Reprise du procès du quotidien anti-Erdogan Cumhuriyet


Libé
Lundi 11 Septembre 2017

C'est un procès qui cristallise les inquiétudes liées à la liberté de la presse en Turquie: le procès pour activités "terroristes" de plusieurs collaborateurs de Cumhuriyet, quotidien farouchement anti-Erdogan, a repris lundi matin.
Au total, 17 dirigeants, journalistes et autres employés actuels ou passés de Cumhuriyet, l'un des journaux de référence en Turquie, sont accusés d'avoir aidé diverses "organisations terroristes armées". Ils risquent jusqu'à 43 ans de prison.
Pour les défenseurs des droits de l'Homme, cette affaire est emblématique de l'érosion des libertés en Turquie depuis le putsch manqué du 15 juillet 2016, suivi de purges massives qui ont frappé les milieux critiques: élus prokurdes, médias et ONG.
Fondé en 1924, Cumhuriyet ("République"), l'un des doyens de la presse turque et auteur de plusieurs scoops qui ont irrité le président Recep Tayyip Erdogan, dénonce un procès visant à le réduire au silence.
Au terme d'une première semaine de procès, fin juillet, un tribunal d'Istanbul avait décidé de remettre en liberté provisoire sept collaborateurs de Cumhuriyet arrêtés en octobre et écroués depuis, dont le caricaturiste Musa Kart.
Mais plusieurs piliers du journal, comme son dirigeant Akin Atalay, son rédacteur en chef Murat Sabuncu, le chroniqueur Kadri Gürsel, ainsi que le journaliste d'enquête Ahmet Sik, sont toujours détenus.
Des portraits des quatre hommes, ainsi que d'Emre Iper, un comptable de Cumhuriyet également jugé, étaient publiés en une du quotidien lundi, sous le titre "Nous voulons de la justice".
L'audience de lundi se tient à Silivri, près d'Istanbul, dans un tribunal adjacent à la prison de haute sécurité où sont écroués les journalistes. Comme lors de l'audience précédente, une foule nombreuse assistait au procès. "Ils sont jugés simplement parce qu'ils incarnent le journalisme digne de ce nom en Turquie et qu'ils ne diffusent pas la propagande du régime d'Erdogan", a affirmé Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), présent lundi.
Venu lui aussi assister au procès, un député du Parti républicain du peuple (CHP), Baris Yarkadas, s'en est pris au Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir.
"Ils veulent enfermer la Turquie dans un sombre tunnel et nous ne savons pas à quel moment nous verrons enfin la lumière au bout de ce tunnel", a-t-il déclaré.
Selon l'accusation, les collaborateurs de Cumhuriyet ont aidé trois "organisations terroristes" : les séparatistes kurdes du PKK, un groupuscule d'extrême gauche appelé DHKP-C et le mouvement du prédicateur exilé aux Etats-Unis Fethullah Gülen.
Ce dernier est désigné par Ankara comme le cerveau de la tentative de putsch, ce qu'il dément catégoriquement.
Lors de la première partie du procès, en juillet, les collaborateurs de Cumhuriyet avaient taillé en pièces l'acte d'accusation, le journaliste Ahmet Sik invitant même le président du tribunal à "ne pas le prendre trop au sérieux".
Certains éléments ont particulièrement fait bondir la défense: ainsi, Kadri Gürsel est accusé de liens avec la mouvance du prédicateur Gülen - qu'il critique pourtant depuis des années - pour notamment avoir reçu, sans y avoir répondu, des SMS de présumés gülénistes.
M. Gürsel est également accusé d'avoir "créé la perception selon laquelle la Turquie est un pays dirigé par un régime autoritaire" dans une chronique intitulée "Erdogan veut être notre père".
"Symbolique de notre époque, le procès Cumhuriyet restera dans l'histoire comme l'illustration la plus concrète et la plus absurde de l'écroulement des institutions et du problème de la justice", a écrit dimanche dans Cumhuriyet la chroniqueuse Asli Aydintasbas.
Parmi les accusés figure aussi Can Dündar, ex-rédacteur en chef de Cumhuriyet qui s'était attiré les foudres de M. Erdogan après avoir publié en 2015 un article affirmant qu'Ankara livrait des armes à des islamistes en Syrie. Exilé en Allemagne, il est jugé par contumace.
Selon le site P24, spécialisé dans la liberté de la presse, quelque 170 journalistes sont détenus en Turquie.
Si les journalistes turcs sont de loin les plus touchés, leurs confrères étrangers sont également concernés. Deniz Yücel, journaliste germano-turc, est ainsi écroué depuis février, et Loup Bureau, jeune reporter français, depuis fin juillet.
La Turquie occupe la 155e place sur 180 au classement 2017 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF).


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