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Sur les terres du Clan del Golfo, la route interdite


Libé
Vendredi 7 Avril 2023

Sur les terres du Clan del Golfo, la route interdite
"AGC": ici comme ailleurs, les tags sur les murs disent qui domine le territoire. Dans le nord-ouest de la Colombie, les puissants narco-trafiquants du Clan del Golfo défient le gouvernement en tentant de bloquer un axe stratégique à la faveur d'un mouvement de protestation de mineurs.

Filant dans un paysage de savanes arborées et de prospères fermes à bétail, la Nationale 25 relie la côte caribéenne à Medellin, deuxième ville du pays. Habituellement encombrée de poids lourds, cette route est un cordon ombilical qui garantit une grande partie de l'approvisionnement depuis le nord de la Colombie. "Cette route tient toute l'économie du pays", confie le patron de l'armée dans la zone, le général de brigade Roberto Arias Rojas, 49 ans.
Les gens ne pouvaient plus bouger, sortir acheter à manger. Vingt jours sans travail, c'était comme une autre pandémie
Une douzaine d'assaillants circulant à moto, membres présumés du redoutable Clan del Golfo, y ont incendié, près de la ville de Taraza, deux bus et quatre camions, dont les carcasses calcinées gisent encore au bord de la chaussée.

Depuis, seuls des convois de dizaines de véhicules, encadrés et protégés par les forces de sécurité, circulent en trombe sur la longue bande de goudron: d'abord un essaim de motos, puis une interminable file de voitures, et enfin les bus et les poids lourds crachant d'épaisses fumées noires. Un blindé de la police, des véhicules légers Humvees de l'armée et des motards l'arme au poing ouvrent et ferment la marche de l'assourdissante caravane.

"La situation est sous contrôle", assure, avant de sauter dans son Humvee, un militaire qui part rejoindre le dispositif. Quatre convois de ce genre ont pu circuler sur la nationale, sous le regard en apparence placide des habitants des quelques villages et localités traversées.

Diana, la gérante d'un modeste restaurant routier, a été le témoin de l'attaque. Sur son portable, elle montre volontiers une vidéo des deux bus enflammés, mais refuse catégoriquement de s'exprimer. "Parler du Clan, c'est se passer la corde autour du cou", lâche un autre habitant.

Peinturlurés grossièrement sur les façades des maisons, les multiples acronymes AGC et autres "Autodéfenses gaitanistes toujours là!", n'incitent pas au bavardage.

Cette région du Bas-Cauca, reliant les provinces d'Antioquia et de Cordoba, fut dans les années 1990-2000 un fief de ces paramilitaires, dont le souvenir de terreur hante encore les Colombiens. Après avoir déposé les armes, ils ont fourni le gros des rangs du Clan del Golfo, se reconvertissant dans le juteux business de la production et l'exportation de cocaïne.

Le 31 décembre, le président colombien Gustavo Petro, dans le cadre de son ambitieux plan de "paix totale", avait annoncé un cessez-le-feu bilatéral avec ce cartel, parmi d'autres guérillas et groupe armés. Mais dimanche, il a annoncé la "réactivation" des opérations militaires contre le cartel, l'accusant d'attiser en sous-main les actes de vandalisme des mineurs illégaux, qui protestent dans la région depuis début mars contre la destruction par l'armée des engins de dragage servant à extraire l'or des rivières.

Région agricole prospère, le Bajo Cauca a connu ces dernières années (avec la montée conjuguée des cours et du dollar) une folle ruée vers l'or. Le précieux métal a supplanté la culture de la coca, boosté toute l'économie locale, et ravagé le paysage à coups de pelleteuses, de dragues et de mercure déversé dans les rivières.

Si le mouvement semble marquer le pas ou être dans un entre-deux, l'un de ses leaders, à Taraza, Gumercindo Castillo Bolario, assure à l'AFP qu'il se poursuit et rejette les "accusations stigmatisantes, relayées par le gouvernement", de collusion avec les hommes du Clan del Golfo.

"Il y a de nombreuses informations qui indiquent que le Clan del Golfo est derrière" le mouvement des mineurs, avance pourtant un journaliste local, s'exprimant sous couvert d'anonymat par crainte de représailles. Il a "commencé contre le gouvernement, mais a abouti à la prise en otage de la population", déplore cette source.

"Les gens ne pouvaient plus bouger, sortir acheter à manger. Vingt jours sans travail, c'était comme une autre pandémie", commente Faber, un chauffeur local.

Sur la N25, les arbres (près d'une soixantaine, certains centenaires) tronçonnés par les protestataires ont été dégagés. Environ 8.000 militaires et policiers sont déployés dans la région, selon le général Arias.

"Historiquement, le Bajo Cauca connait une situation difficile, avec la présence des groupes armés exploitant la culture de la coca et les mines d'or de façon illégale", explique l'officier. Outre les AGC, deux groupes de l'ELN guévariste et quatre de la dissidence des FARC y sont également actifs.
 
Le Clan est fédéré localement, sur une base géographique, en quatre structures, chacune divisée en un bras, financier et militaire. Il compterait au total entre 1.500 et 2.000 hommes.
Malgré le déploiement policier et militaire, "la route reste sous la coupe du Clan del Golfo", juge le journaliste local, rappelant que cet axe fut baptisé sinistrement il y a quelques années le "triangle des Bermudes" à cause des disparus et kidnappés régulièrement retrouvés morts dans la rivière voisine.

"Depuis toujours, cette route suscite la convoitise des groupes armés. Pendant des années, ils y ont incendié des véhicules pour montrer leur présence", détaille la même source. Ces cinq dernières années, 52 attentats ou incidents y ont été recensés.

L'activité dans les bourgs, a semble-t-il, légèrement repris, avec des commerces ouverts au moins le matin, et quelques bars-discothèques crachant leur décibels jusqu'en fin d'après-midi.

"Mais on tourne toujours au ralenti", confie Andres, gérant d'un resto voisin d'une station essence. "Depuis trois jours, +ils+ nous ont laissé ouvrir", lâche-t-il, énigmatique. "Par ici, on fait ce qu'on nous demande de faire...", avoue le patron d'une épicerie, en référence aux injonctions et menaces relayées par les hommes du Clan, notamment via la messagerie WhatsApp.

Poursuite du mouvement, reprise des hostilités... "On ne sait pas ce qu'il va se passer, c'est l'incertitude totale", constate un hôtelier, lui aussi sous couvert d'anonymat par crainte de représailles. Lundi, un militaire de sortie en permission a été assassiné par des hommes à moto, membres présumés du Clan, selon les autorités.


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