Villes sans bidonvilles Ce rêve que l’on n’a de cesse de caresser

Tant que les vrais problèmes seraient ignorés, l’objectif ne pourrait être atteint


Hassan Bentaleb
Mercredi 17 Juillet 2024

Villes sans bidonvilles Ce rêve que l’on n’a de cesse de caresser
Qu’en est-il du programme « Villes sans bidonvilles » (VSB) censé prendre fin en 2010 ? Selon les experts, « il ne cesse de chanceler ». En effet, plusieurs dates ont été avancées, mais aucune d’entre elles n’a été respectée. Pour le gouvernement Akhannouch, l’année 2028 sera le nouvel horizon pour éradiquer complètement les bidonvilles dans le pays.
 
Ambition

Intervenant lundi,  à la Chambre des représentants, le chef du gouvernement a indiqué que «l’Exécutif prévoit de mettre en œuvre un programme quinquennal pour la période 2024-2028 afin d'accélérer la lutte contre le mal-logement et résorber les bidonvilles pour 120.000 familles ciblées». Ce programme repose, selon lui, sur « des subventions directes comme mécanisme d'incitation financière à la résorption des bidonvilles, et la poursuite de l'approche de relogement et de mobilisation des unités immobilières dans le cadre d'un partenariat public-privé ». Il a ajouté que « le rythme annuel de réalisation est passé de 6.200 ménages ciblés sur la période 2018-2021 à plus de 18.000 ménages par an au cours des deux dernières années, soit près de trois fois plus, avec un doublement du rythme de réalisation, notamment dans les grandes zones urbaines et les grands ensembles tels que Casablanca, Marrakech, Témara, Skhirat et Salé ». Et de conclure que « le programme "Villes sans bidonvilles", qui a coûté au Trésor public un budget total d'environ 45,7 milliards de dirhams, a permis d'améliorer les conditions de vie de plus de 347.000 familles depuis son lancement et  de se débarrasser des bidonvilles dans 61 villes ».

Doutes

Toutefois, nombreux sont les observateurs qui estiment que l’année 2028 ne sera pas la date de l’achèvement du programme VSB. D’après eux, ledit programme traîne depuis des années un grand nombre de contraintes, défis et difficultés que les politiques publiques ne semblent pas prendre au sérieux. En effet, depuis des années, les alertes des experts, élus, acteurs de la société civile n’ont  cessé de souligner les problèmes liés au ciblage, à la gouvernance, au financement, etc. La Cour des comptes, dans son évaluation du bilan de l’intervention de l’Etat en matière d’éradication des bidonvilles, a dévoilé que les réalisations étaient mitigées. En effet, depuis le lancement du programme VSB en 2004, il a été constaté que le nombre de ménages concernés n’a cessé d’augmenter. Parti d’un objectif de 270.000 ménages, ce nombre a atteint 472.723 en 2018, soit une augmentation de 75 %, avec un ajout annuel moyen de plus de 10.669 ménages. «Ainsi, malgré l’importance des efforts déployés par l’Etat, ayant permis le traitement de la situation de quelque 280.000 ménages entre 2004 et 2018, le programme VSB éprouve encore des difficultés à avancer avec la célérité requise en vue de réaliser ses différents objectifs et d’aboutir à l’éradication des bidonvilles», explique la Cour. Et de préciser: «Cette situation est due à des dysfonctionnements dans le processus d’exécution du programme: anomalies dans l’élaboration des contrats-villes, lacunes dans la gestion et le suivi, défaillances dans la maîtrise des subventions du FSHIU et changements récurrents des objectifs assignés au programme ».

Inefficacité

Un autre rapport de la même institution témoigne que ledit programme n’a atteint que 60% de son objectif, sachant qu’il prévoyait d'éliminer les bidonvilles en 2010, dans toutes les villes du Royaume ou du moins rendre ce «phénomène marginal». De 2004 à 2018, la programmation du plan a connu quelques lacunes, a indiqué la Cour dans son rapport, soulignant que les mesures et procédures qui ont été adoptées restent insuffisantes pour lutter contre le phénomène des bidonvilles, surtout en l'absence d'un cadre juridique favorable.

La Cour a également relevé que les dispositifs de prévention mis en place pour éradiquer ce type de logement sont inefficaces, ajoutant qu’il y a une faible harmonie entre la gestion urbaine et la politique du logement, sans oublier que les aides financières publiques sont inadéquates par rapport aux objectifs.
 
Le rapport explique que parmi les raisons de l'échec de ce programme figure l’absence d’une définition unifiée du terme bidonville, avec une certaine ambiguïté concernant les critères d'éligibilité pour bénéficier du programme, rappelant également qu’il y a une grande différence entre les régions au niveau des critères d'éligibilité. Selon la même source, le programme aurait coûté plus de 30 milliards de dirhams sur plus de 15 ans. Néanmoins, cette somme n'a pas été répartie convenablement entre les régions.
 
La Cour a également noté que les méthodes traditionnelles entreprises dans le cadre de ce projet manquent d'innovation, affirmant qu’elles sont dominées par le principe du «relogement», c'est-à-dire l'attribution des terrains. En outre, elle précise que les programmes locaux ne répondent pas aux besoins de la population, laquelle souffre du manque de services sociaux de base. La Cour a aussi relevé que les mécanismes de programmation sont inexacts, soulignant qu’il a été précisé, dans le plan initial du gouvernement, que le programme devait prendre en charge la totalité des 217.000 familles éparses dans 70 villes, or en 2018, ce chiffre avait atteint 472.700 dans 85 villes.
 
Dans le même sens, la Cour a pointé du doigt les lacunes des mécanismes de gouvernance et l'absence d’une responsabilité conjointe des différents acteurs concernés par le programme, tout en assurant que le ministère de tutelle ne dispose pas d'une base de données des bénéficiaires.

Vœu pieux

Le gouvernement, par l'intermédiaire de Fatima Ezzahra El Mansouri, ministre de l'Aménagement du territoire national, de l'Urbanisme, de l'Habitat et de la Politique de la ville, a déjà reconnu ces problèmes. Lors d’une intervention devant l’une des commissions du Parlement, la ministre a reconnu qu’il y a une hausse continue du nombre des familles concernées par le programme ; un manque d’attractivité des centres d’accueil et une insuffisance des infrastructures mises en place ; un coût financier supplémentaire élevé relatif aux travaux d’aménagement extérieur exigeant la participation des autres partenaires ; une difficulté à mobiliser le foncier et à ouvrir des zones d’aménagement dans le foncier public mobilisé dans le cadre de ce programme.

Elle a également évoqué la problématique de fixation du nombre des bénéficiaires ; l’absence de critères d’éligibilité unifiés ; la problématique de liquidation de l’assiette foncière et la rationalisation de son exploitation ; l’absence d’approches intégrales qui englobent, au-delà de la question de l’habitat, celle des services publics (éducation, santé, transport, sécurité et activités génératrices de revenus) ainsi que la faiblesse de coordination du VSB dans sa globalité et la non-fixation des responsabilités des divers intervenants.

Un aveu qui a l’air d’une preuve d’indigence plutôt que d’une prise de conscience face à un problème qui dure depuis plusieurs années. En effet, ni les annonces du chef du gouvernement ni celles de son ministre de l’Habitat ne proposent de nouvelles manières de faire ou de solutions innovantes. Ce qui en dit long sur l’éventualité d’un parachèvement du VSB en 2028.
 
Hassan Bentaleb


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