Dans ce climat de crise, les services secrets français et russe vont s’arracher les services d’Alexandre, un personnage transparent qui ne semble être rien d’autre que l’incarnation narrative de l’écrivain jouant avec le lecteur. Que s’est-il passé pour que les rapports entre la France et le Maroc se détériorent autant, dans un contexte de lutte international contre le terrorisme, notamment après le massacre à Charlie Hebdo ? Est-ce que la coopération judiciaire pourra se rétablir ? Si oui, comment ? Les questions virent très vite à la paranoïa. Chacun est tellement pris dans ses propres jeux qu’il devient incapable de saisir la dimension panoramique du jeu. Il ne s’agit pas de chercher un enchainement factuel et logique ou bien une intrigue à ce roman mais de suivre un périple – tiens le mot me dit quelque chose - tout autour de la Méditerranée. Ce n’est pas un hasard si le pseudo d’Alexandre est Ulysse et qu’il lui arrive de boire un vin qui s’appelle Ithaque. Ce dernier traîne de pays en pays, de réceptions en réceptions. Il est chargé d’observer ce qui se passe et de savoir qui est qui : « Votre mission est simple, poursuit-il, vous devrez collecter toutes les informations que vous jugerez utiles sur la situation culturelle, politique, sécuritaire, militaire, juridique […] les seuls capables de rapporter de l’information, ce sont les agents de la DGSE et les journalistes, parce que ce sont leurs métiers respectifs. Vous, vous cumulerez les deux ». Faisant corps avec sa couverture de journaliste, il se rend compte que le but n’est pas de dissocier la vérité de l’erreur mais plutôt de comprendre et de se positionner parmi les différentes représentations de l’exactitude qui luttent entre elles.
Qui a raison ? Qui a tort ? Et quelles sont les stratégies latentes des situations explosives qu’il traverse ? Durant son périple, Alexandre rencontre tout un ensemble de personnes qui existent réellement, depuis Abdallah le bouquiniste du Chellah à l’artiste Chourouq Hriech, en passant par la célèbre styliste Fadila El Gadi, Yann Lechartier du Grand Comptoir, le journaliste Merouane Kabbaj et même un sociologue dénommé Jean Zaganiaris. Il déjeune au restaurant Le Cosmopolitan, dans le quartier des Orangers, et se rend dans les cafés de la place Piétri. Il soutient le talentueux écrivain Reda Dalil face aux « néo-staliniens de la critique littéraire, dont le combat est à des années-lumière des préoccupations du lecteur » et vit des passions amoureuses avec les belles femmes qui croisent sa route. Le dénouement sera à la hauteur des diatribes mielleuses qui jalonnent le récit. Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage au milieu des mots…
*Enseignant chercheur
CRESC/EGE Rabat
(Cercle de Littérature Contemporaine)