Ouafa Hajji au Conseil de l'I.S : L'égalité dans l’éducation, un levier sans lequel il ne peut y avoir ni progrès ni réduction des inégalités


Mardi 5 Juillet 2016

Voici le texte intégral
du discours prononcé lors
de la réunion au Palais des
Nations unies à Genève du Conseil de l’Internationale
socialiste par Ouafa Hajji,
présidente de l'Internationale
socialiste des femmes.



Chers camarades,
 L'Internationale socialiste des femmes est heureuse de la création du Comité de l'Internationale socialiste sur "La réduction des inégalités" présidé par le camarade Elio Di Rupo et qui présentera son document final lors de notre prochain congrès prévu en décembre 2016.
 À ce titre, l'Internationale socialiste des femmes considère qu'oeuvrer pour l'égalité nécessite de prendre en compte l'égalité de genre qui est transverse à tous les secteurs. C'est pourquoi j'aimerais partager avec vous les domaines prioritaires relevés par l'Internationale socialiste des femmes où l'inégalité femmes/ hommes est préoccupante.
1. En premier lieu l'égalité dans l'éducation.
 L’évolution de cette question a certes connu des avancées. En moyenne 89 % des filles ont désormais presque autant de chances que les garçons d’être inscrites. Si la parité des sexes dans la scolarisation primaire au plan mondial est déclarée atteinte, les écarts entre les sexes sont importants, et dans certains pays pauvres les taux de scolarisation sont très faibles. La scolarisation des filles est en retrait dans une grande partie de l’Afrique subsaharienne et de l’Asie occidentale et méridionale. Les femmes analphabètes représentent les deux tiers des 776 millions d´adultes analphabètes dans le monde. En 2014, 31 millions de filles ne sont toujours pas scolarisées. Selon l’Unesco, plus de 15 millions d’entre elles n’iront jamais à l’école.
 Le rapport de la Campagne mondiale pour l’éducation "Discriminations de genre dans l’éducation" indique que "les filles sont victimes de discriminations sexistes dès l’âge de sept ans : une écolière sur dix (10%) du primaire déclare être « malheureuse d’être une fille », ce chiffre double à l’âge où elle atteint le niveau secondaire (20%).
 Cette situation entraîne des conséquences négatives sur le taux de pauvreté, la santé, la mortalité infantile ou encore le nombre de mariages précoces. Par ailleurs, lorsque le niveau d’instruction moyen de la population d’un pays donné augmente d’une année, la croissance annuelle du PIB par habitant progresse de 2 à 2,5 % » (Rapport mondial 2014 de suivi sur l'Éducation, Unesco).
L'égalité dans l’éducation et la formation sont donc des droits fondamentaux des femmes et des hommes qui constituent un levier de développement sans lequel il ne peut y avoir ni croissance, ni progrès, ni réduction substantielle des inégalités.
2. La deuxième priorité est l'intégration égalitaire des femmes dans l’économie qui constitue une voie d’accès à l’autonomisation et au pouvoir décisionnel.
 L’objectif d’une participation économique plus équitable n’est certainement pas atteint. Les femmes effectuent les deux tiers du travail dans le monde, en particulier dans l’agriculture où elles font plus d’heures de travail que les hommes en raison de leurs responsabilités domestiques non rémunérées. Les femmes occupent actuellement 40% des emplois salariés hors secteur agricole, des emplois moins sûrs avec peu d'avantages sociaux dans les pays en développement. Mais elles restent très désavantagées sur le marché du travail quel que soit leur niveau d’éducation ou leur expérience.
Ces 30 dernières années 552 millions de femmes sont entrées sur le marché du travail et 4 travailleurs sur 10 sont des femmes mais elles gagnent en moyenne 80 centimes contre 1 euro pour les hommes (Rapport Banque mondiale 2012). Les salaires moyens des hommes sont plus élevés que ceux des femmes en zones urbaines et rurales. Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, leurs salaires oscillent aux alentours de 30 % de ceux des hommes; en Amérique latine et en Asie du Sud, de 40 %; en Afrique subsaharienne, de 50 %; et en Asie de l’Est et dans les pays industrialisés, de 60 % à 70 %.
 Les femmes immigrées sont bien souvent plus désavantagées quel que soit leur niveau de qualification et subissent une déqualification sur le marché du travail. En raison d’attitudes xénophobes et discriminatoires, elles acceptent les emplois mal payés pour faire vivre leur famille. De plus, si les femmes européennes connaissent un taux de chômage de 10%, il se situe à 19% pour les non-européennes (source Voix de femme – le livre blanc de la femme migrante). Le nombre de ces femmes immigrées augmente rapidement, pour différentes raisons (pauvreté, conflits, réchauffement climatiques, ..). Les statistiques de l’Organisation internationale du travail de mai 2014, affichent plus de 111 millions de femmes migrantes. La protection de leurs droits fondamentaux est une préoccupation mondiale (Source Déclaration ISF 18 décembre 2014).
Investir dans la contribution économique égalitaire des femmes et des jeunes filles est une mesure concrète pour la réalisation d'une croissance inclusive qui renforce la cohésion sociale.
De manière générale, des mesures non sexistes permettant l’accès aux avoirs, crédits, droits de propriété peuvent être un catalyseur d’une croissance économique des sociétés partout dans le monde , mais seules les femmes, en accédant aux instances de décision, peuvent imposer et promouvoir ces mesures.
 3. C'est pourquoi la troisième priorité est l'égalité dans le pouvoir et la prise de décision afin d'assurer aux femmes l’égalité d’accès et la pleine participation aux structures du pouvoir et de la prise de décisions, en mettant en œuvre des mécanismes de discrimination positive adaptés et en renforçant la capacité des femmes à participer pleinement en développant par exemple leurs compétences.
 Aujourd’hui, les résultats depuis 1995 sont encourageants mais restent teintés par de grandes disparités régionales. En 1995, «les femmes occupaient 11,3% des sièges Parlementaires. Quinze ans plus tard, on comptait en moyenne 19% de femmes dans les parlements, soit une augmentation d’un peu plus de 8 % entre 1998 et 2009. En 2014, les Parlements toutes Chambres confondues sont composés de 21, 8% de femmes» (Revue électronique Adéquation, 9 février 2015).
 Dans les pays scandinaves, 42 % des parlementaires sont des femmes, contre 14,9 % seulement dans les assemblées des pays arabes. Quelques pays africains viennent en tête: au Rwanda et en Afrique du Sud, les femmes occupent respectivement 56,3 % et 42,3 % des sièges.
 L’adoption de quotas en faveur des femmes a permis d’accroître le nombre d’élues dans les organes législatifs, des Parlements nationaux aux conseils de village locaux.
 Il y a actuellement 36 pays ayant 30 % de femmes ministres ou plus, ce qui est une augmentation encourageante par rapport à 2012, où l'on en comptait seulement 26. Les portefeuilles des femmes ministres se développent aussi de manière positive pour couvrir un plus large éventail de domaines socioéconomiques. L'éducation, les affaires sociales et la condition féminine restent les postes les plus fréquents, mais on voit aussi des femmes ministres dans la défense, l'environnement et les affaires étrangères. Globalement, c'est en Amérique, en Europe et en Afrique que l'on constate le plus grand changement, alors que les pays arabes, l'Asie et le Pacifique progressent plus lentement. Cependant si le sexisme en politique semble s’estomper, il reste beaucoup à faire.
 La crise et les défis économiques que rencontrent de nombreux pays ont également eu un impact sur la progression des femmes en politique. Les problèmes des femmes et de la discrimination sexiste sont souvent relégués à une priorité moindre, alors que l'amélioration économique est considérée prioritaire. De plus, les femmes prennent plus souvent des postes mal payés et exigeant de longues heures de travail pour aider à soutenir la famille en plus de leur rôle, non rémunéré, de mère au foyer. Dans ces circonstances, il reste peu de temps ou d'énergie mentale à de nombreuses femmes pour participer aux activités politiques. Ainsi, les femmes perdent leur voix politique et leur capacité à influencer les politiques et la législation, mais la communauté politique au sens large perd aussi la valeur de leur contribution et de leur perspective.
 La représentation des femmes dans les institutions gouvernementales, exécutives ou législatives est essentielle à l’acquisition de leurs droits et la préservation de ceux-ci. C'est une exigence pour toutes les sociétés engagées dans la construction et la consolidation des acquis démocratiques et l'égalité.
 4. La quatrième priorité concerne la nature du partenariat mondial pour le développement qui doit prévoir ,entre autres, de poursuivre la mise en place d'un système commercial et financier ouvert et non discriminatoire, de s'attaquer aux besoins particuliers des pays les moins avancés, de mettre en place des mesures nationales et internationales pour alléger l’endettement des pays en développement, de collaborer avec le secteur privé, particulièrement l'industrie pharmaceutique pour rendre les médicaments essentiels disponibles et abordables dans les pays en développement et de mettre à disposition de tous les pays les nouvelles technologies d’information et de communication. C'est une priorité à caractère transversal et qui joue le rôle de socle de la bonne gouvernance sans lequel les résultats escomptés en matière de réduction des inégalités seraient compromis.
 L'aide publique au développement se chiffre à 126,6 milliards de dollars et marque un recul de 4 % en valeur réelle en 2012, après avoir baissé de 2 % en 2011. Cette baisse est attribuable aux mesures d’austérité prises par plusieurs pays donateurs en raison de la crise économique et financière et les turbulences de la zone euro.
 Depuis 2010, année où elle avait atteint son niveau record, l'aide publique au développement a baissé de moins 6 % en valeur réelle. Si l'on fait abstraction de 2007, qui correspond à la fin des opérations exceptionnelles d'allègement de la dette, le repli observé en 2012 est le plus marqué depuis 1997. C'est aussi la première fois depuis 1996-1997 que l'aide se contracte pendant deux années consécutives.
 L'aide bilatérale à l'Afrique subsaharienne s'est chiffrée à 26,2 milliards USD, soit une chute de moins 7,9 % en termes réels par rapport à 2011. L'aide au continent africain a été réduite de moins 9,9 % et ramenée à 28,9 milliards USD après une année 2011 marquée par le soutien exceptionnel accordé à certains pays d'Afrique du Nord à la suite du "printemps arabe".
 Le groupe des pays les moins avancés (PMA) a également vu les apports nets de l’aide bilatérale qui lui étaient destinés accuser un repli de moins 12,8 % en termes réels et tomber à environ 26 milliards USD.
L’aide est également de moins en moins offerte aux pays les plus pauvres, au profit des pays à revenu intermédiaire. Il est nécessaire de modifier cette approche. Les pays donateurs et les bailleurs de fonds doivent se conformer à leurs engagements d’aide, plus particulièrement aux pays fragiles, à faible revenu et endetté. Le poids de la dette extérieure affecte les capacités financières d'un pays et sa résistance aux chocs économiques.
 L’aide bilatérale allouée à des secteurs spécifiques a augmenté chaque année entre 2008 et 2010. Mais, l’aide consacrée à l’égalité des genres a légèrement diminué en 2010 après avoir connu une hausse en 2009. La communauté internationale de donateurs a un rôle extrêmement important à jouer en investissant dans des programmes de développement qui responsabilisent les jeunes filles et les femmes. A cause de la nature transversale de l’objectif d’égalité des genres, l’aide financière aux programmes et projets en faveur de l’égalité des genres devrait augmenter pour accélérer la réalisation des objectifs d'égalité de genre.
 La période post 2015 devra probablement affronter les limites de l’aide publique au développement engrangées par la crise mondiales et rechercher de nouvelles sources de financement complémentaires telles que les ressources locales. Cependant, la crise ne doit pas constituer un alibi pour remettre en cause le partenariat mondial pour le développement mais une occasion d’améliorer l’efficacité de l’aide.
 C’est pourquoi, l’aide au développement doit consentir plus d’efforts à l’autonomisation et l’égalité femme-homme et pour l’intégration du genre dans les législations, les normes sociales et les politiques publiques et leurs budgets de manière à éradiquer les inégalités entre les femmes et les hommes.
5. La cinquième et dernière priorité est la culture
 Mettre fin à la discrimination et aux inégalités à l’égard des femmes et des petites filles, quel que soit leur statut, et lutter contre les stéréotypes doit en effet prendre en considération de grands enjeux comme les questions culturelles. C’est une révolution à mener. La culture, en tant que facteur de changement et d'épanouissement des peuples a été sous-estimée. Le retour en force de l'intolérance et des idées obscurantistes, des traditions occultes et de la non acceptation de l'Autre et de ses droits sont autant d'éléments qui alimentent les tensions aujourd'hui au sein des sociétés et entre les nations et constituent un obstacle culturel au mieux vivre-ensemble.
Par ailleurs, la question du modèle de mondialisation et de son évolution se pose également. Le modèle néolibéral inquiète, et les femmes et les enfants en sont les premières victimes.

Chers camarades,
 En conclusion,
 Les femmes restent les principales actrices de l'évolution dans nos sociétés, que ce soit au niveau de la santé, de l'éducation ou , de manière plus générale, de la préparation des générations de demain. Elles sont également actrices incontournables de la production et de la reproduction et principales actrices de la lutte contre la pauvreté. Mais elles continuent de subir les violences et les inégalités de tout genre dans leur quotidien et même dans leur action politique au sein des partis.
 Et pourtant, chers camarades, l'égalité de genre est au coeur de nos valeurs à tous en tant que socialistes. Et l'Internationale socialiste et ses membres doivent s'inscrire dans la promotion et surtout l'application de l'égalité dans leurs pratiques. Or, il est clair que l'égalité commence par la contribution égalitaire à la prise de décision. C'est pourquoi nous, les femmes socialistes, camarades de vos combats, vous proposons de commencer la réclamation de l'égalité en balayant d'abord devant nos portes et d'instaurer, dès notre prochain congrès, la parité comme mécanisme interne à l'Internationale socialiste mais également dans nos partis. C'est ainsi que le discours de notre organisation, qui a toujours été avant-gardiste, pourra être réellement crédible et en conformité avec nos valeurs.

 


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