Sa côte au cou, un Chinois explore l'art extrême


AFP
Mercredi 28 Mai 2014

Sa côte au cou, un Chinois explore l'art extrême
He Yunchang est-il le plus radical, le plus original ou le plus masochiste des artistes chinois ? Sans doute les trois, si l'on se réfère aux "oeuvres" de cet homme de 48 ans qui s'est fixé comme seule limite de rester en vie.
Jamais couché avant l'aube, c'est en pleine nuit qu'il reçoit ses invités dans son domicile-atelier de Caochangdi, un quartier de Pékin qui regroupe les galeries d'avant-garde.
De taille moyenne mais tout en muscle, He Yunchang a le crâne rasé, sauf une petite mèche en croc curieusement située au-dessus de son oreille gauche. Sa peau est striée de cicatrices.
D'apparence timide, il sert à ses visiteurs du thé de la région du Xinjiang, dans un silence seulement rompu par les feulements de ses chats qui se pourchassent.
"Si cela en vaut la peine, je passe ma sécurité au second plan. Mais je conserve les choses sous contrôle, il est crucial que je ne me tue pas", confie-t-il d'une voix à la raucité accentuée par ses 120 cigarettes quotidiennes.
L'ambiance feutrée se teinte de malaise quand He Yunchang enfile son fameux collier en or massif, serti d'un os de 23 cm de long: l'une de ses propres côtes.
Sans aucune raison médicale, l'artiste s'est fait opérer le 8 août 2008, une date pas choisie par hasard: ce jour-là s'ouvraient à Pékin les Jeux olympiques. Le monde avait les yeux braqués sur la Chine et lui passait sur le billard dans un hôpital privé de sa province méridionale du Yunnan.
L'absurde porté en sautoir. La nudité, le sang, les chocs, les sutures, mais aussi la poésie, l'intime, les paradoxes: tels sont les mots-clés de l'univers de He.
Ce créateur polyvalent, sculpteur, photographe, peintre, a ses travaux désormais exposés et vendus de l'Europe jusqu'à l'Amérique, en passant par l'Australie.
Marié et père d'un enfant, il a toutefois surtout bâti sa renommée à coups d'happenings colorés d'hémoglobine.
Comme ce jour d'octobre 2010 où il rassemble 25 personnes pour un scrutin à bulletins secrets devant décider s'il sera entaillé à vif, de la clavicule jusqu'à la cuisse. L'incision est votée par 12 voix contre 10 et 3 abstentions.
L'oeuvre baptisée "Un mètre de démocratie" se décline sous forme de photos et d'une vidéo difficilement soutenable, visibles dans la zone d'art contemporain 798 à Pékin. En s'infligeant ses blessures, He soutient "insuffler davantage de puissance" dans ses oeuvres. "Je veux transmettre le message que je suis prêt à payer un prix fort pour montrer ma préoccupation à l'égard du monde".
Mais He Yunchang est aussi adepte de la performance brute et éphémère, absurde ou poétique. 
Une fois il se fait suspendre par une grue, tête en bas et couteau en main, au-dessus d'une rivière, pour essayer d'en "séparer le flot en deux parties".   Une autre, il ramasse une pierre sur une plage d'Angleterre et la transporte durant 112 jours, soit 3.500 kilomètres à pied, et la repose exactement au même endroit.
Pour Judith Neilson, fondatrice à Sydney de la galerie White Rabbit, spécialisée dans les nouveaux artistes chinois, "He Yunchang est un alchimiste de la douleur".
"La vue de ses souffrances suscite une gamme de réactions intenses", explique-t-elle à l'AFP. "He Yunchang pense que la douleur et le malaise extrême, subis de façon voulue, ont une dimension transcendante, qui fait d'un simple acte une oeuvre d'art".
Qu'il ingurgite des rasades d'eau de mer, abîme ses yeux devant un mur d'ampoules, se fasse enfermer dans un cube de ciment ou brûle ses vêtements à même sa peau, He Yunchang dérange.
Selon Mme Neilson, il "joue un rôle critique silencieux de la société chinoise contemporaine, dans laquelle les gens endurent toutes sortes de souffrances au nom de l'argent, justement parce qu'ils considèrent que cet argent leur offrira la meilleure protection".
 


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