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Tout un chacun doit se représenter en lui l’une des multiples facettes qu’il a incarnées pendant de longues décennies en tant que militant, que leader et dirigeant, qu’homme d’Etat…Ou en tant qu’Homme tout court. Autant d’étapes qui ont jalonné le parcours exceptionnel d’un homme si exceptionnel et qui, par-là même, ont marqué l’histoire de tout un pays.
Pour les uns, Si Abderrahmane représentait la continuité de cette première génération du Mouvement national. Pour d’autres, un modèle phare, un pionnier de ce militantisme syndical qui a poussé son premier cri dans les quartiers industriels de Casablanca, un activiste et un inspirateur de premier ordre de la naissance de la Révolution du Roi et du Peuple. D’autres encore se rappellent les moments de la création, à ses côtés, d’une équipe de football, le TAS en l’occurrence, issu de Hay Mohammadi, quartier mythique de Casablanca, et qui devait par la suite allier militantisme et sport. Comme il y a également ceux qui se représentent le journaliste précoce qu’il était à une époqueoù l’oppression le disputait aux harcèlements de tous genres, quand la liberté d’expression et d’opinion était malmenée au plus haut point.
Si Abderrahmane a également laissé auprès de tout un peuple ce souvenir indélébile de cet homme d’Etat si brave etdont le mandat a été marqué, entre autres grandes réalisations, par le Plan de l’intégration de la femme au développement qui allait déboucher sur une évolution concrète de la situation de la femme avec notamment la mise sur pied du Code de la famille.
Tout le monde a, par ailleurs, en mémoire le geste Royal effectué aussi bien par Feu S.M Hassan II que par S.M Mohammed VI et qui se sont rendus au chevet de Si Abderrahmane pour s’enquérir de son état de santé lors de son hospitalisation.
Si Abderrahmane aura ainsi fortement marqué les esprits des Marocaines et des Marocains, trois générations durant.
Telle est la marque des grands hommes, telle est la marque des icônes, telle est la marque du grand Si Abderrahmane. Une personnalité assurément pas facile à cerner et dont j’essaierais toutefois de rappeler quatre principaux axes.
1-Abderrahmane El Youssoufi dans sa dimension nationale et populaire
L’enfance de Si Abderrahmane El Youssoufi nous rappelle son éveil national précoce, lui qui avait vu le jour à Tanger, cité aux caractéristiques spécifiques. Tanger, ville de transit interculturel et lieu de naissance du voyageur Ibn Batouta, qui a connu les premières expériences de la presse et les premières actions constitutionnelles marocaines. La ville atlantique et méditerranéenne unique en son genre, celle qui a vu naître le nouveau pacte entre la Royauté et le peuple à travers un discours fort et fondateur du regretté Mohammed V le 9 avril 1947 où il avait insisté sur l’unité territoriale et nationale de notre pays.
Issu d’un milieu populaire, Abderrahmane El Youssoufi a été un modèle de la jeunesse assoiffée de savoir, puisqu’il a assimilé assez tôt que la connaissance n’est pas un levier social mais une arme pour lutter d’égal à égal avec le colonisateur, et ce à l’instar de Mehdi Ben Barka, AbderrahimBoubid, Abdellatif Benjelloun et d’autres jeunes Marocains qui faisaient face au colonisateur en recourant à son référentiel, celle des Lumières, de la Déclaration universelle des droits de l’Homme qui stipule que les personnes naissent et restent libres et égales en droits, de même que le principe de toute souveraineté réside exclusivement de la Oumma, et de ce fait, aucune autorité ne peut être reconnue comme telle si elle n’en émane pas expressément.
La modernité, inaugurée sous l’ère des Lumières, n’a pas été un moyen adopté par Si Abderrahmane juste pour défendre la souveraineté du Maroc et son droit à la liberté, mais elle constituait pour lui et pour ses camarades un point de départ intellectuel et politique en vue d’édifier un Etat marocain moderne : un Etat des institutions et de droit, un Etat à l’administration rationnelle.
Dans le cadre de la modernisation politique, Si Abderrahmane a contribué à la constitution d’Al Ittihad et soutenu l’aile de la Gauche menée par le martyr Mehdi Ben Barka.
La modernité chez Si Abderrahmane, pour ce qui est de la forme, s’organise à travers les lois et les procédures, ce qui signifie qu’il n’était pas un homme de consensus autant qu’il veillait au respect des lois en vigueur dans les régimes modernes. Il convient de signaler à ce propos deux faits marquants : son refus d’une proposition du regretté Hassan II, à savoir la formation d’un gouvernement de minorité dont le Roi aurait été le garant de sa majorité au Parlement, ainsi que sa position ferme sur la nécessité de respecter la méthodologie démocratique dans le choix du Premier ministre.
Concernant le fond, la modernité chez Si Abderrahmane débute par l’instauration de la liberté et de l’égalité entre les femmes et les hommes, le respect de l’opinion de l’autre, la garantie du droit de la diversité, du pluralisme politique, culturel et intellectuel. Il n’a jamais fait partie de ceux qui appelaient à la pensée unique et à l’Etat totalitaire. Son attachement aux libertés individuelles et à l’égalité n'avait d'égal que son rejet total de l'individualité libérale.
2-Abderrahmane El Youssoufi, l’homme d’Etat et non pas l’homme de l’Etat
Abderrahmane El Youssoufi a donné au concept de l’homme d’Etat et non pas homme de l’Etat un sens édifiant à travers les périodes critiques durant lesquelles les prises de position et de décision revêtent une dimension pas forcément conçue dans l’immédiat du fait que leur finalité se situe dans l’avenir
Dans de telles situations, les considérations tactiques sont souvent occultées par les intérêts stratégiques. Et c’est ce qu’il exprimait en une seule phrase : Laissons à l’histoire son rôle de tirer les conclusions, puisque la mémoire des nations est vivante et ne meurt jamais. L’histoire ne se lit pas avec des lunettes grossissantes. La qualité d’un homme d’Etat n’est pas une fonction mais le résultat d’un comportement qui ne varie pas au gré du changement des contextes. Il s’agit plutôt d’une ligne de conduite régie par des principes clairs pour tout le monde, à commencer par le respect de la Oumma et l’éloignement de toute condescendance liée à la fonction ou à la position.
Le destin a voulu que la dimension d’homme d’Etat d’Abderrahmane El Youssoufi se manifeste admirablement lorsqu’il a mobilisé les volontés pour constituer un gouvernement d’alternance consensuelle, surpassant par là même les égos à travers sa participation dans le passage du Trône du regretté S.M Hassan II à S.M le Roi Mohammed VI, que Dieu le préserve.
3. AbderrahmaneEl Youssoufi
Lors de la préparation de la Conférence maghrébine à Tanger en 1958, le défunt avait une profonde conviction que le cadre maghrébin n’est pas un mirage, mais une nécessité historique fondée sur l’unité de l’histoire, qui a toujours été un tissu social et culturel continu. En 1958, la considération économique n’était pas la préoccupation pour la construction d’un cadre maghrébin unifié, car à l’époque les grands groupements économiques étaient encore embryonnaires.
Aussi Abderrahmane El Youssoufi a-t-il tenu vivement à inclure dans la déclaration de la Conférence le principe de la construction d'une «fédération entre les pays participant à la Conférence ». Ses positions et ses initiatives sont restées intimement liées à cet horizon à tel point que le cadre maghrébin devait être pour luiune entité politique naturelle et que les frontières étaient illusoires. Quelques mois après la Conférence de Tanger, il a défendu une idée fort essentielle, à savoir que les biens du Maghreb sont des biens partagés, position que le journal algérien Al-Moujahid adoptera dans sa réponse aux négociations entre la Tunisie et les compagnies pétrolières françaises en écrivant un éditorial intitulé : « Le pétrole du Maghreb appartient à ce Maghreb. Surtout, il doit servir ses intérêts en toute indépendance et à l'abri des influences étrangères ». Et le journal d’ajouter : « La détermination d'une politique pétrolière commune doit se faire dans les meilleurs délais (…). Le secrétariat permanent du Maghreb arabe doit d'urgence se pencher sur la question du pétrole et nommer un comité spécialisé pour mettre en place un plan, préparer les documents nécessaires et envisager divers accords possibles liés à l'inspection du pétrole, des investissements, du capital et de la main-d’œuvre ».
Le défunt est resté toujours fidèle à ce rêve et y a viscéralement cru jusqu'aux derniers jours de sa vie quand il a lancé l’appel d’Oujda pour l'unité maghrébine et l’alliance maroco-algérienne le 7 décembre 2018 lors du meeting organisé par l'USFP dans la ville que notre regretté Moudjahid appelait Oujda forteresse de l'Union maroco-algérienne, sous le slogan «Le Maroc et l’Algérie, locomotive de l’édification de l’avenir du Maghreb».
Quels furent la joie et l’enthousiasme du défunt quand Sa Majesté le Roi tendait la main à l'Algérie voisine dans le discours du 43e anniversaire de la Marche verte le 6 novembre 2018, dans lequel le Souverain avait soutenu : « Je propose à nos frères en Algérie la création d’un mécanisme politique conjoint de dialogue et de concertation. Le niveau de représentation au sein de cette structure, sa forme, sa nature sont à convenir d’un commun accord », soulignant que le Maroc est ouvert à d’éventuelles propositions et initiatives émanant de l’Algérie pour désamorcer le blocage dans lequel se trouvent les relations entre les deux pays voisins frères.
Et quelle fut sa douleur quand il a vu l’intransigeance des dirigeants algériens en s'abstenant de répondre positivement à l'initiative de réconciliation sans conditions préalables. Il consentit des efforts auprès des dirigeants algériens sages pour surmonter les différences bilatérales, mais tous ces efforts sont tombés à l’eau.
Abderrahmane, Mehdi et Aderrahim étaient, tous, convaincus que notre avenir sera maghrébin ou le ne sera pas, et ils ont défendu l'idée de construire l'unité à partir d'une prémisse réaliste basée sur la transformation des zones de conflit en cadres de coopération et d'exploitation partagée des biens. Leurs efforts en ce sens resteront une source de lumière pour nous, les militants de l'USFP, en s’attachant et en restant fidèle à leur héritage, parce que nous croyons en l'unité du Maghreb qui sera défendue, de toute évidence, par tous les dirigeants ittihadisqui se seront succédé.
4- Abderrahmane El Youssoufi et la dimension arabe et internationale
Dans le même contexte où le mouvement national marocain a émergé, AbderrahmaneYoussoufi a été, comme toutes les personnes de sa génération, imprégné du nationalisme symbolisé dans sa dimension religieuse par le salafisme progressiste en tant que mouvement de renouveau porté par des Marocains comme le Fkih Mohammed Elghazi, Allal El Fassi, Cheikh Al-Islam FkihBelarbi El Alaoui et Cheikh Abou ChouaibDoukkali. Ce courant est représenté hors du Maroc par un grand nombre de personnages qu’on ne peut pas citer tous ici dans un contexte marqué par l’influence du mouvement salafiste dont les leaders étaient Jamal Eddine El Afghani et Mohamed Abduh.
Mais la dimension nationaliste du défunt, natif de la ville de Tanger, a été imprégnée tout particulièrement par la pensée moderniste fondée par Chakib Arsalane, qui a trouvé un grand écho dans le nord du Maroc par la symbiose entre l’appel à l’indépendance et l’édification d’un Etat démocratique moderne.
En tant que compagnon de Mehdi BenBarka, ses penchants pour le mouvement nationaliste progressiste étaient principalement basés sur le fait de faire du nationalisme arabe une extension du mouvement progressiste international et ouvrier. Grâce à ce positionnement international, il s'avère que les fondateurs de l'Union n'étaient pas aliénés et dépendants de la culture occidentale, mais plutôt qu'ils croyaient en l'humanisme universel qui n'exclut pas la spécificité mais l'enrichit d'une pensée de lumière et rationnelle. Cela a fait de lui un ardent défenseur du droit international, des droits de l'Homme, de la liberté de la presse et de la libération des peuples du colonialisme et de l'exploitation. Par sa responsabilité au sein de l'Union des avocats arabes, il a plaidé pour ces causes dans des forums internationaux, en particulier dans les organes compétents des Nations unies. Il était aussi un fervent défenseur de la cause juste des Palestiniens, et combien d'efforts il a consentis en vue de réaliser l’unité palestinienne, œuvrant notamment àintégrer le mouvement Fatah à l’Internationale socialiste.
A l’heure où nous évoquions certains aspects de la personnalité et du parcours du défunt, nous devons rappeler ses compétences dans la gestion de l'USFP et son leadership dans la réalisation de victoires électorales, dans les réalisations gouvernementales et législatives, et la construction syndicale et culturelle. L'histoire gardera également l’attention particulière qu’il avait réservée à la résistance, à l'Armée de libération, à la réforme et à la réconciliation et au renouvellement de l'arsenal juridique du pays en promulguant de nouveaux codes respectant les droits de l'Homme tels que les Codes de la famille, du travail, de la presse, de la procédure pénale, de la couverture sociale et de la protection sociale, ainsi que sa participation au rayonnement du Maroc, à l'élargissement de son réseau d'alliés et à faire des adversaires du Maroc des alliés en Europe, en Amérique latine et en Asie.
Nous affirmons, à l’occasion de la commémoration du quarantième jour du décès du défunt dans ces circonstances exceptionnelles qui nous ont empêchés de la célébrer avec ses camarades et amis à travers le monde et à l'intérieur du pays, que nous ne lésinerons sur aucun moyen ni effort pour organiser un colloque international au cours de cette année auquel nous invitons tous ses camarades et ses amis pour évoquer les multiples dimensions de cette personnalité exceptionnelle et pour exprimer notre fidélité à sa mémoire et enrichir les connaissances des générations futures concernant l'histoire moderne de leur pays.