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Théocratie populiste L’alternance, une transition démocratique?


Mustapha Hogga
Vendredi 15 Août 2014

Théocratie populiste L’alternance, une transition démocratique?
La corruption détruit l’univers de la loi; Si quelqu’un de corrompu m’arrête injustement pour m’infliger un p.v. ou en fait, obtenir de moi un pot-de-vin, il ne sait pas qu’il n’y a plus de loi de ce fait, et que je peux considérer ce qu’il fait comme une agression. Des gendarmes furent victimes d’attaques de la part de quelques citoyens au terme vraisemblablement de considérations semblables.
Bien sûr, la plupart des infractions pour lesquelles les policiers et les gendarmes touchent des pots-de-vin sont réelles ; parfois elles sont fictives et traduisent un besoin de cash et il y a comme une contamination par le mal de la corruption de la petite zone de légalité. On fait mine de verbaliser une infraction inexistante pour amener celui qui respecte la loi à négocier. Mais si je respecte la loi sans être sûr d’être à l’abri de l’arbitraire, mettons d’un gendarme ou d’un policier sur la route, pourquoi ne pas la transgresser et le corrompre, je ne ferai alors que me conformer à une situation de non-loi.
Des vingt sur vingt en maths au baccalauréat, ça s’achète comme des permis de conduire. Ce qui pose le problème des compétences usurpées. Que de diplômés le sont parce qu’ils ont triché aux examens. Imaginez-vous un instant consultant un médecin qui ne doit son titre qu’à sa malhonnêteté… Et puisqu’on parle de santé, selon que vous sortez vos billets ou non, l’accouchement dans les hôpitaux publics se fait correctement ou c’est un désastre. En matière de corruption, on ne peut jamais dire que l’on a atteint une limite. Il est impossible qu’on l’accepte dans les hôpitaux, les cours de justice, lors des élections et sur la route et qu’on la refuse pour vendre notre honneur, notre nation et nos enfants.
Des grèves intermittentes de camionneurs contre le nouveau Code de la route paralysèrent le Maroc entre 2009 et 2011 et le gouvernement remit le projet à l’étude : ce n’est pas la nouvelle loi que ce projet allait constituer qui fit peur aux transporteurs mais l’augmentation excessive des sommes à payer sur la route pour se tirer d’affaire, puisqu’il y a un rapport entre l’amende et le pot-de-vin qui lui correspond. Or les amendes avaient été fortement augmentées ; en plus, il y avait le risque du retrait de permis et des peines privatives de liberté et là le passe-droit risquait de chiffrer et seule une minorité de camionneurs pourrait faire face, ce qui créait une situation d’inégalité devant la corruption, d’où la colère de tous les autres. Ce que réclamaient les grévistes sans oser le dire, c’est l’égalité devant la corruption, devant la capacité de soudoyer le représentant de la loi ; ce n’est pas une réforme du Code de la route juste et au service du développement. Les Marocains seraient prêts à faire une révolution au nom d’une corruption équitable : qu’elle soit permise et accessible (pas trop chère) à tous. Mais ils ne devraient pas trop compter sur la corruption pour régler leurs problèmes ; un jour ou l’autre, l’État de droit se révélera une nécessité impérieuse.
Ce nouveau Code est nécessaire mais le rapport des Marocains à la loi est vermoulu ; un Code ne signifie rien pour eux; ils ne craignent que le renchérissement des pots-de-vin. Ne faut-il pas modifier ce rapport à la loi avant toute chose ? En attendant, des gens meurent chaque jour. De nombreux conducteurs se plaignaient de l’état des routes qui est assez souvent déplorable mais négligeaient de parler du nombre d’infractions qu’ils pouvaient commettre en cinq minutes de conduite.
Du côté des bénéficiaires de la corruption, il y a ceux qui y voient des degrés. L’un dit : je prends peu d’argent, l’autre se sucre davantage ; et celui-ci tient le même discours par rapport à un autre, etc. Il y a un kaléidoscope de toutes les aberrations et chacun définit pour soi le code moral ou immoral qui lui sied. Il y a ceux qui la minimisent totalement quand il s’agit de petites sommes et ne veulent pas l’appeler par son nom.
A celui qui dit qu’on ne peut appeler corruption un pot-de-vin de 20 dirhams, on doit rappeler qu’un milliard, c’est un multiple de 20 : il y a combien de policiers et de gendarmes et combien d’infractions en une heure au Maroc ? Le produit par mois risque d’être colossal. Puis, une fois lâché par le gendarme, le corrupteur reprend ses horreurs en matière de violation des règles.
La corruption entraîne les accidents de la route ; permis obtenu par corruption, permis de tuer ; l’excès de vitesse est très fréquent car la corruption fait éviter les lourdes amendes. Ceux qui disent : à ma place quelqu’un d’autre aurait agi de même, s’en serait mis plein les poches, pense-t-il à cet autre, à ces autres comme ces enfants qui meurent de froid, de faim et par manque de soins et d’infrastructures?
Si, pour quelques milliers de Marocains, la vie est une fête continue, il y a des millions qui ne peuvent même pas envoyer leurs enfants à l’école, ne peuvent pas se faire soigner convenablement, vivent dans l’insalubrité et ne peuvent compter sur le secours de personne. De fait, les corrompus volent le peuple marocain. Plus il y a de corruption et plus il y a de pauvreté et moins d’infrastructures : moins d’hôpitaux, moins d’écoles, moins de routes, moins d’équipements.
En outre, la corruption renchérit les services et les équipements et rabaisse la qualité des ouvrages. Il n’y a rien d’anodin ou d’innocent dans la corruption : c’est une gangrène. C’est la destruction du pays; chaque année une proportion importante du PIB est dévorée par la corruption au Maroc.
 
En plus, la corruption n’est pas le meilleur moyen d’attirer les capitaux étrangers. Bureaucratie et absence d’un État de droit réel entrent en synergie avec la corruption pour dissuader les investisseurs de venir. La corruption n’est pas généralisable ; tout le monde n’est pas en situation d’en bénéficier, et ses ressources sont limitées et disparates (tout le monde n’a pas les moyens de corrompre et la corruption varie de 10 DH à des millions de DH). Elle ne peut être non plus un mode de gouvernement : elle peut neutraliser la méchanceté des sans scrupules, temporairement, tout occupés à s’enrichir mais les corrompus sont fondamentalement des criminels dangereux pour tout Etat. D’ailleurs, la corruption ne peut même pas assurer leur fidélité au régime qui leur permet leurs forfaits.
C’est absurde de penser que les gens corrompus se contenteront de s’enrichir en effectuant des détournements ou en touchant des pots-de vin et qu’ils ne s’attaqueront pas aux droits d’autrui. La corruption induit la confusion des pouvoirs : le juge qui touche les pots-de-vin laisse la loi de côté et juge selon la sienne ; il assume un pouvoir législatif de fait, puis il exerce sa fonction de justice simultanément, la sienne bien entendu, non celle du droit. Ceux qui bénéficient de la corruption agissent activement pour défendre et maintenir la confusion des pouvoirs. Ils ont une pratique et une stratégie politiques.
Le principe du gouvernement selon le consentement est en contradiction absolue avec une corruption endémique. Ce pays est trop indulgent pour les fripons et dur pour les honnêtes gens; qui a une conscience est taxé de naïf. Le nombre de petits malins qui ont de petits pouvoirs et qui mènent la vie dure aux meilleurs parmi les Marocains est anormalement élevé.
La lutte contre la corruption n’est pas motivante non plus : bien mal acquis ne profite jamais, tel est le sens de ce qu’on entend fréquemment au sujet de la corruption. L’homme du peuple aime répéter que l’argent de la corruption apporte le malheur aux corrompus : des choses graves leur arriveraient à eux ou à leurs enfants. Ce qui est motivant, c’est la solidarité avec les Palestiniens, les Irakiens et dans une moindre mesure avec les Afghans ; c’est ça qui interpelle le peuple marocain.
En 1965, 1981, 1984 et 1990 (Fès), les émeutes étaient motivées par la cherté de la vie. La corruption n’était pas et n’est pas encore perçue comme un problème plus grave. Pour combattre la corruption, il faut rendre à la loi sa crédibilité et celle-ci dépend de la séparation des pouvoirs. Le corrupteur et le corrompu doivent-ils être sanctionnés de la même manière ? Il faut considérer cette question : qui peut faire le plus pression sur l’autre ? Qui l’emporte dans le rapport de force ? Si au niveau de l’infraction du Code de la route, l’usager est généralement plus vulnérable, lorsqu’il s’agit d’adjudications et de marchés publics, le fonctionnaire ne fait pas le poids devant des sociétés aux moyens financiers presque irrésistibles.
La loi doit tenir compte de ces réalités et sanctionner plus sévèrement le plus puissant des deux, le corrupteur ou le corrompu ; la sanction doit rétablir l’équilibre. La loi doit être infiniment plus sévère avec le corrompu que le corrupteur quand ce premier a le pouvoir d’Etat avec lui et que l’autre n’est qu’un simple usager ; le gendarme est en position de force et détient plusieurs moyens de pression, y compris de retarder le conducteur.
De même, si le corrupteur est une puissante entreprise, une banque, ou un groupe d’intérêts, la sanction doit être plus sévère contre lui que contre le fonctionnaire. Au Maroc, on dirait que le pouvoir de l’Etat et ses immenses ressources perdent leur efficacité lorsqu’il s’agit de corruption ; il s’en remet à la subjectivité de la personne en charge : on la laisse décider d’être vertueuse ou corrompue. Ce système fait trop confiance à la bonne volonté des responsables. Il est remarquable que ces pratiques qui occasionnent frustration, colère et ressentiment ne déteignent pas sur la monarchie elle-même qui demeure très populaire. On voudrait que les Marocains, sachant que la corruption est partout, se montrent vertueux, respectueux de la loi, et acceptent d’être punis ou mis à l’amende s’ils violent la loi.
Le Maroc a besoin d’une Constitution anti-corruption et pour cela, celle-ci doit être fondée sur une séparation des pouvoirs effective. La corruption est l’antithèse absolue de la démocratie ; et tous ceux qui ont étudié l’histoire du monde islamique ont observé le rapport étroit entre despotisme et corruption ; il va sans dire qu’une Constitution non démocratique est absolument impuissante face à la corruption. Il convient aussi de saluer les efforts des militants anti-corruption et en particulier de Sion Assidon, ancien détenu politique, incarcéré pendant quatorze années, et fondateur de la section marocaine de Transparency International.
Dans une déclaration au Journal Hebdomadaire, Azeddine Akesbi, président de Transparency-Maroc, observe que « sur la période 1998-2000, un nombre limité de fonctionnaires du département de la Justice et de l’administration, surtout de petit gabarit (près de 300 auxiliaires, 321 adouls, une centaine d’experts et de traducteurs, 129 juges…), auraient fait l’objet de poursuites judiciaires et/ou administratives.
Par ailleurs, les services de la gendarmerie ont surpris environ 10 000 tentatives de corruption. Dans la quasi-totalité de ces cas, la responsabilité est imputée à des citoyens, confirmant ainsi que la lutte contre la corruption est orientée de manière principale vers les petits et les victimes d’un système qui fonctionne sur et par la corruption.
 


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