Sahara marocain : La sécheresse, l’urbanisation, la démographie et leurs impacts sur les ressources en eau


Par Dr Hassan FAOUZI *
Vendredi 29 Octobre 2010

Sahara marocain : La sécheresse, l’urbanisation, la démographie et leurs impacts sur les ressources en eau
L’eau a, de tout temps, façonné l’environnement, les économies et les sociétés ainsi pour bien saisir l’ampleur et les enjeux de son insuffisance nous avons pris l’exemple de la ville Tan Tan, qui illustre bien le phénomène. Cet article décrit. Les moteurs principaux de la demande en eau dans cette région sont l’irrigation, les besoins domestiques (qui croissent avec l’urbanisation et avec une forte croissance démographique) et les activités industrielles liées à la pêche.
Les régions de l’extrême sud du Maroc (Tan Tan, Laâyoune, Smara, Boujdour, Dakhla) présentent de nombreuses caractéristiques communes à plusieurs niveaux. Excepté des îlots de verdure très peu étendus, le reste de ce vaste territoire présente des paysages plutôt homogènes, caractérisés par une grande aridité. Ces régions sont confrontées à la question vitale de l’accès à l’eau pour leurs populations et leurs écosystèmes, l’approvisionnement en eau y est une préoccupation majeure. De par son orographie et sa position géographique, cette zone est affectée à la fois par la faible quantité des pluies qu’elle reçoit et par l’intensité des influences sèches du Sahara.
Le climat de la région se caractérise par une très grande irrégularité dans la répartition des précipitations dans l’espace et le temps. Plusieurs années sèches peuvent alterner avec quelques années relativement pluvieuses. Ces changements climatiques variables en intensité et en fréquence font que des périodes sèches succèdent à des périodes pluvieuses, ce qui influence plus ou moins directement la disponibilité des ressources en eau. Au cours des dernières décennies, les périodes de forte sécheresse sont devenues nettement plus fréquentes. Par conséquent, le comportement des nappes phréatiques, le régime de certaines sources et le débit des oueds sont soumis à d’importantes variations.
Les écosystèmes y sont fragiles et sensibles à diverses modifications, d’origine naturelle et anthropique. Les changements importants, en particulier ceux liés aux activités humaines, ne se sont produits qu’au cours du vingtième siècle (à partir des années 1980). Le couvert végétal et les ressources en eau ont été les plus touchés par les mutations socio-spatiales. Avant, ces puits utilisaient le D'lou, pour puiser l’eau. Les puits n’étaient utilisés que pour faire boire les troupeaux et approvisionner les populations en eau destinée à la boisson et aux usages domestiques. A cause de la croissance démographique et des mutations socio-spatiales, ce système traditionnel s’est peu à peu transformé. Aujourd’hui tous les puits sont équipés de motopompes.
Les moteurs principaux de la demande en eau dans cette région sont l’irrigation, les besoins domestiques (qui croissent avec l’urbanisation et avec une forte croissance démographique) et les activités industrielles liées à la pêche.
Au début, l’extension des villes et le développement de la vie urbaine sont devenus les facteurs essentiels de la demande croissante en eau. Ensuite, ces besoins ont été affectés par le développement et l’établissement d’activités industrielles (les activités de pêche : port de Tan Tan). A partir de là les ressources locales en eau ont commencé à être surexploitées.
Bien avant, la culture traditionnelle (qui dominait dans la région de Tan Tan) était en équilibre avec l'environnement, avec, les diverses divisions administratives et la limitation des terres ont conduit à l’appropriation de terres au moyen d’une exploitation plus ou moins régulière ayant entraîné la sédentarisation des populations nomades. Cultiver des terres à l’origine couvertes de steppes ou de forêts est devenu une façon de les approprier. Le revenu de cette activité est généralement plus faible que celui fourni par des troupeaux paissant une végétation naturelle optimale. L’élevage traditionnel qui était basé sur un nomadisme extensif "écologique" a vu augmenter considérablement les superficies qui leur étaient consacrées. Il s’est transformé en pâture itinérante en tirant profit des moyens de transport. A cause de ces pratiques, la diminution de l’espace consacré au pastoralisme expose les zones restantes au surpâturage. Cette situation évolue vers une dégradation de la végétation et des sols sur les terres pâturées comme sur les terres cultivées, ce qui influence négativement le bilan en eau. Cette évolution, qui réduit considérablement le coefficient d’infiltration, diminue par voie de conséquence l’alimentation des nappes phréatiques en limitant la rétention de l’eau par le sol et augmente l’érosion hydrique ainsi que la déflation due aux vents.
Les aménagements hydrauliques sont également perturbateurs des régimes hydriques. Si les réservoirs sont utiles à la régularisation des eaux, ces aménagements ont aussi des effets négatifs : diminution des débits moyens et d’étiage.
Au cours des années 80-90, la technique ancestrale de construction de petits barrages a été encore davantage utilisée dans le cadre d’un programme gouvernemental. Ces petits réservoirs traditionnels et saisonniers, connus sous diverses appellations, se sont multipliés sous le nom de « barrages collinaires ».
Afin de faire face aux crues répétées de l'oued Ben Khlil qui divise la ville en deux, et dans le cadre de sa « politique de barrages », l’état a décidé de construire deux petits barrages dans l'arrière-pays, qui ont eu des effets inévitables et majeurs sur les écoulements de surface et sur la nappe phréatique. Ces barrages eux-mêmes sont menacés aussi par l’eutrophisation, activée par le climat.
De nombreux signes de dégradation sont constatés dans les eaux de surface qui connaissent très fréquemment de fortes teneurs en phosphates, nitrates et métaux lourds et les pollutions locales bactériologiques sont fréquentes.
Les pénuries d’eau dues à la surexploitation des ressources locales aggravées par l’importante sécheresse des dernières décennies ont affecté les villes du sud marocain qui ont décidé de s'approvisionner auprès de Tan Tan en eau potable, ceci s'est traduit par l'émergence des camions citernes et la multiplication des forages, quoique que les structures géologiques ne permettent pas toujours d’accéder facilement aux nappes phréatiques.
Afin de compenser la diminution du débit de ces sources on a équipé les puits, de plus en plus profonds, par des motopompes qui ont remplacé le D'lou. L’intensification des prélèvements d’eau souterraine et le développement du pompage a provoqué la salinité de l’eau ainsi que le tarissement de plusieurs puits.
Au cours des deux années consécutives de grande sécheresse qui a touché tout le pays (1998-1999 et 1999-2000), les relevés enregistrés à différentes périodes montrent d’importantes fluctuations du niveau de la nappe phréatique dont la pénurie d’eau n’est pas seulement due à la sécheresse, elle est également causée par le nombre croissant de puits dans la région de Taâssalte ou on compte une trentaine de puits équipés de motopompes,
D’après nos observations sur le terrain, l’impact du pompage incontrôlé est très grand. Les ressources en eau deviennent de plus en plus sensibles à la sécheresse à cause de l’augmentation du nombre des prélèvements et de leur intensité. D’ailleurs, l’abaissement de la nappe phréatique a poussé presque tous les cultivateurs à abandonner leurs parcelles qui sont envahies par le sable le long de l'oued Ben Khlil et dans la région de Lagrara.
L’indice d’exploitation croît dans toute la région, traduisant une tension croissante sur des ressources déjà rares, pour des raisons essentiellement démographiques.
Devant la croissance des demandes en eau, les nappes souterraines font l’objet d’une surexploitation faisant baisser excessivement leur niveau. Il s’agit, en quelque sorte, d’un emprunt sur le « capital naturel en eau » des futures générations.
Ces tensions sur les ressources apparaissent encore plus fortes lorsque l’on considère que toutes les ressources naturelles renouvelables ne sont pas forcément « exploitables » par l’homme. Parmi ces ressources naturelles renouvelables « exploitables », les 3/4 sont irrégulières et nécessitent, pour leur exploitation, la construction d’ouvrages de régulation permettant de stocker les eaux dans l’année pour les restituer en été (irrigation, tourisme) ou d’une année sur l’autre. D’ores et déjà, dans les bassins versants méditerranéens de très nombreux pays, les demandes en eau dépassent le double des ressources renouvelables naturelles régulières et ne pourraient pas être satisfaites sans ces ouvrages.
Mais avant de pouvoir être mieux gérée, la demande doit être connue (demande sociale, économique et environnementale), ce qui permet de définir les gisements d’efficience les plus prioritaires ou les plus « rentables » à exploiter.
Au-delà de la nécessité d’une telle prise de conscience, la gestion durable de l’eau de passe aussi par un changement profond de pratiques et de mentalités, voire par une remise en cause des modes de production et de consommation. L’enjeu est de réussir à combiner des approches de type « technicité » (mettant l’accent sur la technique et les infrastructures d’approvisionnement), avec des approches de type « sociétal » (tentant d’agir avec l’ensemble des acteurs, pour rechercher la meilleure valorisation possible de chaque m3 d’eau, sans oublier les besoins de la nature). Plus généralement, il s’agit de remettre l’homme au cœur des préoccupations, lui qui n’est pas seulement un usager ou un client mais aussi un « citoyen », acteur responsable d’une gestion patrimoniale de l’eau.
L’eau est un enjeu majeur dans la région, c’est un problème important qui mérite une attention particulière. L’urbanisation et la concentration sur les littoraux aggravent encore les pressions locales sur cette ressource.
Sur la base d’une analyse de documents d’observations et d’enquêtes, des projections de ces demandes ont été construites. À l’horizon 2020-2030, la région sera confrontée aux plus fortes croissances prévisibles des demandes en eau potable.

* Docteur en géophysique,
 environnement, aménagement de l’espace et paysages
Université Nancy 2


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