Témoignages


Libé
Samedi 19 Juin 2010

“Je suis sorti de prison en 1991... J’ai été arrêté le 21 juin 1981 au moment des émeutes dans le quartier Derb Sultan. J’étais apprenti bijoutier. C’était mon rêve... Ce jour-là, mon patron m’a dit de rentrer à la maison car la situation était très tendue. On m’a arrêté chez moi, ils ont cassé la porte pour entrer. Mais je n’avais rien fait du tout. J’avais tous mes papiers. Je m’en souviens comme si c’était hier. J’ai d’abord été torturé, on voulait que je donne des noms. Dans leur rapport, les policiers ont dit que je n’avais pas de papier, pas de travail, que j’avais participé aux émeutes et que j’avais brûlé des choses. J’ai dit au Procureur que j’étais un honnête citoyen, que j’avais un rêve et quand j’ai entendu la sentence, 10 ans de prison, ce fut un choc. Ils m’ont cruellement condamné. Je me suis retrouvé à la prison civile de Ghoubila. C’est une prison qui ne se décrit pas... J’avais le droit d’être dans le quartier des détenus politiques mais je me suis retrouvé avec les criminels de droit commun. Ce que j’ai vécu avec eux est horrible. Je ne peux pas tout dire, ce n’est pas possible. Je me suis soumis. Je ne peux pas vous dire ce qu’ils m’ont fait mais vous comprenez ? J’ai fait une dépression nerveuse. J’ai eu la tuberculose pendant 3 ans. Cette prison, on dit que c’est le petit Maroc. C’est un autre monde. Moi, j’étais timide, réservé. Ces criminels profitent des gens de mon genre. Mes parents ont tout vendu pour me faire libérer mais rien n’a changé. Je me suis mis à étudier par correspondance. Je lisais beaucoup pour m’évader. En sortant de prison, j’étais à la recherche de moi-même. J’ai épousé la femme de mon frère qui était décédé et qui m’avait beaucoup soutenu dans ces moments et j’ai élevé son fils. J’ai eu 2 autres garçons. Mais maintenant, cela ne passe pas, ma femme vit l’enfer avec moi... J’ai besoin d’aide pour m’en sortir. Je n'arrive pas à travailler”.
Said, un ancien détenu des événements de 20 juin 1981. Extrait d’un témoignage publié sur le site : http://sixpiedssurterre.canalblog.com

« Ce jour-là, le samedi 20 juin 981, dans l’après-midi, je me rendais, en autocar, de Rabat à Casablanca, chez ma famille à Sbata. A la sortie de l’autoroute vers Mohammedia, un barrage de la gendarmerie était dressé. Les gendarmes ordonnaient aux conducteurs de prendre la déviation vers la route côtière pour rejoindre Casablanca. L’autoroute était bloquée aux abords de Bernoussi. Le bruit a circulé que des événements graves s’y déroulaient à ce moment même. Quand je suis arrivé à Casa, vers 17h30, à la gare routière de Benjdia en plein centre-ville, le quartier était pratiquement mort alors qu’il était connu pour son intense activité. Les commerces et services étaient fermés. Mis à part quelques autocars qui déposaient des voyageurs qui, à leur tour, se dispersaient rapidement, il n’y avait pas de circulation, pas de taxi, pas de bus, pas de voitures particulières non plus.
Je me suis dirigé vers Derb Sultan en empruntant la route de Mediouna, réputée par ses embouteillages infernaux, mais, ce jour-là, elle était anormalement calme, triste et déserte, à part quelques passants.
En m’engageant dans cette avenue, j’ai remarqué qu’un cordon de sécurité était en place entre le quartier des Habous et le Palais royal. Arrivé enfin à Derb Sultan, tout était fermé. Il y régnait un calme très tendu. Les habitants étaient devant leurs portes d’entrée, des jeunes rassemblés par petits groupes au coin des rues. Des proches et amis m’apprirent que des manifestations s’étaient déroulées là à partir de la fin de la matinée et qu’il y avait eu des accrochages entre de jeunes manifestants et les forces de sécurité. Ces dernières n’avaient pas cessé de charger et de tirer à balles réelles sur les manifestants qui tentaient d’accéder aux grandes avenues et/ou de rejoindre les quartiers voisins. Il y eut plusieurs blessés et beaucoup de personnes arrêtées, soit sur les lieux mêmes, soit aux services d’urgence des hôpitaux où s’étaient rendus certains blessés pour se faire soigner.
J’ai fait le tour du quartier pour voir ce qui se passait et tenter de me rendre à Sbata chez ma famille. Des manifestants qui se dirigeaient vers Sahat Essraghna par une rue adjacente ont rapidement été chargés. Le quartier était encerclé et quadrillé par des Compagnies mobiles d’intervention (CMI) et des gardes mobiles. Toute tentative de traverser la place et de rejoindre un autre quartier était risqué ».

 Mohammed Mounfiq, ancien détenu politique et réfugié politique. Extrait de « Emeutes et mouvement sociaux au Maghreb. Perspective comparée » sous la direction de Didier le Saout et Marguerite Rollinde.



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