-
Grille de la nouvelle saison d’Al Aoula : Une offre attractive de grands rendez-vous
-
Le bateau-musée Art Explora, l’Odyssée culturelle qui brise les frontières
-
Rabat à l’heure des 2èmes Assises des industries culturelles et créatives
-
Troisième Festival national des arts patrimoniaux à El Kelaâ des Sraghna
Après le mot de présentation prononcé par le Directeur de l’Institut, et celui ensuite, plus étayé de Mme Widad Tebbâa, doyenne de la Faculté des lettres et des sciences humaines de Marrakech, Edgar Morin prend la parole. Une parole qui épate et plait par sa logique, sa structuration complexe, sa profondeur…mais qui bouscule et dérange par son contenu apocalyptique. Dans un silence presque monacal, on ne pipait mot et seule une voix retentissait. Suspendue aux lèvres de ce grand monsieur émérite de la pensée, l’audience, assoiffée, buvait ses paroles.
La conférence a touché à plusieurs questions qui relèvent de l’actualité, de l’urgence même. Pour répondre à la question d’amorce « Peut-on espérer ? Ou doit-on espérer ? », le penseur a ricoché sur d’autres questions qui bifurquent de la première : « Qu’est-ce que je sais ? Et qu’est-ce que je peux ? ». Ce que l’on sait, c’est que nous sommes dans une ère de menace, de neutralisation progressive et systématique de la potentialité fraternisante et altruiste ; une ère d’égocentrisme alarmant favorisant les individualités au détriment de la collectivité, sacrifiant le « Nous » au profit d’un « Je » plus que jamais imbu de lui-même ; une ère qui, bien qu’elle nous renvoie en surface un semblant d’égalitarisme, de liberté, de fraternité et de bien-être, recèle en profondeur, à l’image de l’arbre qui cache la forêt, de véritables misères, de véritables problèmes fondamentalement angoissants, émanant des idéologies étatiques des plus sournoises, des plus mystificatrices qui, au demeurant, ne font que conduire de leurre en leurre et font forcément péricliter d’une façon ou d’une autre, ce « Destin de communauté » qui devrait nous rallier, nous fraterniser pour le bien de chacun et celui de tous…
Par ailleurs, contrairement à Francis Fukuyama qui croit que l’humanité n’avait plus rien à espérer en atteignant cet idéal de démocratie parlementaire et celui de l’économie libérale, Edgar Morin pense qu’il ne s’agit là que de la pure et pire illusion. En témoignent les conflits qui emplissent le monde, les guerres, les privations et les injustices sociales, d’une part, et d’autre part, le dérèglement récent de la finance mondiale. L’humanité, la « Terre-patrie », continue de souffrir de problèmes bien plus majeurs et qui les travaillent souterrainement. Dans le monde où nous vivons, jamais l’humanité n’avait produit autant de misères : des ceintures de bidonvilles, des aliments qui, au lieu de nourrir l’homme, menacent de détruire sa santé, un progrès scientifique qui nuit et menace de faire écrouler irrévocablement notre biosphère, une industrie agroalimentaire immorale, un armement sans chaînes et des multinationales mordant à pleines dents, avec leurs crocs affûtés dans la chair des pays pauvres et démunis. Faut-il continuer de croire pour autant ? Et que peut-on ou que doit-on faire pour espérer ?
En paraphrasant la pensée d’Edgar Morin, cette humanité a de tout temps été capable du meilleur comme du pire. Il s’agit donc de cultiver collectivement ce qu’elle a de meilleur et de faire, sinon disparaître, du moins régresser ce qu’elle a de pire. Il faudra reprendre à penser en « Communauté de destin » pour affronter les problèmes mortels qui menacent, non pas séparément les petites communautés, mais la communauté humaine dans son ensemble. Il faudra aussi prôner et faire apprendre cette « Pensée complexe » qui consiste à penser conjointement et sciemment l’unité dans la différence et la différence dans l’unité. Une pensée capable de prise en charge véritable de la réalité, à même d’épouser l’envers et l’endroit des phénomènes qui se présentent. Il faudra enfin développer l’humanité dans ce qu’elle a de meilleur et de l’envelopper dans ce qu’elle a de pire, de faire croître celle-là et décroître celle-ci, de mondialiser la première et démondialiser la seconde. Et cela ne peut se faire sans cette pensée complexe fraternisante qui annihilerait tout délitement, souderait et solidariserait davantage les hommes dans leur destin commun. Il va sans dire que cette pensée complexe n’est pas une mince affaire, cela s’apprend et c’est là qu’intervient le rôle de l’enseignement. Un enseignement fort, capable et compétent. Cela se travaille aussi, à travers des programmes et des professeurs appropriés.
Peut-on espérer ? Oh que oui ! Certes, tout porte à croire le contraire, mais l’histoire aussi, est riche d’enseignements, d’exemples de métamorphoses qui ont, contre toute attente, au bout de quelques dizaines d’années ou même plus, fait changer le cours des événements du tout au tout. L’improbable aujourd’hui peut devenir probable demain ! A l’instar d’Edgar Morin, nous devons y croire !