Tout le monde connaît Jbile et son obstination à saisir les formes en relief. Il a peint tant de toiles afin que son art puisse conduire le regardant au cœur de son passé, au cœur de ces éléments constituant la véritable culture populaire et savante. Les énergies de la toile- corps, les traces et les effets, les intrigues et les mystères qui les alimentent. Jbile a choisi la plus moderne des techniques picturales, l’approche matiériste à l’état brut.
L’artiste interprète à sa manière les vieilles pièces de monnaie marocaine, en exploitant un langage plastique brut et matiériste : relief, opacité, texture recherchée, lumière abondante, alchimie chromatique, touches tactiles, arrière-fond pour mettre en avant le motif graphique de la monnaie, la mise en abîme de la rondeur relative à la forme circulaire, le rythme visuel qui transcende la platitude de la toile dont le support nous fait penser à la peau voire au parchemin, aspect doré faisant allusion au passé glorifiant. Sur sa nouvelle démarche plastique, Abderrahman Benhamza précise : « Jbile en est conscient et qui, en choisissant ce thème, donne l’impression de « frapper la monnaie » lui aussi, ressuscitant au gré des dates des tranches de notre histoire passée (années vingt, années trente, quarante du siècle dernier notamment). Pièces dont il réinvente l’éclat argenté ou doré, veillant à leur garder leur aspect d’antan, et tout ce que le temps et l’usure y ont mis de patiné et de vert-de-grisé plastiques. Liées au patrimoine national, de telles pièces qui n’ont plus cours que chez les collectionneurs tant soit peu numismates, parlent à la mémoire un langage nostalgique de valeurs révolues, désormais irremplaçables. Mais, telles quelles aussi, elles pérennisent tout bien considéré le rayonnement dynastique des souverains alaouites.
Les intentions plastiques que Jbile a mises dans son travail ont ainsi quelque chose d’affectif, d’honorable. Le mobile artistique suscite ici un discours de mise en valeur tout à fait citoyen. Les pièces de Jbile sont une véritable apologie. Surtout que le thème traité, malgré son caractère officiel, est rarement visité par les créateurs. A cet effet, l’artiste travaille sur de grands formats, fidélisant une conception épigraphique et iconographique dont l’impact va droit au cœur. ». Et d’ajouter : « C’est d’autre part une approche documentaire faite de manière appliquée. Cependant, Jbile ne s’est pas départi de sa technique matiériste tout imaginative, de peintre autodidacte. Il emploie toujours les couleurs qui sont les siennes, avec une tendance à la noirceur ou à la pâleur, une matière minérale dure mais légère; il traite la surface de la toile selon des procédés modernes : lissage, frottage, brûlures, etc.
Sa sensibilité aux détails géométriques et aux formes légendées assure un fini agréable à l’œil. D’ailleurs toutes ses œuvres ont toujours été aérées et sa démarche déborde aisément la connotation naïve qu’on a voulu lui attribuer au départ, pour verser dans une véritable quête du sens non exempte d’une inquiétude pittoresque. En optant pour un créneau profondément inscrit dans l’histoire, Jbile donne ainsi à son art un coup de nerf vigoureux, qui réservera sans doute bien des surprises. ».
Le travail de Jbile ne s’élabore pas à partir d’une forme précise, mais à partir de signes graphiques. Il se laisse aller au gré de la propre logique de la peinture connotative et sa faculté imaginative. Lorsqu’il engage son travail, il n’a pas de procédés préétablis. Il se laisse surprendre par sa pratique et les surprises qu’il provoque. Le signe en relief est un format qu’il affectionne particulièrement. L’inspiration des signes monétaires reflète une époque, un lieu historique et illustre si bien un devoir de mémoire collective. Il se fait miroir pour capter les reflets de notre ère.
Les traces qui habitent ses œuvres renvoient tel un miroir aux images reconnaissables et mémorisables de l’artiste, passionné par la recherche à travers ses propres racines, qui révèle aussi un côté migrateur, empreint d’une mystérieuse alchimie de l’imaginaire, c’est comme un appel de mémoire. Il y a tant de recherche à travers des symboles, des signes où le contraste des couleurs reste dominant et soulignant la portée symbolique des traces en question.
Les pinceaux de Jbile rendent avec une égale extase, non seulement les effets de la matière mixte mais aussi la sérénité des couleurs dégradées où l’éclat et la richesse des lumières, témoignent d’une technique magistrale sur le formidable pouvoir des couleurs.
On sent aussi le métissage de ces œuvres aussi originales les unes que les autres, une rhétorique qui délivre les clés pour une meilleure assimilation de certains tracés graphiques, illustrés des signes monétaires, c’est l’accès à la pratique créative de l’artiste qui nous invite à contribuer à la diffusion d’un savoir technique rare et si précieusement élaboré par un travail acharné et obstiné même dans l’inachèvement….C’est une sorte d’exposé historique et éloquent destiné à cerner la spécificité de l’art monétaire, qui réunit aussi bien le graphisme, le référent historique que le fond esthétique qui met en toile la matière la plus approfondie de toutes les œuvres de Jbile dont le langage iconique évoque mystères, nostalgies et espoirs, aussi bien que les circonstances exceptionnelles qui ont forgé le destin de l'artiste.
Depuis 2001, jusqu’à sa dernière exposition individuelle cette année en mars dernier à Casa Del Arte, reprise en mai à Churchill Club à Casablanca, Jbile El Yazid a sensiblement évolué dans sa recherche plastique, surtout au niveau thématique. Il organisera très bientôt à Rabat un évènement pictural plus marquant de la rentrée: une exposition sous le thème « A la mémoire des monnaies marocaines » qui révélera d'une manière plus crue de lumière et de couleurs et matières insolites ce que le langage conventionnel ne dit pas...