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Nouvelles appréciées de la littérature arabe : La mariée (1)


Traduit par Sahraoui Faquihi
Mardi 15 Juillet 2014

Nouvelles appréciées de la littérature arabe : La mariée (1)
    
Ghassane Kanafani est né en 1936, à Aaka, au nord de la Palestine, d’un père avocat. Il est d’une famille moyenne. Il avait poursuivi ses études dans une école française.  Mais aussitôt que l’Etat d’Israël fut créé,  sa famille perdit son statut social et fut alors obligée d’émigrer au Liban en tant que réfugiée politique. Au cours de cette étape d’éparpillement, la vie de Ghassane fut caractérisée par l’instabilité.  Après un court séjour au Liban, il s’installa en Syrie, puis au Koweït pour revenir plus tard au Liban. 
 Il a poursuivi ses études à ses propres frais en travaillant comme instituteur dans une école primaire au village Zabadani en Syrie ; après quoi, il rejoignit la faculté de Damas où il étudia la littérature arabe pendant trois ans. Après en être renvoyé pour des raisons politiques, il s’installa au Koweït  pendant six ans où il s’occupa de la lecture et de l’écriture.       
Sa vie politique commença en 1952. 
Il adhéra au Mouvement des nationalistes arabes en 1960 qui lui demanda de s’installer au Liban pour travailler dans le journal du parti. En 1967, il créa la branche palestinienne du Mouvement des nationalistes arabes, appelée le Front Populaire pour la libération de la Palestine dont le président fut Georges Habach.  En 1969, il est nommé rédacteur en chef de sa revue «LE BUT» qu’on publiait au Liban. Il garda ce poste jusqu’à ce que le Mossade l’assassinât dans une explosion de voiture, en 1972, en plein centre de Beyrouth. 
 
CHER RIAD
 
Tu te diras sans doute que je suis devenu  fou. C’est la deuxième lettre que je t’envoie en une seule journée. Seulement, cette dernière lettre, je te l’écris pour t’expliquer quelque chose. Je découvre que c’est de la pure folie que de t’écrire pour te demander de chercher pour moi,  là où tu es,  un homme de grande taille, costaud, dont j’ignore le nom, mais qui porte  un vieux  costume kaki, et donne l’impression au premier abord d’être aliéné. 
Que pourrais-tu comprendre de tout cela? Rien  naturellement ! On pourrait rencontrer en une seule journée, dans la rue,  des centaines de personnes ayant ce signalement.  Comment reconnaître mon homme alors ?
Je suis sûr que tu le reconnaîtras instinctivement. Il est tout à fait différent. C’est un cas particulier. Comment ? Je ne peux te le dire,  car moi-même je ne le sais pas. Toutefois, je me souviens maintenant que quand je l’avais aperçu pour la première fois, j’avais l’impression qu’une sorte d’aura de lumière l’entourait. Oui,  une chose comme qui dirait une poussière lumineuse, l’enveloppait.  Je t’avoue que je n’étais pas entièrement sûr de cela quand il m’interpella un instant  dans la rue ; cependant, je suis à présent presque sûr. C’est cette bruine lumineuse qui entourait sa  grande stature qui fixa à jamais son image dans ma mémoire. Autrement, comment  expliques-tu que je me souviens encore de lui, et que, parmi les centaines de personnes qu’on rencontrait  dans la rue, et dont les images s’évaporaient aussitôt après, seule la sienne persiste ? 
Malgré tout, je sais qu’en cet instant, tu crois toujours que je suis presque fou. Jusqu’à présent, rien n’est clair. Nous sommes toujours au même point de la première lettre : essaie de me retrouver, là où tu es, un homme d’une grande taille, costaud, dont j’ignore le nom,  portant un vieux  costume kaki et qui donne l’impression au premier abord d’être aliéné.  
Tout ce que j’ai ajouté à mes renseignements,  c’est ce signalement complexe qui est une sorte de poussière lumineuse l’enveloppant.
Tu as tout à fait raison. Si je t’écris ma deuxième lettre en une seule journée, c’est pour te donner tous les détails concernant cette histoire; car je me rends compte qu’il est de ton droit de savoir tout ce que je sais, d’autant plus que je m’attends à ta collaboration pour le retrouver.
Je ne me rappelle pas  exactement quand je le vis pour la première fois, mais,  je me souviens comment je le vis. Il marchait légèrement penché, telle une personne ayant perdu quelque chose, les mains ouvertes, prêtes à attaquer, et des yeux labourant les faces des passants telles deux charrues archaïques.  Je le pris pour la première fois pour un aliéné. Quand je le croisai, je l’oubliai aussitôt et son souvenir ne me revint que le jour où je le rencontrai pour la seconde fois. Son regard m’arracha tout d’un coup à moi-même,  et j’eus l’impression de flotter sur des vagues invisibles.  A présent, je ne sais plus si c’est moi qui suis allé vers lui, guidé par cet appel profond émis par son regard semblable à un courant irrésistible,  ou bien c’est lui qui est venu vers moi.  De toutes les manières, il posa sa grosse main sur mon épaule et me 
demanda :
- L’as tu vue ?
-Vue quoi ?
-La mariée !
Bien entendu, je fus convaincu à ce moment qu’il était débile  et que tout ce que j’avais ressenti devant son regard sévère, est ce que ressentirait toute personne se trouvant la cible du regard d’un homme  hors du monde et dépourvu de raison. C’est pour cela que j’avais choisi une fuite facile en disant :
-Non je n’ai pas vu la mariée. 
A ce moment-là, sa main tomba d’elle même, et il me tourna le dos.  Je l’entendis dire cependant comme se parlant à lui-même :
Vous affirmez tous la même chose depuis des dizaines d’années.  
Quand il fut englouti par la bousculade, j’eus l’impression, ô Riad,  que son énorme stature était entourée par cette chose qui ressemblait à une poussière lumineuse et que les peintres de la renaissance avaient dessinée au tour du corps de Jésus, alors qu’il aidait les pauvres, sur des cartes de fin d’année que nous recevions  à l’occasion de chaque nouvel an. 
J’essayai de le rattraper ; mais c’était en vain; Des incidents de ce genre se passent en un clin d’œil.  Je montai et descendis le boulevard à sa recherche.  Je croisais des centaines de personnes qui lui ressemblaient dans les détails.  Mais lui, en personne, il avait disparu. 
C’est lui que je cherche maintenant. C’est lui que je voudrais que tu m’aides à retrouver.  Je sais que tu habites à des centaines de  kilomètres d’ici ; mais qu’est-ce qui empêche cet homme à traverser des centaines de kilomètres pour retrouver la mariée. 
Avant de m’adresser à toi, je m’étais déjà adressé à d’autres.  Si je fais appelle à toi, c’est parce que je recours, depuis que je l’ai rencontré, à tous ceux que j’ai connu, ou avec qui j’entretiens une relation quelconque pour leur demander des renseignements à son sujet. Pour te parler franchement, cher Riad, je suis allé plus loin que ça. 
Une nuit, je m’étais dit si cela fait longtemps que cet homme est à la recherche de sa mariée, depuis une dizaine d’années comme  l’avait affirmé, il est certain que beaucoup de ces gens aux quels il a adressé sa question  sont comme moi, curieux de le retrouver. Un jour, pendant que je marchais, mon regard rencontra celui d’un passant inconnu pour moi. Ignorant totalement  l’intention de mon acte, j’arrêtai le bonhomme et lui demandai : 
 
-Est-ce que tu as vu la mariée ?
Considère moi  débile ou fou, mais c’est ce qui arrive. Par ce moyen, j’étais capable de savoir beaucoup de choses sur cet homme, et sur la mariée égarée ; je suis toutefois incapable de me débarrasser de cette force  inconnue qui me pousse vers le regard des passants pour me renseigner au sujet de la mariée égarée.
A présent, la boucle est bouclée ou plus tôt c’est moi qui l’ai bouclée.  Je ne sais plus. Il faut que je revienne au point de départ,  à cet homme enveloppé par ce qui ressemble à une lumière ; car c’est de ses lèvres,  de son regard, et sous sa grosse main que j’entendis, la première fois de ma vie, cette question.  Oui Riad, Il est essentiel pour moi que je le revoie…
Car j’ai des nouvelles fraîches sur la mariée. 

A suivre


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