Pour Camus, la vie fut un long voyage sans fin, une marche sans but et sans sens

L’auteur de “l’étranger” aurait atteint un siècle le 7 novembre 2013


Par Hamid Lechhab
Mardi 5 Novembre 2013

Pour Camus, la vie fut un long voyage sans fin, une marche sans but et sans sens
S’il était encore en vie, il aurait atteint un siècle le 7 novembre 2013. Mais sa mort tragique, accident de voiture, le 4 janvier 1960, l’a arraché de «l’absurdité» de la vie et des désarrois de l’existence.
Né sur une terre qui n’était pas celle de ses ancêtres et qui l’a pourtant marqué et lui a donné les ailes de la création littéraire et cette nuance philosophico-existentielle, Camus a connu une vie turbulente, qui lui a montré presque toutes ses facettes et l’a ramené à se reposer paisiblement à Lourmarin au sud de la France, dans un paysage où le mistral se marie avec l’odeur des herbes sauvages, sous un soleil qui ne manque pas au rendez-vous tout au long de l’année.
A en croire ses biographies, la vie lui a enseigné l’absurdité de l’existence, c’est pourquoi il ne la prenait pas au sérieux, quoi que ses dichotomies l’obsédassent, lui qui la considérait comme un long voyage sans fin, une marche sans but et sans sens.
 «L’étranger» et «La peste» à côté d’autres textes, en particulier son roman inachevé: «Le premier homme» témoignent de la grandeur littéraire de cet homme qui ne craignait rien dans la vie, vu que l’absurde la dominait. Paris n’était pas sa ville idéale, au contraire, elle lui a confirmé son «étrangeté» et lui a rappelé ses racines, pleines de lueurs ensoleillées, des nuits étoilées et de la Méditerranée, qui le fascinait.
Paris, qui était à son époque la plateforme tournante des idées nouvelles et qui hébergeait un grand nombre de créateurs dans presque tous les domaines, l’a vu accoucher de «l’Etranger». C’est Paris qui a fécondé l’idée de ce célèbre roman. Mais il avait un sentiment ambivalent envers elle, si on se rappelle qu’il avait dit une fois, qu’il regrettait les années noires qu’il avait passées dans cette ville. Il la considérait comme «l’unique désert utilisable». Quoi que l’ex-président Sarkozy ait bien voulu «inviter» Camus à quitter le sud de la France pour se reposer au Panthéon à côté de Voltaire, Rousseau et Malraux, sa progéniture s’y est fortement opposée et voulait qu’il reposât en paix dans le sud qui était le sien.
Ses conquêtes amoureuses ne se faisaient pas dans «la clandestinité», mais au grand jour. Sa vie était pleine de femmes: actrices, artistes, journalistes, etc. Elles jouaient des rôles importants dans ses livres et il considérait que les femmes étaient là pour être utilisées. Certes, une conception déplacée d’un grand homme de lettres, mais une véritable attitude dans sa vie d’être humain. Son mariage malheureux avec Francine peut être considéré comme un délire : quoi qu’il ait confirmé à sa célèbre maîtresse Maria Casarès qu’il aimait sa femme comme une sœur, il a eu avec elle quand même trois enfants, dont deux jumeaux. Camus ne se gênait pas d’avoir plus d’une maîtresse à la fois, car sa libido psychique avait soif et voulait remplir un vide qui l’a accompagné toute sa vie. L’origine du problème de Camus avec les femmes est à chercher dans sa relation avec sa mère. L’ombre de l’amour de sa mère hantait ses aventures sentimentales et on constate qu’il n’avait pas pu faire son deuil d’Oedipe.
L’indifférence, cette nouvelle maladie de l’homme, n’est au fond que la réponse inconsciente à la vie moderne dans toutes ses complications. L’homme moderne ne pouvant plus supporter les contraintes et les contradictions de cette vie si compliquée, trouve refuge dans l’indifférence comme moyen de lutte contre soi-même et contre le monde. L’indifférent essaie de maîtriser sa vie par son indifférence, n’a peur de rien, même pas du non-sens de la vie ou des jugements de la société. L’indifférence conduit dans ce sens à l’absurdité de l’existence. A dire vrai, on est ici loin d’une philosophie négative, car le non-sens s’ouvre sur une autre dimension de l’existence que la vie moderne essaie d’enterrer: le silence et les multiples significations du monde. C’est ce qui libère l’intérieur de celui qui est hanté par la recherche de la signification, là où il n’ y en a pas!
Que lui restait-il dans une existence absurde et en particulier après l’attaque démesurée de Sartre contre lui, à cause de son essai: «L’Homme dans la révolution»? Le vin, la cigarette? Une vie familiale au sein d’un appartement dans la rue Madame à Paris? Les nombreuses maîtresses et notamment Maria Casarès? Son gagne-pain comme journaliste ou la fuite vers les Etats-Unis d’Amérique? La quête d’une identité perdue, la nostalgie d’une Algérie romanesque et romantique? Non, plus que ça! Ce qui lui restait était le silence! Un silence, quoi que pathétique, mais pas apathique, négatif, vaincu, d’un combattant fatigué de la vie et de ses désarrois. Le silence éveillé, positif et combattant. Donc, cette énergie intérieure qui combat l’autisme que l’absurdité existentielle peut provoquer et qui ouvre les portes sur une autre dimension de la vie, à croquer à pleines dents. Cet amour de la vie, malgré ses dichotomies, sa «peste» et son étrangeté, ses hauts et ses bas, son injustice et sa brutalité, lui a réservé en 1957 l’honneur de porter le titre de «Prix Nobel de la littérature».
Moraliste sans le vouloir peut-être, homme de principes, la vie lui a offert plus qu’un prix Nobel. Elle a confirmé ses positions et ses idées, qu’on peut résumer dans les dix mots qu’il aimait le plus: le monde, la terre, la mère, la souffrance, l’Homme, le désert, l’honneur, l’été, la mer, la peine. Sa maxime peut être résumée ainsi: vis intensivement, mais sur la même onde avec la mort, parce que la vérité, la morale et la vie, ne se laissent pas reporter pour un autre temps. Il ne cherchait pas les grandes réponses, comme Sartre et ses compagnons, qui étaient prêts à accepter la terreur stalinienne, et l’histoire a donné raison à Camus, qui était clair dans ses pensées et ne livrait pas de réponses qui, selon lui, n’existaient pas. Ce qui l’intéressait le plus n’était pas de croire à la raison, mais plutôt comment on doit vivre.


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