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C’est Galienni, artiste peintre parisien natif du Maroc, qui annonce que : «Le pinceau est la canne blanche du peintre qui cherche à avancer».
L’alchimie de la télépathie semble avoir opéré entre Paris et El Jadida. Et Abdellah Belabbès de saisir son jonc pour avancer à la quête de nouveaux territoires picturaux, autres que ceux déjà défrichés, remarquablement, par son pinceau, notamment le pointillisme et la nouvelle figuration.
L’exploration du portrait, telle est la destination vers laquelle le peintre avance dans sa nouvelle expérience plastique. Mais pas n’importe quel portrait, et c’est là que réside l’inouïe force de sa démarche : le portrait de l’écrivain marocain.
À travers ces œuvres, réfléchies et cumulées depuis un certain laps de temps, mais exposées pour la première fois, Belabbès narre à notre regard sa représentation subjective, en deux dimensions, d’auteurs qu’il a côtoyés dans la vie et/ou dans leurs écrits. A coups de pinceau, de trait, de dessin, de taches et de déambulations au sein des tons de sa palette, il ne transcrit pas uniquement l’apparence faciale de son modèle (une photo en général), mais y adjoint son interprétation des relations qui le lient/liaient à l’écrivain peint et à son œuvre. Ainsi, même le plus réaliste des portraits d’Abdellah Bellabès comporte des touches, des expressions et des facettes implicites, voire absentes des photographies originales. Car, comme le propose Etienne Souriau dans son «Vocabulaire d’esthétique» : «Le portrait est (…) une interprétation et transcription, donc choix, pour rendre l’apparence extérieure d’une personne, quel que soit le degré de réalisme. Bien qu’uniquement visuel, le portrait peut rendre très sensible la personnalité intérieure du modèle, par de nombreux indices… ».
Pour pérenniser les écrivains marocains, par lui choisis, l’artiste, selon l’inspiration et la visibilité des visages, («Un visage (étant) une promesse autant qu’un fait accompli», dixit Jean Hélion), opte pour un support ou un autre : toile, coupures de journaux avec des textes du modèle ou pages extraites de l’un de ses ouvrages. Ces deux dernières options manifestent, d’évidence, la volonté de consécration, par l’artiste, non seulement de l’«être», mais aussi de sa «trace». Une trace qui se voit fécondée par les auxiliaires du pinceau, les encres et des résidus de boissons courantes, et détournée de sa fonction initiale (lire) vers une autre voie (façonner le regard).
Le plan serré, selon la terminologie de la photographie, est privilégié par les portraits d’Abdellah Belabbès. Et avec lui une intelligence remarquable de la verticalité, condition nécessaire à l’appropriation plastique du visage : «Un visage se reconnaît surtout aux expressions faciales qui l’animent, et pour les interpréter, l’axe vertical est essentiel» (Jacques Ninio, in «L’empreinte des sens»).
Quel que soit le support élu, les portraits de Belabbès sont invites aux souvenances : de ceux qui ont cessé d’écrire tout en persistant à être présents dans notre mémoire culturelle («Créer c’est tuer la mort», selon Romain Rolland) et des autres qui nous plongent dans l’attente de leur prochain écrit. Chacun d’eux est insurrection contre l’absence, l’éloignement ou l’oubli. Et éloge du non-écrit, du non-encore-écrit et de l’indicible dans l’écrit.