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Nouvelles appréciées de la littérature arabe : La mariée (2)


Traduit par Sahraoui Faquihi
Mercredi 16 Juillet 2014

Nouvelles appréciées de la littérature arabe : La mariée (2)
Ghassane Kanafani est né en 1936, à Aaka, au nord de la Palestine, d’un père avocat. Il est d’une famille moyenne. Il avait poursuivi ses études dans une école française.  Mais aussitôt que l’Etat d’Israël fut créé,  sa famille perdit son statut social et fut alors obligée d’émigrer au Liban en tant que réfugiée politique. Au cours de cette étape d’éparpillement, la vie de Ghassane fut caractérisée par l’instabilité.  Après un court séjour au Liban, il s’installa en Syrie, puis au Koweït pour revenir plus tard au Liban. 
 Il a poursuivi ses études à ses propres frais en travaillant comme instituteur dans une école primaire au village Zabadani en Syrie ; après quoi, il rejoignit la faculté de Damas où il étudia la littérature arabe pendant trois ans. Après en être renvoyé pour des raisons politiques, il s’installa au Koweït  pendant six ans où il s’occupa de la lecture et de l’écriture.       
Sa vie politique commença en 1952. 
Il adhéra au Mouvement des nationalistes arabes en 1960 qui lui demanda de s’installer au Liban pour travailler dans le journal du parti. En 1967, il créa la branche palestinienne du Mouvement des nationalistes arabes, appelée le Front Populaire pour la libération de la Palestine dont le président fut Georges Habach.  En 1969, il est nommé rédacteur en chef de sa revue «LE BUT» qu’on publiait au Liban. Il garda ce poste jusqu’à ce que le Mossade l’assassinât dans une explosion de voiture, en 1972, en plein centre de Beyrouth. 
 
Il y avait une fois un jeune homme d’un village appelé «Chaab». Il n’avait encore perdu, ni retrouvé quoi que ce soit. 
Il est certain que son histoire avait commencé au cours des premiers jours de juin, en 1948.  Une bataille mortelle avait duré plus de six mois. Nous étions lui et moi- j’ignore toujours son nom – les premiers à nous lancer dans cette bataille pour attaquer, défendre, ou secourir  les nôtres. Seulement il posait comme condition de savoir le moment de l’opération deux heures avant de l’entreprendre, ce qui lui laisse le temps suffisant pour emprunter une arme : un fusil turc, anglais, ou même une grenade.
Les choses se passaient ainsi ; chaque fois qu’il devait emprunter une arme, il avait à emmener avec lui une autre personne qui promettait  à l’emprunteur de lui remettre son arme au cas où notre ami tomberait sur le champ de bataille.  Il tenait à se comporter telle une banque respectable, quoique qu’il n’ait jamais connu dans sa vie une banque respectable, ni même connu  une banque. Ainsi, n’eut il au cours des six mois aucun problème sérieux à obtenir une arme. C’est pour cette raison qu’il ne pensa jamais à acquérir une arme personnelle. Peut-être n’en acquit-il pas un  par défaut de  moyens. 
Je ne sais qui lui mit dans la tête, au cours de ces premiers jours de juin, qu’il devait avoir une arme. L’idée était tout à fait bonne, d’autant plus que l’ennemi avait concentré ses forces à Eljalil, et que le combat y fut sérieusement concentré.  Un fleuve de réfugiés se déchaîna à partir des collines vers le nord.  Tout paraît prêt à basculer.
Il était trop fort pour hésiter. Sa décision était déjà prise avant la fin de la première semaine de juin, et il était résolu à l’exécuter.  Ainsi, au cours d’un combat dont je ne retrouve pas encore le nom, il remit son arme à l’un de ses camarades et se mit à ramper sous un tonnerre de fumée et de feu. Il était sûr que certains soldats ennemis, placés dans les premières lignes, furent tués, et que, s’il attendait jusqu’à la fin de la bataille, il perdrait sa chance d’obtenir  une arme parce que l’ennemi traînait ses soldats, à la fin de chaque bataille, au bout des cordes.
Il put en effet atteindre les tranchées incendiées malgré l’opacité de la fumée.  Après être tombé sur un creux, il desserra de ses dents la main du soldat qui s’agrippait à son fusil. Quand il l’eut examiné à la lumière des explosions, il reprit le chemin vers ses camarades. La nouvelle se répandit dans tout le pays tel un incendie ; non parce que l’incident constituât un précédent, mais parce que le fusil qu’il ramena était d’une espèce rare. 
Bref, il fut convoqué le lendemain par les autorités militaires campant dans un village voisin ; car l’officier responsable avait déjà entendu parler de ce fusil. Quand il le vit entre les mains de notre ami, il resta bouche bée.
-C’est Martina. Elle est tchèque ! Toute l’assistance se pencha pour admirer le nouveau fusil dont l’acier brillait sous la lumière de la lampe : sa crosse était d’une couleur marron sombre, sa bandoulière tout à fait neuve, tressée avec une précision incroyable et son canon, et son chargeur au dessus du canon tel un diadème.
De l’anti-chambre, vint une voix :
Il paraît qu’ils ont reçu un nouvel chargement d’armes de l’est. Il faut mettre au courant l’état-major. L’officier remua la tête pour confirmer cet avis. 
-Il faut que j’envoie cette Martina à l’état major.
Cher Riad, tu peux imaginer ce qui arriva. Notre ami tint à son fusil, mais les ordres comme tu t’en doutes, ont toujours raison.  
«Ne vous croit-on pas sans avoir besoin d’envoyer le fusil?».  «Vous ne pouvez pas imaginer le temps que cela coûtera?».  «Envoyez-moi avec si vous voulez!»
 Tout cela était inutile. Pour le tranquilliser, l’officier lui jura de le lui rendre après deux jours seulement,  avec  des chargeurs en plus même. 
Les deux jours passèrent puis une semaine de ce mois où les minutes devenaient lentes, et au cours duquel des gens mouraient, un pays tout entier tombait, des champs brûlaient, et à chaque instant, un nouvel accident avait lieu : du centre de commandement à la maison, et de la maison au centre de commandement, parcourant vallées et plaines. 
« -Attends un instant ! »
« -Reviens demain… ! »
Mais les événements  si tu t’en souviens, au cours de ce mois crucial, n’attendaient pas. 
Notre ami reçut deux nouvelles en même temps.  Le matin, on lui apprit que l’officier avait déplacé son centre de commandement vers le nord,  à un endroit inconnu.  Le soir, «Chaab» fut sujet à sa première attaque et ses maisons furent  labourées par des mortiers  qui brûlèrent en un clin d’œil ses oliveraies. 
Qui lui prêterait un fusil  dans ce déluge où seul le fusil peut vous sauver,  vous permettre de flotter au-dessus des vagues pour atteindre le rivage de la vie ou celui d’une mort honnête ? C’est pour cela que, face à ce déluge, il n’avait que  …que…  quoi ? Que la folie  naturellement, si tu  admets qu’il ne choisira pas la fuite.
Mais, il n’accepta pas la folie, ni ne choisit la fuite.  Il ne lui restait que la mort qui, hélas, ne voulait pas de lui non plus. N’avait-il pas passé le gros de ses jours à guerroyer avec une arme empruntée en plus sur les premières lignes,  défiant une  mort certaine ? 
Il s’assit là à «Chaab» au milieu d’une grande place,  sur une grosse pierre, à regarder les maisons brûler,  les habitants mourir, et ses proches filer avec ceux qui trouvaient le moyen de le faire,  protégés par l’obscurité de la nuit vers des coins inconnus pour lui jusqu’à présent. 
On le remarqua quand on occupa «Chaab».  On le prit,  comme je l’avais pris moi-même, pour un fou, on lui flanqua un coup de crosse pour le pousser à activer le pas vers le nord. 
Depuis, il passa ses jours et nuits à parcourir Aljalil à la recherche de son fusil, allant d’un village à un autre, et d’un combattant à un autre, examinant les visages des passants et demandant d’après son fusil qu’il n’avait admiré que pour quelques heures, et dont il ne pût tirer même pas un seul coup, bien qu’il fût  chargé.
Tu ne sais pas ce qui s’était  passé à «Chaab».  Peu de gens le savent.  Mais il est nécessaire que tu saches ce qui s’était passé pour que tu comprennes l’histoire. 
Notre ami est monté dans une chaleur  sans pareille à Beroi,  puis de là,  il alla à Majd Alkouroum,  ensuite à Baath, Dair Alassad,  Kissrah, et enfin au village Samii suivant pas à pas les nouvelles de son fusil, d’une histoire à une autre, et d’un combattant à un autre. Quand il arriva à Tarchiha, il reçut des nouvelles fraîches de «Chaab» : Les quarante combattants qui restaient de Chaab s’étaient présentés au commandement de l’armée d’intervention, au nord, pour combattre en tant que soldats volontaires. Quand ils apprirent que l’armée ennemie ne passerait pas par Chaab, ils revinrent à leur village.  La nuit, ils attaquèrent, et réussirent  à le récupérer en peu de temps. 
Cet évènement te paraîtra  bizarre, mais c’est la réalité. Les quarante soldats  revinrent, et réussirent à reprendre leur village incendié. Ils poursuivirent l’ennemi jusqu’aux alentours de «Damoune ». Ils en payèrent le prix qui était de dix hommes. 
Tout cela arriva, cher Riad dans un endroit entouré de toute part par l’ennemi.  Les trente hommes restèrent là-bas,  barricadés derrière les murs des maisons brûlées, à défendre jour et nuit leur village. Mais lui,  notre ami, à Tarchiha, flairait l’odeur de son fusil, et sentait qu’il était à sa portée.  Il se dit que s’il  attendait une seule journée, il  pourrait récupérer son fusil et le ramener à Chaab. 
Je t’avais dit que les événements n’attendaient pas. En une seule journée, l’ennemi envahit Chaab pour la seconde fois.  Les trente hommes abandonnèrent les lieux,  laissant derrière eux cinq autres combattants, vers les collines voisines où même un originaire du pays pourrait perdre tout un troupeau. 
On lui dit alors qu’on avait vu dans les mains d’un vieillard qui habitait dans un petit village, à deux heures de marche, au nord de Tarchiha, un fusil tchèque tout neuf. Il s’y rendit la nuit même. Là, il apprit, tandis qu’il est au bord de la folie, que les vingt cinq combattants de Chaab y étaient redescendus la nuit même,  qu’ils s’y étaient battus  jusqu’au matin, utilisant fusils et couteaux, qu’ils avaient récupéré pour la seconde fois leur village incendié, sans perdre plus de trois soldats  et qu’ils prirent position derrière ses ruines, juste à l’entrée.
Courant toujours derrière les nouvelles de son fusil, de porte en porte, il apprit que le vieillard qui le portait était parti la nuit, grimpant la colline,  pour prendre la route du sud; peut-être dans le but de rejoindre les combattants qui se donnèrent rendez-vous au sud de Tarchiha, dans l’attente d’une attaque décisive. 
Sans hésiter une seule minute, il revint à Tarchiha,  dans l’intention de rejoindre les combattants de CHAAB  qui devaient l’attendre sur leurs positions solides,  derrière les ruines.  Et puis son village occupé, sait-il qu’il n’eut pas l’occasion de tirer une seule cartouche  pour sa défense.
 


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