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Accompagnée de sa mère et de sa grand-mère, Regraguia passait chaque soir, sur le chemin du retour d'une journée de travail à la mer, devant les galeries qui jalonnaient les ruelles de la ville. " J'étais fascinée par les galeries, mais ce n'est qu'en 1986, à quarante-six ans que j'ai eu le courage d'y entrer. Et pourtant je rêvais sans cesse de prendre le pinceau" .
"Ma soeur Fatema, j'avais peur de rentrer dans une galerie de peinture. Seules les femmes riches habillées à l'européenne en franchissaient le seuil", me confia-t-elle, le deuxième jour où elle m'invita dans son studio. "Mais j'avais décidé toute petite, de faire la guerre à alihbat (la frustration, le défaitisme). Al-ihbat est un cancer. Il faut qu'on nous enseigne à la télévision comment le combattre. Si j'avais des diplômes, j'aurais essayé de créer un vaccin contre al-ihbat" , conclut-elle en ouvrant une grosse boîte en plastique d'où elle tira son press-book et ses photos avec les célébrités qui avaient défilé chez elle. Elle voulait étaler devant moi les preuves de sa réussite, avant de continuer à se souvenir d'un passé aussi chaotique qu'imprévisible.
Selon Regraguia - qui connaît par cœur tout le répertoire des Aïta , ces chansons traditionnelles du Maroc atlantique, qui célèbrent la jouissance comme devoir sacré - l'important, c'est que vous restiez rivés à votre quête du bonheur, même lorsque le malheur frappe. C'est la direction de votre regard qui influe sur la destination de la barque, aussi déchaînées soient les vagues et les tempêtes qui la chahutent. Regraguia a cette volonté forcenée du bonheur des générations d'avant le vaccin, la pénicilline, l'aspirine et la télévision. Les générations des damnés de la terre, programmés à ne compter que sur leur énergie intérieure, pour générer la lumière qui éclabousse les ténèbres.
Fatéma Mernissi
Extrait du livre Les Sindbads marocains. Voyage dans le Maroc civique