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Ce roman s'inscrit dans une continuité, amorcée depuis ses premiers écrits. Une continuité de ce que les anciens ont laissé comme ligne de mire, comme direction de cette critique sociale de fond, comme sens du combat et de sa poursuite. Une continuité de ce qu'il a choisi comme esthétique, comme conception de cette forme littéraire qui dit bien notre monde d'aujourd'hui. Rabbaj porte un regard sans concession, sans courtoisie et sans contrainte aucune sur un phénomène qui ronge la société marocaine actuelle, à savoir le chômage. Il l'attaque de front et démontre par les outils que met à sa disposition l'art romanesque comment un jeune homme, ce qu'il y a de plus sain du corps et surtout de l'esprit, pourrait, suite à cette nécessité de ne rien faire, et plus précisément de ne pas faire ce qu'il est le plus capable de faire, se trouver sur le chemin de la perdition. Nous assistons dans ce roman à une descente au fin fond des choses et de l'être. Le récit avance dans un mouvement ordonné, qui ne s'arrête que pour ouvrir des parenthèses qui s'imposent et les fermer promptement, se dirigeant toujours en avant vers son point de chute à la fois temporel et scriptural. Un mouvement descendant du point de vue de la destinée pour le moins tragique du héros, mouvement ascendant quant au suspense cultivé. Plus le personnage principal s'enfonce, plus le destin le malmène, plus les circonstances l'écrasent, plus il se hisse à son statut de héros, plus il devient intéressant sur le plan de l'histoire. En fait, c'est par une volonté auctoriale préméditée que Hassan, c'est le prénom du héros, reçoit des coups de plus en plus durs. Il faut absolument qu'il perde toute attache à son réel adoucissant, les conditions difficiles d'un diplômé chômeur, il faudrait qu'il perde ses repères habituels, il faudrait qu'il quitte le giron familial protecteur. Marthe Robert n'a pas dit autre chose dans son livre de référence “Roman des origines et origines du roman”. Elle a déclaré que deux conditions président à la constitution en tant que héros : s'exposer et tuer le père. Et les deux sont remplies dans ce roman : Hassan est harcelé par son père qui considère que son fils doit absolument trouver un travail, et sortir de sa situation de “knakri”, c'est-à-dire à l'affût de tous les concours possibles en vue d'intégrer une fonction digne de son diplôme de licence. Le père ne constitue plus un modèle, il est tué depuis longtemps, symboliquement bien sûr. L'exposition du héros suit une logique plus longue et plus souterraine : elle répond à une nécessité de couper les ponts avec tout. L'histoire d'amour que vit le héros au début doit nécessairement s'achever, et par un drame de surcroît, pour qu'il ne lui reste que son travail auquel il ne se plaît guère. Ce travail, il finit par le quitter, ce qui engendre son expulsion de la maison paternelle. Début de l'exposition à la rudesse du monde. La somme modique qu'il avait sur lui disparaît en un tour de main et il commence une vie de clochard qui va jusqu'à l'intrusion dans le monde des morts, ce lieu plus clément que celui des humains encore vivants. C'est là où il va rencontrer un ami d'enfance, presque un fantôme qui essaiera de lui apporter un peu d'aide, mais on se rendra compte rapidement que quand le destin est à vos trousses, il est inutile, tout à fait inutile, que les gens vous sourient ou tentent de vous extirper de votre bourbier… vous êtes condamné. L'auteur mène tout cela, doucement, dans un souci apparent de ses lecteurs. On a l'impression que la vraisemblance du récit, les différentes petites histoires qui le parsèment de bout en bout, le passage d'un chapitre à un autre, l'élaboration d'un possible narratif, même les silences qui ponctuent le texte sont calculés en fonction d'une réception, la meilleure possible…
“Suicidaire en sursis” est une invitation à découvrir un monde autre, un monde que beaucoup d'entre nous ignorent.
* Agrégé et docteur ès lettres