes à tout faire…).
 Ils quittent leurs paradis dans de grandes voitures et nous regardent à travers vitres teintées. Ils sont nourris de produits bio, habillés à la mode, soignés en Europe, ont leur sauna, piscine. Ils vont en maîtres dans leurs usines, sociétés, entreprises, bureaux de manitou de Makhzen. Par contre, la majorité des Marocains vivent dans la pauvreté et la souffrance au quotidien. Ils survivent dans les logis délabrés isolés des villages, les baraques et les bidonvilles insalubres. Ils ont laissé la campagne face aux sécheresses, aux manques de soins et d’écoles publiques. Ils luttent au quotidien en travaillant dur pour peu, mendiant, volant, parias et esclaves modernes de nos cités.
  Aucun mot n’est suffisant pour exprimer ces inégalités entre une minorité nantie et le reste. Pas de mot non plus pour soulager ce sentiment d’injustice sociale vécue par une masse démunie, résignée. La démocratie c’est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, paraît-il. Donc, ce que nous avons subi depuis 1956 stoïquement pour la cohésion nationale n’en est pas une. La démocratie signifie une Constitution élaborée par les élus du peuple, adoptée par le peuple. La démocratie signifie des élus locaux et nationaux choisis selon des élections sans fraudes. La démocratie signifie un gouvernement responsable devant le Parlement seul et la justice. La démocratie signifie l’alternance dans les pouvoirs selon la compétence et le verdict des urnes. 
En démocratie, les droits universels de l’Homme sont défendus et non usurpés par les Etats. En démocratie, l’ethnie majoritaire souvent autochtone n’est pas marginalisée (ex Amazighs). En démocratie, pas de culture, de langue de dominés (Amazighs) et de dominants (Arabes). En démocratie, la femme est l’égale de l’homme en dignité, devoirs et droits dont l’héritage. Sous les cieux de démocratie, les citoyens sont égaux devant la loi y compris les chefs d’Etat. Sous les cieux de la démocratie, les richesses illicites sont prohibées surtout pour les politiques. Sous les cieux de la démocratie, il y a une protection sociale institutionnelle pour les démunis. Sous les cieux de la démocratie, il y a une école de qualité pour tous, surtout pour les démunis.
   Aucun discours ou rhétorique aussi habiles soient-ils, ne pourront transformer le vécu. Ils sont là, indélébiles, inscrits dans l’Histoire et crient que ce nous avons enduré n’est pas démocratique. Les maux sont là profonds, et les mots subtils ne peuvent rien y changer. Au pays, nous avons depuis toujours l’arganier, un don de Dieu rarement vu ailleurs et l’olivier qui nous vient du Moyen-Orient… Au pays, nous avons deux arbres de salut : la démocratie et l’éducation. L’école publique marocaine est malade de naissance (1957), au bas des écoles des nations.
 En fait, nous avons un enseignement de qualité, privé, payant pour les filles et garçons de nantis et nous avons un enseignement de masse au rabais, arabisé, pour les filles et garçons de démunis. Après plus de 50 ans d’indépendance, la scolarisation est à peine généralisée à tous les enfants du pays. Mais la déperdition scolaire est massive; l’école publique a perdu son aura d’antan. Ainsi, sur 100 élèves de CP à peine 10 arriveront en terminale et moins de 5 obtiendront leur BAC.  
Les bacheliers filles et fils de nantis et d’enseignants ont en général leur bac avec mention… Ils maîtrisent la langue française et l’anglais, langues de l’enseignement supérieur et  iront dans les grandes écoles (ingénieurs, médecine, pharmacie) du pays, en Europe, Canada et Etats-Unis. Ils prendront la relève des parents dans leurs métiers, (finances, PDG, commis de l’Etat). 
Les bacheliers, garçons et filles de démunis, ont un français très approximatif, leur anglais est faible et ils n’excellent pas en arabe. Ils iront en masse dans les instituts et facs de relégation pour s’y nourrir de faux espoirs. Ils rejoindront par milliers le peuple des chômeurs. Désespérés, beaucoup se réfugieront dans les drogues, la religion, le fatalisme, le fanatisme et l’islamisme enracinés par l’école.  Les contenus scientifiques de nos programmes sont certes de haut niveau mais mal enseignés (mal arabisés, pas de matériel didactique, pas de TP, surcharges des classes de collèges et lycées).
L’arabisation de l’enseignement scientifique est une décision à caractère démagogique et non un acte pédagogique Les contenus culturels des programmes sont axés sur l’identité arabe aux dépens de l’identité amazighe (les textes des livres de lectures, du CP au bac, font l’apologie de l’arabité). L’Histoire du Maroc, pays millénaire de l’Afrique du Nord, commence dans les manuels d'antan avec celle de l’Arabie ! La langue, la culture,  et l’écriture amazighes n’ont pas de place dans les écoles au pays de leurs ancêtres.
 L’éducation islamique est omniprésente de façon hebdomadaire (2h) prégnante du CP au bac. Elle fait l’apologie d’une seule religion et aucune leçon sur les autres religions du monde. Les barbus et voilées n’hésitent pas à dénigrer les autres cultes de l’humanité devant leurs élèves (au su ou à l’insu des responsables paraît-il) et ce, au sein de l’école publique au XXIe siècle.   


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1.Posté par hssina le 14/11/2014 10:54
parler de l'essence amazigh" d'un pays multiculturel témoigne d'un extrémisme ignare de l'auteur et devrait être criminalisé afin d’éviter les conséquences de tout essentialisme. le berbère n'a guère plus d'importance que l'arabe et l’équilibre s'impose. les postures de victimisations n'amènent qu'aux larmes. faite un musée du passé culturel amazigh et justifiez vos action de ce qui se passe actuellement par le présent. Je Suis arabe et Fière de l’être. Dominer le Maroc sous prétexte de son essence amazigh, "ni muerto " comme disent les espagnoles.

2.Posté par Amazigh le 14/11/2014 22:27
Article tres vrai et tres enrichissant! Il est rare de parler en tout honneteté, je tiens à saluer l'auteur de cet article.

3.Posté par salih latrous le 15/11/2014 16:19
Excellent article le lisant jee mortifere trouve que les memes conclusions concernent l algerie le wahabisme est passé par la nostalgie des temps anciens nos pays ne se releveront pas de ce cauchemar sans se demarquer de cette culture wahabiteere mortifere

4.Posté par azergui Mohamed le 16/11/2014 13:34
A Mr, Mme ou Mlle Hsina
De toute évidence vous n'avez pas lu l'article !!! et vous ignorez l'Histoire vraie du Maroc. La personne qui a écrit article en tant que ex Pr universitaire aujourd'hui retraité, connait très bien son sujet pour avoir lu tous les article de Lamalif et assass , archives berbères et marocaines (site BNRM)
Vous n'avez pas le droit de traiter cette personne d'ignare ( 40 ans de métier Prof).
Vous n'avez pas du tout le droit de mettre la culture et la langue amazighes dans le musée.
Les amazighs, que vous n'aimez pas, travaillent fort et ce, dans tous les domaines ici au Maroc et à l'Etranger.
Quant à me criminaliser : pratique révolue des années du Plomb ( venue de Md 6)
Tanmirt

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