Pas de justice pour les filles esclaves du Népal


AFP
Mardi 11 Février 2014

Pas de justice pour les filles esclaves du Népal
A neuf ans, Manjita Chaudhary n'avait jamais passé une nuit loin de ses parents avant que son père ne la vende à un policier népalais pour 2.500 roupies (25 USD).
Elle quittait alors sa famille installée dans l'ouest du Népal pour rejoindre le domicile de son employeur à 200 km de là, non loin de la frontière indienne.
Sa nouvelle vie commençait à 04H00 du matin par le ménage de la maison, puis la vaisselle, la cuisine avant d'aller chez des proches de son employeur pour faire la même chose. Harassée, elle tombait de sommeil peu avant minuit.
"Je n'y arrivais pas, alors la femme de mon employeur me frappait avec des casseroles et des poêles, et elle menaçait de me vendre à un autre homme", raconte Chaudhary, désormais âgée de 22 ans, à l'AFP.
"J'étais tellement terrorisée que je ne parvenais pas à pleurer devant eux, je pleurais seulement doucement dans la salle de bains", ajoute-t-elle.
Un an après, elle retrouvait son père qu'elle implorait de la ramener à la maison mais celui-ci, travailleur asservi, lui répondait qu'il ne pouvait se permettre de l'élever, ni elle, ni sa soeur qu'il avait aussi vendue.  Ces jeunes filles népalaises vendues comme esclaves, les "kamlari", sont fréquemment battues et violentées sexuellement, réduites à l'état de prisonnières par leurs employeurs.
A chaque mois de janvier, quand la minorité des Tharu célèbre le festival Maghi marquant la fin de l'hiver, les familles en difficultés signent des contrats pour "louer" leur fille à des employeurs, parfois pour seulement 25 dollars par an.
Il y a un siècle, les Tharu étaient propriétaires de leurs fermes et vivaient dans une autarcie relative dans la région du Terraï infestée par le paludisme, contre laquelle ils étaient naturellement immunisés.
Mais quand le paludisme fut éradiqué de cette région dans les années 60, des agriculteurs de caste supérieure se sont emparés de ces terres fertiles et les Tharu sont devenus leurs serfs, endettés sur leurs propres terres.
Beaucoup se sont résolus à vendre leurs enfants comme esclaves domestiques, donnant naissance aux "kamlaris", une pratique interdite depuis 2006 mais qui persiste dans le pays.
Chaudhary a travaillé pendant trois ans comme kamlari, subissant violence et harcèlement sexuel avant que la Nepal Youth Foundation, une ONG américaine, ne se rapproche de son père et propose de le soutenir dans l'éducation de ses filles, à condition de rompre les contrats.
A 12 ans, Chaudhary a appris à lire et écrire. L'étudiante en gestion affiche désormais un visage serein, porte un imperméable à la mode et s'exprime dans trois langues.
Mais les stigmates de son enfance sont restées vives et la jeune femme a décidé de s'engager aux côtés des kamlaris.
"On m'a volé mon enfance. C'était une époque terrible et je ferai tout mon possible pour mettre fin à cette pratique et libérer ces filles", dit-elle.
Selon les ONG luttant contre cet esclavage, cette pratique née dans le sud-ouest du Népal subsiste en particulier dans la capitale où des familles aisées y ont toujours recours.
Au moins 1.000 kamlaris sont toujours sous la coupe d'employeurs, dont au moins la moitié à Katmandou, selon Kamal Guragain, juriste de l'ONG népalaise CWISH (Children-Women In Social Service and Human Rights).
Aucun employeur n'a jusque-là été condamné pour l'emploi ou pour des mauvais traitements contre des kamlaris, en dépit des nombreuses plaintes de l'ONG.
"Les kamlaris continuent d'exister car leurs employeurs ne sont pas poursuivis ou emprisonnés", dit le juriste.
En mars 2013, l'une d'elles âgée de 12 ans est morte de brûlures chez son employeur, déclenchant une vague de protestations. Le gouvernement avait promis de mettre fin à cette pratique mais un an après, pratiquement rien n'a changé.


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