Watchmen est un film de superhéros en phase terminale, un film noir et une uchronie politique, qui offre l'avantage important pour le spectateur contemporain de voir se matérialiser quasiment au millimètre près certaines cases dessinées par Dave Gibbons. Les lecteurs de Moore seront saisis de contempler sur écran la mise en place charnelle de ce qui relevait jusqu'ici du seul imaginaire et du dessin. Snyder fait mieux dans son genre que Miller/Rodriguez sur Sin City et bien mieux que Miller sur le Spirit d'Eisner.
Lorsqu'il s'agit de comparer Watchmen le film et Watchmen la BD, on n'est pas, pour une fois, dans la situation déséquilibrée où on compare une panouille et un chef d'œuvre. La supériorité de la BD tient ici avant toute chose à son format et aux qualités qui en découlent. Moore, interrogé (un bon milliard de fois) sur l'adaptation en cours avait dit quelque chose d'évident mais de terriblement vrai : - Pourquoi est-ce que vous ne vous intéressez pas au film, Monsieur Moore ? - Parce que Watchmen est une BD et pas un film. C'est là que se trouve la réponse.
Dans le film, Snyder a mis sur le même plan à peu près tous les Watchmen, leur consacrant à chacun un développement en flashback (sauf à Ozymandias qui en pâtit terriblement) qui permet de contextualiser leur présent et de coller à la structure de la BD. Ce type d'exposé fonctionne très bien en livre mais un peu moins en film. Les règles du cinéma veulent que le présent des personnages permette peu à peu d'en dévoiler la psychologie et l'historique et pas qu'on se lance dans des bulles cryptotemporelles de ce type (ok, il y a Citizen Kane et aussi... La Cité de la peur). Là où le livre permet un attachement du lecteur à l'un ou l'autre des personnages (la force de Rorschach emporte tout dans le livre), le cinéma juxtapose 4 ou 5 sous-récits de 10 minutes strictement égaux. Ce séquençage équitable ne nous permet pas de formuler une vraie préférence.
Réalisme graphique et temps du récit
La supériorité du roman graphique transparaît bizarrement aussi dans le rendu du réel. Paradoxalement le film fait moins vrai et moins réel que le dessin aux couleurs vives de Gibbons. La mise en case de Moore (9 par page) produit un effet déambulatoire et un rythme ralenti (lorsque Rorschach se déplace notamment, sur les premières pages, lorsqu'on rentre chez Moloch ou lorsque le Hibou discute avec Hollis...) qui sont beaucoup plus réalistes que les quelques secondes du monde réel proposées par le film pour décrire la réalité, et qui reposent toutes sur des clichés narratifs ou des cinèmes déjà vus ailleurs. La BD a un temps, des temps dont chaque segment peut, sous l'effet de la lecture, prendre une durée et une saveur différentes. Le cinéma offre, lui, un découpage standardisé où l'émotion et la substance sont prédécoupées, et ont déjà fait l'objet d'une utilisation dans d'autres films. Le refus de Snyder de se confronter au squid est une autre illustration de ce phénomène. Là où Moore peut se payer un instrument de fin presque comique (tragique, évidemment), le cinéma ne peut se l'offrir car il n'a pas de référent qui permet de stimuler le spectateur dans le bon sens. Les monstres de cinéma sont des monstres qui mettent du temps à apparaître (Godzilla, King Kong, le truc de Cloverfield), qu'on a du mal à montrer. Le cinéma, contrairement à la BD, ne peut pas se permettre de juxtaposer l'absurde et le sérieux, le surréaliste et le psychologique sans griller ses effets. Il suffit de voir à quelle vitesse est tué Rorschach dans le film pour voir que quelque chose cloche.