Suicide : La plus cruelle des décisions

En s’ouvrant sur autrui et en exprimant ses émotions, le jeune pourra retrouver le calme, se réapproprier son projet de vie et s’éloigner des pulsions morbides et des désirs de passage à l’acte


C. Chaabi
Mercredi 5 Février 2020

Le ciel a beau être gris, le temps maussade et le sujet de la conférence cafardeux voire déprimant, il n’y avait que des lueurs d’espoir dans les yeux des participants. L’espoir de sensibiliser. L’espoir de mobiliser un maximum d’acteurs institutionnels, ainsi que la société civile dans un combat, loin d’être gagné mais pas perdu d’avance non plus. Un combat censé s’opposer à un mal social qui est classé depuis trop longtemps, à tort, au rayon des tabous. On parle bien évidemment du suicide chez les jeunes.
A vrai dire, lors de cette conférence organisée par l’Association « Sourire de Réda », la veille de la Journée nationale de la prévention du suicide des jeunes, l’idée n’était pas tant de relater que le suicide existe à travers des chiffres, évitant ainsi de verser dans le doux euphémisme. L’idée était plutôt de présenter une campagne de communication bien ficelée, destinée à libérer la parole et aider à prendre conscience d’une vérité : le suicide n’est pas une fatalité.  
Parfois, il suffit d’un geste ou d’une parole pour changer le cours d’un funeste destin. Encore faut-il intervenir à temps et avoir la faculté de repérer les signes avant-coureurs (voir ci-contre) ou tout simplement exprimer une émotion. Les dix années d’activités que compte l’Association « Sourire de Réda » n’ont pas été vaines. Elles lui ont permis de développer des outils pour une meilleure compréhension du suicide. Mais pas que. Si par le passé, les campagnes furent axées, entre autres, sur «  la faculté de chacun à être acteur de la prévention, car nous avons tous le super pouvoir d’aider un jeune prêt à passer à l’acte », assure Meryeme Bouzidi Laraki, présidente de l'Association Sourire de Réda, cette année, la campagne a plutôt ciblé la notion « d’éducation émotionnelle ».   
Pour la présidente de l’association, beaucoup de gens n’ont pas « conscience de leur santé émotionnelle et font abstraction des indicateurs ». Les plus jeunes d’entre nous n’échappent évidemment pas à cette réalité. En fait, c’est tout le contraire. Comme expliqué dans l’interview ci-contre, une jeune personne incapable d’identifier, décrire ou verbaliser une ou des émotions, a tendance à la refouler plutôt que d’en chercher la raison. Pour le coup, il faut dire que la société y est pour beaucoup. « Le quotient intellectuel est mis en avant, que ce soit dans les institutions éducatives ou à la maison, parfois même au détriment du quotient émotionnel», nous explique Meryeme Bouzidi Laraki.
Difficile de la contredire. D’autant plus que cette conclusion n’est pas le fruit du hasard. Il y a quelques années, ladite association, du fait d’être l’unique structure d’aide du pays dédiée au suicide, soit une aubaine inestimable alors que le Royaume brille par l’absence d’une stratégie nationale de prévention du suicide, avait créé une plateforme d’écoute « Stop silence », disponible lundi et vendredi de 16h00 à 21h00, mardi, mercredi et jeudi de 16h00 à 23h00 et samedi de 16h00 à 18h30. L’expérience accumulée via les écoutes ainsi que les campagnes de sensibilisation sur le terrain ont été les catalyseurs d’un outil intitulé « La roue des émotions ».
Encore en phase d’expérimentation, à cause notamment du langage de plus en plus complexe utilisé de nos jours par les jeunes, cette « roue des émotions » a pour but de « fournir aux personnes souhaitant venir en aide aux jeunes en souffrance les outils nécessaires pour mettre des mots sur leurs ressentis et créer un langage commun », d’après Myriam Bahri, directrice de l’association. Et de préciser :« En s’ouvrant ainsi et en exprimant ses émotions, le jeune pourra retrouver le calme, se réapproprier son projet de vie et s’éloigner des pulsions morbides et des désirs de passage à l’acte».
Concrètement, cet outil « met en exergue huit grands types d'émotions, les plus fréquemment ressenties : la joie, l’anticipation, la colère, le dégoût, la tristesse, la surprise, la peur et la confiance », détaille le Dr. Zineb Iraqi, pédo-psychiatre et membre du bureau de l’association. Et de rappeler : « Les émotions font partie de nous et il est nécessaire de les affronter, même quand cela nous procure de l’angoisse, de la honte ou l’impression de perdre le contrôle. Ces étapes sont un passage obligatoire pour arriver à gérer ses émotions. Il s’agit ensuite de se donner le temps et la permission d’éprouver des émotions au bon moment ainsi que la liberté d’en parler quand on en éprouve le besoin».
Il est clair comme de l’eau de roche que l’outil en question sera sans aucun doute utile dans l’optique d’animer des ateliers et encore plus au moment de fluidifier la communication entre un parent, un enseignant ou un ami et un jeune en détresse. Et ce n’est pas tout. La roue des émotions aura un rôle crucial « dans l’interaction entre les appelants et les écoutants de Stop Silence, le service de soutien par ch@t, anonyme, confidentiel et gratuit créé par Sourire de Réda en 2011», confient les membres de l’association. Mais sera-t-il pour autant salvateur ? L’avenir nous le dira.
En tout cas, côté certitudes, le suicide des jeunes ne peut faire l’objet d’indifférence de la part de la société. Quand plus d’un jeune sur dix (14%), âgés de 13-15 ans, déclarent avoir fait une tentative de suicide au Maroc, on a largement dépassé le stade des cas isolés. Fermer les yeux n’est plus d’actualité.

Un registre des suicides inexistant

Selon des chiffres annoncés par le ministère de la Santé en 2014, 14% des Marocains âgés entre 13 et 14 ans ont déjà fait une tentative de suicide. Depuis, plus rien. Ces statistiques n’ont pas été actualisées. Et pour cause, d’après le docteur Layoussifi Elkhansa, et à l’inverse de plusieurs autres pays, dont ceux scandinaves, «il n’existe aucun registre des suicides au Maroc. Plusieurs raisons à cela : l’absence d’unité suicide dans les hôpitaux psychiatriques. Le facteur culturel joue aussi, puisque le sujet est tabou. S’il y a tentative de suicide, c’est parfois un acte dissimulé par la famille. Comme lorsqu’on se trouve face à des morts suspectes, sans qu’il y ait de raisons évidentes, surtout quand c’est un jeune bien portant et qui n’a a priori aucun problème de santé. Cependant, toutes les morts suspectes ne déclenchent pas automatiquement une procédure et une expertise supplémentaire ou une autopsie. Et quand bien même il y en aurait une, elle reste sommaire en l’absence d’analyse psychologique. En tout cas, il y a certains cas entourés énormément d’interrogations. Bref, impossible d’avoir une estimation exacte, sauf si on s’adresse aux autorités. Mais on reste dans le cadre de l’estimation. Du coup, on se rabat sur les chiffres de l’OMS. En tout cas, je peux vous assurer, de par mon expérience, que la suicidalité est assez fréquente lors de nos consultations psychiatriques ».


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