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«Rue des voleurs» est le titre d’un roman de Mathias Enard. Il est aussi le titre d’une pièce de théâtre adaptée du même roman par le metteur en scène français Bruno Thircuir. C’est une prouesse que de s’aventurer dans les dédales d’un livre écrit par un orientaliste moderne comme Mathias Enard. Mais le metteur en scène n’a pas froid aux yeux. Armé jusqu’aux dents par son expérience théâtrale, un globe-trotteur qui a sillonné l’Afrique pour réinstaller le théâtre sur la place publique. Il crée un camion-théâtre qui peut voyager et surmonter toutes les difficultés inhérentes à l’absence d’un théâtre. Il a choisi le Maroc pour placer les premiers pas sur la scène via une résidence de réécriture, adaptation et lecture avec les comédiens au sein de la Résidence d’artistes de Dar Batha en septembre 2014. La compagnie des Petites Utopies est soulagée puisqu’elle a pu faire le choix de l’acteur principal de la « Rue des voleurs », un certain circassien et comédien nommé Ayoub Essoufi, qui a roulé sa bosse comme artiste de cirque au sein du Cirque Chems’ys de Salé, une boule de feu au regard vif et inquiétant. Ce jeune acteur marocain sera amené à porter le fardeau d’un personnage complexe s’engageant dans un voyage douloureux à la quête d’une vérité. Après plusieurs mois de répétitions en France et plus précisément à Grenoble, la compagnie revient au Maroc pour une tournée de deux mois, sous la houlette de la Saison culturelle France-Maroc orchestrée par l’Institut français du Maroc. Sept villes accueillent ce camion-théâtre du « Rue des voleurs » : Tanger, Fès, Meknès, Kénitra, Salé, Casablanca et Taroudant. Un travail spécifique sur la traduction en darija a été initié à Tanger pour assurer une partie du bilinguisme et une bonne réception de la part du public, surtout que le camion-théâtre accoste la place publique, avec le souhait d’être accessible à un public qui n’a jamais accès à une salle de théâtre.
Sur la place Boujloud à Fès, dans le camion-théâtre, il y a une scène où les acteurs sont déjà là, Lakhdar, le personnage interprété par Ayoub Essoufi, et Jean-Luc Moisson qui incarne un personnage créé suite à cette adaptation où la dramaturgie nécessite la présence d’un tel personnage. Le monologue n’est pas la tasse de café du metteur en scène.
Par contre, il occulte les autres personnages, ils ne sont présents que par l’image. Ce personnage est primordial pour la montée en puissance de la trame. C’est le chef d’orchestre qui rythme l’histoire de ce jeune Tangérois qui quitte la maison paternelle après avoir été surpris par son père entre les bras de sa cousine Meryem. La traversée du désert a fait de lui un SDF dans les rues de Tanger. Son ami intime Bassam lui propose d’intégrer un centre islamique pour vendre des livres. Il tombe amoureux de Judith, une fille espagnole.
L’attentat de Marrakech marque un tournant dans sa vie puisque Judith était ce jour-là à Marrakech. Rupture et puis retrouvailles sur le net. Bassam suit son parcours, les soupçons tournent autour de lui. Lakhdar travaille comme transcripteur de documents européens numérisés payé au noir, puis plusieurs jobs insignifiants sur un ferry du détroit. Croque-mort et embaumeur des harragas noyés dans la Méditerranée. Il est à Barcelone, s’installe à la Rue des voleurs. Il rencontre Bassam dont il est persuadé de son implication dans ces tristes incidents qui ont coûté la vie à des êtres humains innocents. Le drame survient et Bassam meurt entre les mains meurtrières de Lakhdar.
Toute cette histoire est au creux d’une scénographie sobre, des chaises, l’anneau de cirque, deux acteurs ... Rien n’est laissé au hasard. Des procédés vidéo qui vont jouer le rôle des tribulations de Lakhdar et représenter l’image virtuelle d’un troisième acteur. Le roman est par excellence le lieu de digressions, d’imbrications des histoires et de mise en abîme. Le metteur en scène a fait appel à une équipe vidéo pour faire tourner des scènes et produire des images accompagnées d’une musique composée à fleur de peau par Francis Mimoun pour donner un cachet à cette douce tragédie à venir.
Il a fallu une heure et quarante minutes, pour arriver à la fin essoufflé. Il n’y a pas que l’acteur qui souffre, la proximité qu’offre ce lieu, implique davantage le spectateur. Bassam, ce personnage qui traverse l’intrigue en filigrane, se métamorphose à la fin pour quitter l’image et renaître en chair et en os comme si sa mort n’était que le début d’une renaissance.
Bruno Thicuir a su redonner une autre vie à l’œuvre de Mathias Enard. Il a su faire la part des choses, on ne peut que réécrire une œuvre écrite déjà et dans ce processus de réinventer, on est affronté à nos propres ombres et démons. C’est pour cela qu’il nous a offert une création magistrale pleine de justesse et de fragilité.
Un message fort en ces temps où la violence porte plus haut le visage de l’intolérance. Personne ne sort indemne de cette pièce théâtrale. Le public, lui, n’est pas non plus épargné, il doit assumer la fin d’un cauchemar.