Va-t-on vers un monde unipolaire sans pitié ?


Par Asma Souissi *
Samedi 21 Décembre 2013

Va-t-on vers un monde unipolaire sans pitié ?
Bien que nous pressentions déjà depuis quelques semaines les signes d’un  virage vers un mode unipolaire imposé par la force transatlantique et ses partenaires européens au reste du monde depuis le démantèlement du pacte de Varsovie, il convient de soumettre au scalpel certains faits, pour en mesurer notamment l’aboutissement. Des efforts ont été déployés au cours de ces deux dernières années par le tandem Russie/Chine, pour tenter de substituer la multipolarité à une unipolarité qui pourra provoquer une catastrophe sans précédent, si rien n’est fait pour l’infléchir. 
 
Les Etats-Unis … 
seuls au monde 
Si des signes attestent de la volonté de certaines puissances de s’engager dans la détente et vers plus de justice, d’autres semblent vouloir se maintenir dans l’hégémonie, pour ne pas dire la renforcer, et ce au grand mépris de la manifestation du mécontentement planétaire. Faisons un arrêt sur deux faits qui devraient inciter observateurs, analystes et journalistes au suivi minutieux de ce qui pourrait se produire au sein du duo anglo-saxon, auquel nous attribuons sans porter nul gant, l’essentiel de la responsabilité du drame supporté par la planète.
Si certains observateurs ne voient dans l’un ou l’autre geste que marketing politique, il n’est pas exclu qu’il y avait hier dans le giron de certains milieux politiques, la ferme volonté de virer. Depuis la grande mobilisation à Seattle, il y a appel pressant d’instaurer un autre monde. Au début, cet appel fut porté pour l’essentiel par l’Amérique latine, son pivot étant l’aspect économique et social. Cet appel est renforcé par l’effort asiatique pour un changement tiré par l’aspect politique et sécuritaire. L’hommage rendu à un combattant dont la grandeur d’âme est poignard à l’âme de qui essaie de ne point en avoir, au point qu’elle pourrait s’avérer catalyseur apte à persuader les pires ennemis de la dignité, à en reconnaître le droit à tout être humain, en opérant le surprenant renversement de vapeur induisant un changement guidé par le souci d’accorder plus d’importance à l’aspect humain et à la paix.
Quel sens à cette poignée de mains historique entre Barack Obama et le président cubain Raul Castro?  Est-ce la tentation du premier à ses risques et périls de virer à la Kennedy, sous effet de la mobilisation US et internationale? Quel sens a la déclaration d’Obama  en faveur du social? Est-ce du marketing politique comme le disent certains ou une vraie conviction en faveur du social ? Pour le savoir, il convient de suivre de près ce qui se passe dans les institutions US au cours des semaines à venir.
Autre fait historique qui mériterait d’être analysé à la lumière des réactions des politiques, de GB, de l’UE, mais aussi d’Israël. Des signes de retour de manivelles sont perceptibles sur le Vieux Continent chez le partenaire privilégié d’Obama notamment sur la question des colonies en Palestine occupée. Si le désavoeu de GB de l’attaque sur la Syrie est venu d‘une majorité parlementaire malgré une détermination gouvernementale à adhérer au va-t-en guerre auquel s’accrochait de toutes ses forces une France gauche comme droite, c’est ce même gouvernement qui décrétait hier la rupture du commerce avec les colonies israéliennes, appelant les entreprises à se conformer à la législation européenne.
 
Gouvernement GB : 
un va-t-en guerre 
contre les colonies ! 
Le gouvernement british a déclaré en ce 10 décembre qu’««entretenir des relations commerciales avec des entreprises ou des personnes établies dans les colonies était contraire au droit international» et «nuirait à la réputation» de ceux qui s’y risqueraient».
Peut-on conclure que les gouvernements des pays européens iront à l’avenir vers davantage d’applications de recommandations, de directives, de règlements et de résolution de l’UE, restées souvent lettre morte, au point de faire le malheur des populations tant de l’UE que des partenaires du Sud, tant les agissements d’exécutifs à la merci de lobbys prosionistes leur sont diamétralement opposés? Trop tôt pour le dire, quoique la réaction de l’inconditionnel allié d’Israël puisse être un précédent, susceptible d’induire par effet d’entraînement des réactions similaires d’autres pays n’ayant osé par le passé la ferme application de certains textes ayant des retombées directes sur la situation économique d’Israël, telle cette directive de la commission qui guide la décision du gouvernement de GB: «Les citoyens européens et les hommes d’affaires doivent être conscients des conséquences possibles sur leur réputation dès lors qu’ils sont impliqués dans les activités économiques et financières avec des colonies israéliennes et des violations des droits des personnes qu’elles peuvent comporter ». Les déclarations du gouvernement de GB, qui vont au-delà de l’application de la directive de la commission, avertissent que «les colonies sont illégales selon le droit international ; elles constituent un obstacle à la paix et menacent de rendre impossible la solution des deux Etats pour résoudre le conflit israélo- palestinien. Nous ne reconnaîtrons aucun changement aux frontières d’avant 1967, y compris en ce qui concerne Jérusalem, autres que celles agréées par les parties».
Peut-on dire que la GB évolue vers un rapprochement de la Russie suite à la reconnaissance des USA du retour de l’ancien empire à sa posture d’avant 1991 quitte à mécontenter lobbys et partenaires telle la France? Cela ne dépendra peut-être que de la capacité des dirigeants français de s'affirmer face aux forces sionistes qui tentent depuis trois ans de faire de ce pays dit des Lumières, un nouveau centre de gravité de l'obscurantisme. A l’état actuel des choses, nous pouvons nous attendre à un renversement de vapeur de la part d’autres pays de l’UE, mais sûrement pas d’une France bien partie dans des reconquêtes coloniales, guidée par un fort lobby sioniste déterminé à faire du pays dit des droits de l’Homme, son nouveau quartier général. Pour preuve, un bref retour sur quelques agissements de la France en Afrique et dans les pays arabes au cours des trois dernières années.
1- Dans l'attaque contre la Libye, monsieur pots-de-vin électoraux a entraîné GB, puis USA et OTAN très hésitants au début, pour arracher la résolution ONU en vue de découvrir le crime commis contre un Etat souverain, par la légalité internationale virant à coup d’instrumentalisation, en abjecte illégalité violant tous les droits. Dans le drame syrien, la France n'a pu avoir les mêmes faveurs de la part de ses alliés. Conscients des visées colonialistes et des risques, les alliés ont refusé à la France de se faire un nouveau gendarme du monde. En effet, si le vote du Parlement british désavouait l'attaque que les va-t-en guerre voulaient mener contre la Syrie sous prétexte de sa détention d'armes chimiques, la France n’a dû son recul qu'au virage US obtenu sous la pression sino-russe appuyée par la mobilisation d’une conscience universelle non disposée à accepter qu'une poignée de criminels entraînent l'humanité dans la barbarie et la servitude, telque le veut une France opérant en parfaite continuité gauche droite, sous influence de BHL et de Kouchner et leurs adeptes du droit d’ingérence. Cette France, qui s’érige depuis trois ans en instigatrice d’un incontestable nouveau colonialisme, n'a dû reculer qu'après s'être trouvée isolée dans sa volonté de mener une injuste guerre maquillée de fallacieux motifs, vu la mobilisation d’une conscience internationale refusant l’aveuglement. Cette conscience appuyée par d’éminents juges telle Carla Del Ponte qui se sont exprimés sur l’illégalité d’une éventuelle attaque de l’OTAN sur la Syrie, a mis la France à genoux.
 
La France, l’armée 
d’exclus et le Mali ? 
On ne mène pas une guerre pour la stabilité, pour les droits de l'Homme et pour la démocratie, en déstabilisant les nations, en violant les droits de l'Homme, et en propulsant au pouvoir les pires ennemis de la démocratie, prêts pour un oui ou pour un non à faire couler du sang, après un "Allahou akbar" par lequel ils veulent imposer leur barbarie et légitimité divine.
2- Dans son échec de la politique d'intégration des immigrés, la France a produit une armée d'exclus s’étant avérée pièce à double face, tantôt utilisée pour assurer les sales besognes en se laissant réduire en mercenaires tel le cas de ceux dont a usé BHL en Libye, en Syrie et récemment en Tunisie, tantôt combattue si elle essaie de faire face au maître colonialiste en retournant contre ce dernier armes et arguments, faisant du droit à l'autodétermination une raison de lutte échappant au contrôle du maître, tel que c'est le cas au Mali. Quoiqu’elle excelle par ses médias dans la prostitution et le mensonge, la France, championne de manipulation des masses, se fait rattraper par ses contradictions à plus d'un titre, sa géométrie variable teintée d'hypocrisie est démasquée à plus d'une reprise. Sa dérive est d’autant plus lâche, que la complicité Hollande-Sarkozy dans le mal infligé à l'Afrique, devient flagrante, et dépasse ce qui est usuellement cité comme une impérative continuité de l'Etat, ou encore de raison d’Etat. La France est dans la confirmation d’une incontestable nouvelle ère de politique étrangère confondant raison d'Etat avec couverture des crimes manifestes de ses dirigeants. La raison en est toute simple, n'ayant plus que des criminels dans sa sphère politique, en tant qu’Etat, elle semble opter pour le départage entre gauche et droite, des dividendes du pillage d'Afrique, allant jusqu’à essayer d’imposer sa logique dans certaines de ses colonies tout comme dans des pays qu’elle considère en tant que tel, dont la Tunisie. Sachant adapter à merveille ses stratégies à la donne géostratégique de chacune de ses cibles, elle en diversifie le mode.
En centrafrique Afrique, ce fut l'improvisation, alors qu'au Mali elle fait cavalier seul, allant jusqu'à écarter de certaines interventions l'armée malienne, qu'elle prétend soutenir dans la lutte contre le terrorisme, et ce pour avoir le monopole du contrôle de l'une ou de l'autre région.
3- Un article de Mali-Web, intitulé "Gestion de la crise du Nord du Mali : François Hollande sur les traces de Sarkozy", paru le 19 novembre 2013 nous indique "le clair-obscur de la position de la France en ces termes : avec la libération des régions du Nord qui étaient sous l’occupation des jihadistes et des rebelles armés, lorsqu’il s’est agi de mettre le cap sur Kidal, la France n’a pas souhaité la présence de l’armée malienne à ses côtés. La région de Kidal a été libérée par les forces armées françaises et tchadiennes, sans l’armée malienne. La France, dit-elle, craignant un affrontement entre les militaires maliens et les éléments du Mouvement national de libération de l’Azawad présents dans la zone (car, entre-temps, ces derniers qui avaient été chassés par les mouvements islamistes, avaient réussi à rentrer à Kidal sous le regard bienveillant de l’armée française). Cette surprenante attitude de la France intrigua les Maliens qui ne comprenaient pas trop cette volteface, car le but de l’opération était justement de libérer entièrement et totalement les zones occupées des mains des envahisseurs (les islamistes et les rebelles du MNLA sont de la même veine, unis dans le crime : viols, meurtres, assassinats, terrorisme, actes de barbarie, destruction de biens, etc). La région de Kidal est-elle différente des deux autres régions libérées pour que la France interdise le Mali d’y être ? Les Maliens attendent une réponse de la France. Il est clair que Kidal fait partie intégrante du Mali jusqu’à preuve du contraire. Que cette région avait subi le même sort cruel et barbare que les deux autres régions précitées, et que par conséquent, il n’y a aucune raison d’empêcher l’Etat malien d’exercer pleinement ses prérogatives de souveraineté nationale dans cette zone."
 
Et la Tunisie 
dans tout cela ? 
S’étant autoproclamée libératrice du Mali, la France n’a pas tardé à dévoiler sa visée colonialiste. Où en est la Tunisie par rapport à la confirmation de la reconquête française de l’Afrique et du Moyen-Orient?
4- Après avoir neutralisé un leader, dont les programmes en faveur du continent dérangeaient chacals et assassins économiques nostalgiques d’une colonisation à visage découvert, entraînant derrière elle plusieurs dirigeants de la première phase de transition en Tunisie, la France se confirme dans sa quête d’une reconquête douce de la Tunisie.  Plusieurs signes nous indiquent déjà que les pouvoirs de transition ont cédé une bonne part de souveraineté de la Tunisie à la France. La rencontre BHL Ghannouchi en marge de celle qui a uni le 14 août ce dernier avec BCS à la capitale de la métropole, en dit long sur la mainmise de certaines forces occultes sur la Tunisie. N’est-ce pas là, la plus grande duperie infligée à un peuple mobilisé au Bardo après l’assassinat de Brahmi, figure nationaliste confirmée? Alors que le sit-in organisé en la circonstance rassemblait une foule venue des quatre coins du pays, réclamant le départ de Nahda, le duo traître complotait avec les pires pro-sionistes, pour achever la souveraineté du pays. Si le Tunisien tient à recouvrer sa souveraineté, il devra apprendre à scruter les gestes des politiques tant de cette France colonialiste non disposée à écouter la voix de la sagesse qui surgit parmi certains de ses politiques et d’autres politiques de l’UE, que des Tunisiens qui dirigent le pays en dehors de toute légitimité, sous tutelle de leurs maîtres français dont ils se font les prostituées. La France a tendance à considérer qu’il n’y a de droits à la liberté et à la justice en Tunisie, autres que ceux auxquels elle accorde sa bénédiction.
Un tournant semble amorcé. Si les USA ne se débarrassent pas de leur visée colonialiste, leur vision est autre. En effet, malgré le poids des lobbys ultraconservateurs rôdant dans et autour du Congrès, avec Mac Cain comme meneur, au vu de ce qui est relevé par la commission des affaires étrangères du législatif US, en marge de l’audience du 4 courant consacrée à la situation en Tunisie, il y a  une différence manifeste entre le regard US sur la Tunisie d’aujourd’hui et celui de la France teinté d’opacité et de faits occultés. Les rapporteurs US insistent sur le droit du peuple à l’autodétermination et sur les insuffisances quant à la garantie des droits du Tunisien à la liberté, à la dignité et à la justice. Là réside la différence avec les positions de la France qui continue à s’aveugler sur toutes les violations des droits, tout en les aggravant au besoin, en même temps qu’elle cherche à passer pour garante de ces droits pour tenter de justifier ses barbaries et ses attaques illégitimes contre des pays souverains. Les USA ne cachent pas la volonté de suivre de près l’évolution de la situation en Tunisie, certains y voient l’intention US d’exercer un contrôle sur la Tunisie. Sans renier cet aspect de la chose, vu la reconnaissance du droit des Tunisiens à l’autodétermination, chose que leur renie la France, il ne reste aux Tunisiens que de poursuivre la lutte en dénonçant toutes les entraves internes et externes qui empêchent aujourd’hui le peuple de chasser la horde de traîtres, prête à toutes les formes de prostitution, dont la dernière en date est le livre noir. Pour servir les maîtres, tous les moyens sont bons pour s’acharner sur une Tunisie dont les traîtres veulent faire une poudrière d’esclaves. Aux Tunisiens donc de savoir tourner à leur avantage ce que retient le comité d’experts sur la situation en Tunisie, et sur l’inachèvement de la transition, notamment sur les questions de liberté, de justice et de droit au travail et à la vie digne. 
C’est en se battant pour ces valeurs que le Tunisien pourra écarter toute hégémonie, qu’elle soit celle du Vieux Continent, ou de l’Outre-Atlantique. Ce n’est qu’à ce titre qu’il pourra récupérer sa souveraineté. Le peuple d'un pays doté de génies patriotiques et dont le sous-sol regorge de mines ne doit pas périr esclave sous le poids de la dette! 
 
* Militante et activiste 
altermondialiste tunisienne  
 


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