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Nouvelles appréciées de la littérature arabe Abdeljabbar Shimi : La fourgonnette (1)


Mercredi 6 Août 2014

Nouvelles appréciées de la littérature arabe Abdeljabbar Shimi : La fourgonnette (1)
Ecrivain, nouvelliste, journaliste, 
chroniqueur politique et ex-rédacteur en chef d’Al Alam, 
Abdeljabbar Shimi 
est considéré comme l'un des plus plus grands écrivains 
marocains 
contemporains. Il brille particulièrement dans le domaine de la nouvelle. Son recueil de nouvelles 
"Le possible de 
l'impossible" 
est l'une de ses 
meilleures œuvres.
Il est connu 
également pour ses articles à Al Alam 
et surtout 
sa chronique 
manuscrite qui lui était réservée.
Le ronronnement de la voiture perturbait le silence nocturne. Elle avait déjà stationné ; pourtant, le bruit du moteur continuait de troubler le silence.
La femme tendit la main pour secouer l'homme qui dormait à ses côtés. Il lui dit:
- Je ne dors pas!
Elle répliqua:
- Est-ce que tu as entendu ?
Il répondit :
- Mon tour est arrivé donc !
Cela arrivait au milieu de la nuit. Ils effectuaient des visites éclair et se retiraient sur le champ... Ils laissaient toutefois, souvent leurs traces.
Le bruit de la voiture  réveilla tous les habitants. Ils pressentirent ce qui se passerait et ce qui arriverait.
La femme dit à l'homme qui dormait à ses côtés:
- Est-ce qu'ils vont forcer la porte ?
Il lui dit:
Si on l'ouvre pas, ils la forceront.
Elle lui dit:
- Pourquoi ne viennent-ils pas le jour ? Pourquoi se dissimulent-ils derrière la nuit pour des opérations de ce genre ?
Le bruit de la voiture réveilla l'enfant dont l'âge ne dépassait guère 7 ans. Il ouvrit les yeux au milieu de l'obscurité mais garda le silence.
Dehors leur tapage signifiait qu'ils allaient bouger. Le moteur s’arrêta. Ceux qui, à travers l’obscurité, avaient  jeté un coup d’œil dans la rue, virent que les phares de la grosse voiture étaient éteints.
Dans la petite pièce, les trois respirations se succédaient régulièrement. Il se mit à réfléchir à ce qu'il ferait pendant que le tapage continuait dehors. Ceux qui regardaient par la fenêtre entr’ouverte virent l'un des passagers allumer une cigarette. A ce moment-là, tout le monde sut qu'ils avaient bougé. On entendait le bruit des gros souliers battre le pavé. Ceux qui regardaient par la fenêtre, cachés derrière la nuit, virent les passagers de la grosse voiture se diviser. Quatre parmi eux prirent une direction, tandis que les trois autres dont deux fumaient restèrent dans la voiture.
Le  mari dit :
- "Il vaut mieux que je porte le djellaba.
Son épouse lui dit :
- Mets d'abord le manteau en laine en dessous.
Le petit dit :
- Prends tous mes revolvers, je n’en ai pas besoin maintenant.
Le père dit :
- Non....garde tes revolvers !
L'enfant dit :
- Tu m'en achèteras d'autres le prochain Achoura.
La femme dit :
-  Prends vite les vêtements !
L'enfant dit :
- Ils nous racontent des mensonges à l'école.
La femme dit :
- Ils vont te torturer.
Le mari dit :
- Ils ne prennent l'avis de personne pour ces choses-là.
Les quatre arrivèrent juste au seuil de l’immeuble. Ils levèrent les yeux vers les fenêtres. L'un deux parlait. Les trois autres riaient. Le petit pleurait. Le mari dit :
- Tu m'as promis de ne pas pleurer.
La femme se tut. Elle était accroupie sur le lit. L'obscurité cachait ses yeux. Ceux qui regardaient  par la fenêtre, virent à ce moment-là les quatre entrer dans l'immeuble. On entendait les échos de leurs pas sur les escaliers.
L'homme regarda par la fenêtre. Il dit à sa femme :
-C'est une fourgonnette !
L'enfant dit :
-j'en vois beaucoup près de l'école.
La femme demanda :
- Est-ce que tu leur ouvriras la porte ?
- Oui, répond-il
Elle dit :
-Tu leur demanderas un mandat  d'arrêt ?
Il dit :
- D'ordinaire, ils ne donnent aucune explication sur ce qu'ils  font.
 
L'enfant dit :
- Est-ce que j'irai demain à l'école?
Le père dit :
- Naturellement !
La femme dit :
- Est-ce que je les mets au courant, au travail?
L'homme dit :
Oui, contacte Latif et Hassan. Inutile de charger un avocat de l'affaire. En réalité, les avocats ne font rien !
La femme demanda: 
- Est-ce qu'ils me permettront de te rendre visite?
Il dit :
- Ils prétendront qu'ils ne savent rien.
Les échos des pas se répandaient dans les escaliers, l'homme avait fini de mettre ses vêtements, il alluma une cigarette dans le noir. La femme dit d'une voix étouffée:
- Est-ce que j'allume ?
L'homme dit:
- Le mieux serait que non avant qu'ils ne frappent à la porte.
L'enfant dit d'une voix étouffée:
- J'ai peur.
L'homme s'approcha de lui, le prit de son petit lit et l'installa près de sa mère.
Tous les habitants de l'immeuble crurent qu'on frappait à leurs portes en même temps. On n'entendait plus le bruit des pas dans les escaliers, mais grâce au silence de la nuit, on pouvait suivre le  dialogue qui se déroulait, ponctué par des gestes violents... Ceux qui continuaient de regarder par la fenêtre virent un  ivrogne se dandiner sur le trottoir, et qui  se mit à chantonner : "Le tapis marocain est réputé dans le monde entier". Il passa à côté de la fourgonnette qui stationnait, phares éteints. Il ne remarqua pas l'existence des trois personnes à l'intérieur de la "fourgonnette". Il s'arrêta près du mur et reprit son refrain: "Le tapis marocain est réputé dans le monde entier  oulailla... oulailla ... oulailla..." On entendit de nouveau des pas dans les escaliers. Dans les rues, les chiens qui fouillaient dans les poubelles s'aperçurent d'une présence étrangère et se mirent à aboyer. La femme dit en soupirant: " Puisse Dieu nous rendre justice".
Le mari dit : "Tais-toi, les pas ne sont plus loin de la porte!".
L'enfant dit : "Je raconterai cela aux enfants à l'école. Aziz nous a dit qu'on a emmené son père aussi".
La femme demanda : "Est-ce que tu vas le rencontrer?"
De nouveau le ronronnement de la voiture. Cinq personnes y prirent place: les quatre qui s’étaient introduits dans l’immeuble, accompagnés d'un autre. Ceux qui regardaient par la fenêtre située juste en face des bâtiments, remarquèrent qu’un appartement de l'immeuble fut  éclairé. L'homme revint s'asseoir sur le bord du lit, près de sa femme et de son fils. Sa femme dit :"J'entends des sanglots provenant du dessus".
Il lui dit: C'est vrai, va voir Amina... Ils ont emmené son mari Abdellah.
Cette fois, c'était son tour...
La fourgonnette démarra sans allumer ses phares.
le 24 mars 1972 

(A suivre)
 


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