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Nouvelles appréciées de la littérature arabe Rachida El Charni : Les morts reviennent du passé (1)


Samedi 23 Août 2014

Nouvelles appréciées de la littérature arabe  Rachida El Charni : Les morts reviennent du passé (1)
Peu de temps nous séparait du crépuscule. Cela ne nous empêchait guère  pour autant de continuer à nous déplacer au milieu des tombes à la recherche de celle de notre grand-mère décédée depuis quarante ans.
On essayait de déchiffrer les noms des morts gravés sur les stèles qui, à cause du temps et des intempéries, avaient perdu leurs couleurs et leurs lettres . En même temps, on attendait l’arrivée du gardien des lieux pour lui demander de nous aider à retrouver la tombe et de l’ouvrir , après qu’il aurait vérifier l’autorisation communale. De toute façon, il avait raison à mon avis, de s’absenter car, après tout, qu’est-ce qui  méritait d’être gardé dans ces ruines sauvages ?
Mon père répétait le long du chemin qui nous conduisit de la capitale à notre village avoisinant les frontières algériennes qu’il était capable de reconnaître le tombeau grâce à un sapin qu’il avait planté près de la nuque de sa mère  pour protéger sa tête, selon sa croyance,  des rayons solaires très forts. Mais nous tombâmes sur un cimetière couvert de sapins et fûmes par conséquent, incapables de reconnaître l’endroit.
Il conduisait sa voiture à une vitesse légèrement élevée tout en me parlant d’elle d’une voix chargée de  tristesse.
Ma grand-mère avait quitté ce monde sans que j’aie l’occasion d’être présent lors de son agonie, ni la chance de la porter sur mes épaules comme elle m’avait porté elle alors que j’étais petit. Je portais en ce moment difficile mon arme et je m’enfonçais dans le froid des forêts européennes, combattant dans les rangs de l’armée française, aux côtés de beaucoup d’autres Arabes et Africains qu’on avait emmenés des pays sous la domination des alliés.
Nous représentions l’armée frontalière dont les obus engloutissaient à chaque fois un grand nombre pour que le reste continuât à attendre, stupéfait, une mort éventuelle dans l’avenir. La torture poussait certains parmi nous à devenir insensibles à ce qui se passait autour d’eux. On n’avait pas le temps de manifester notre tristesse, car les ordres de nos supérieurs ne tardaient pas à tomber et on se dépêchait de ramasser les corps de nos camarades tout en suffoquant dans des larmes que nos proches ne pouvaient verser parce qu’ils ignoraient tout de nos difficultés en ces moments-là et de notre mort dramatique.
J’avais un ami algérien qui partageait avec moi la nostalgie de la terre qu‘on avait laissée derrière nous. Et on restait souvent, longtemps debout, face à la mer, dans l’attente d’un zéphyr venant de l’autre rive de l’océan tout en rêvant à des nuits de moisson, à la saison des olives, des dattes et du désert .
On pensait également à la marche de Tarik Ibnou Zyad, à l’épopée de Khalifa Znati, et à Abou Zaid Lhilali …On se rappelait les dattes, le thé à la menthe et à la bassissa.
On avait une grande envie de manger des poissons et le coucous préparé des mains de nos mamans…Mais aussi tôt qu’on  entendait le ronronnement d’un avion dans l’espace, on oubliait nos souvenirs.
Au cours d’un affrontement avec l’armée nazie, mon ami m’ordonna de ne pas sortir avant un moment du fossé où nous nous cachions d’habitude, chaque fois que le lieu du combat était  découvert, alors qu’il le quitta  vers sa fin car, à peine en fut-il sorti, qu’un obus tomba sur lui et transforma son corps en morceaux carbonisés.
J’ai constaté tout stupéfait la mort qui aurait pu être la mienne. Un tremblement secoua tous mes membres solides .En un clin d’œil, Tahar l’Algérien mourut, débordant de nostalgie pour sa patrie et sa mère …dont j’imaginais la souffrance alors qu’avec la froideur des morts, je ramassai les morceaux qui, quelques minutes auparavant, formaient son corps. Je les mis dans un sac en plastique pour les entasser avec les restes des cadavres dans un camion qui, après son départ, laissa derrière lui des traces de sang de différentes natures. La mort était le spectacle face auquel nous vivions. Souvent, il me coinçait dans un coin et  je ne m’y échappais que grâce à la puissance divine…J’avais le sentiment que la mort me poursuivait, m’épiait à chaque instant et pourtant, je n’avais jamais tiré une seule cartouche en direction d’un être humain . Je vidais exprès le contenu de mon arme loin des hommes. Pourquoi tuer une personne innocente sans rapport aucun avec des intrigues politiques fomentées loin d’elle ? Pourquoi causer le malheur des siens ? Il se peut qu’il fut obligé de porter le fusil comme moi,  que des enfants et une femme l’attendent et qu’une mère comme la mienne brûle d’impatience de le voir .
Référence : Ombre tunisienne (recueil de nouvelles) de Abderrahmane  Majid Arrabii
 


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