Nous sommes tous en liberté provisoire : Contraventions et contrainte par corps

Fake news ou abus de pouvoir ?


Hassan Bentaleb
Vendredi 9 Février 2018

Il aura fallu du temps pour que le chef du Parquet général sorte de se départisse mutisme. Une note d’information vient, en effet, d’être adressée aux procureurs généraux leur intimant l’ordre de revoir toutes les décisions d’arrestation qu’ils avaient prises dans le cadre des dossiers relatifs aux amendes impayées. En effet, la rumeur s’étaient faite persistante circulé depuis peu : les contrevenants qui n’auraient pas payé les amendes qui leur ont été infligées pour excès de vitesse risquaient l’emprisonnement.
Elle a été alimentée par un quotidien de la place qui a été le premier à en avoir fait état suivi rapidement par d’autres  journaux et sites Internet. Ce journal s’est basé sur de soi-disant « cas choquants »  de personnes contrôlées à l’improviste et incarcérées par la suite. Motif : ils faisaient l’objet d’exécution d'un jugement de contrainte par corps suite à une infraction au Code de la route qu’ils auraient refusé de payer.  Ces rumeurs ont provoqué un vent de panique parmi les conducteurs et elles ont été amplifiées par le silence assourdissant  du ministère de la Justice et de celui de l’Equipement, du Transport, de la Logistique et de l’Eau.  
Pourtant, la note du chef du Parquet suscite de nombreuses questions, mais elles demeurent sans réponse. D’abord, pourquoi  les procureurs  ont-ils réagi d’une telle manière? Ont-ils eu des consignes dans ce sens  ou ont-ils réagi de leur propre chef ? S’il y a eu consignes, pourquoi celles-ci ont-elles ciblé uniquement les contraventions  liées à l’excès de vitesse et pas les autres amendes ? Ensuite, pourquoi le Parquet général a-t-il gardé le silence tout ce temps ? Pourquoi a-t-il laissé les rumeurs se propager  sans intervenir alors que des contrevenants faisaient l’objet de contraintes par corps? Et enfin, les victimes de celles-ci auront-ils droit à des indemnisations puisqu’ils ont été victimes d’une transgression des procédures légales ?
Pis, y a-t-il  vraiment eu des cas de contrainte par corps avérés ou s’agit-il de rumeurs puisque la note même du Parquet général se base uniquement sur ce qui a été relaté par les journaux et n’évoque pas de cas réellement avérés?
Du côté du ministère de l’Equipement, du Transport, de la Logistique et de l’Eau, c’est également silence radio. Mais pour les responsables de ce département, c’est logique puisque ce dossier ne relève pas de leurs compétences. «Nous avons nous aussi entendu parler de ces rumeurs. Mais notre ministère n’a rien à voir avec ce dossier et n’a pas le droit d’appliquer la contrainte par corps sur quiconque.  En fait, il n’y a pas de décision législative ou juridique dans ce sens. Ceci d’autant plus que l’ensemble des médias qui ont relayé ces assertions n’ont pas jugé utile d’administrer la preuve  de l’existence d’une telle décision émanant de notre ministère. A ma connaissance, aucune lettre circulaire, décret, ou Dahir n’ont été mis dans le pipe législatif par notre département », nous a indiqué sous le sceau de l’anonymat une source officieuse proche du dossier au sein de ce département.
Notre source nous a également affirmé que le ministère de tutelle respecte à la lettre les démarches prévues par la Code de la route en matière de contraventions liées à l’excès de vitesse. «Les PV dressés par nos services à propos des contraventions relevées par les radars fixes et mobiles sont envoyés au tribunal si les contrevenants concernés n’ont pas payé leurs amendes dans un délai de 15 jours», nous a-t-elle précisé. Et de poursuivre : « Ceci d’autant plus que n’importe quelle décision du tribunal doit être notifiée au concerné qui a le droit de faire recours. Et tant que cette décision ne lui a pas été communiquée et qu’elle n’a pas dépassé le délai de recours, il ne s’agit nullement d’une décision finale permettant l’application  de la contrainte par corps. Les récentes arrestations de conducteurs n’ont sûrement aucune relation avec les infractions relevées par les radars. Elles sont certainement en relation avec d’éventuels démêlés avec la justice ».
Des propos que confirme Me Allal El Basraoui du Barreau de Khouribga. « A ma connaissance, aucun individu n’a été introduit en  justice au niveau de notre région pour non-paiement des amendes liées à des infractions routières », nous a-t-il indiqué.  Et d’ajouter : « Ces rumeurs sont si surprenantes que la contrainte par corps n’est pas applicable qu’après  épuisement de toutes les procédures (notification, décision de justice, saisie des biens…) ». Notre source nous a précisé, en outre, que le Maroc est signataire de plusieurs accords internationaux préconisant l’interdiction de l’application de la contrainte par corps dans les procédures de  recouvrement des impayés et dettes. Notamment pour les personnes qui n’ont pas les moyens de les honorer.  En effet, les magistrats ont une appréciation fort large de la loi 15-97 formant Code de recouvrement des créances publiques, selon laquelle tout redevable d’une somme exigible supérieure ou égale à 8.000 dirhams peut faire l’objet de recouvrement par voie de contrainte par corps. Toutefois, sont exclus de l’application de celle-ci les redevables âgés de 60 ans et plus, les redevables en liquidation judiciaire, ceux qui sont âgés de moins de 20 ans, la femme enceinte, celle qui allaite dans la limite de deux années à compter de la date d’accouchement et le mari et sa femme simultanément même pour des dettes différentes. « Donc, il est juridiquement impossible d’appliquer la contrainte par corps sans passer par une série de démarches édictées par la loi », nous a-t-elle précisé.  
De son côté, Said Bentaleb, jeune conducteur casablancais, nous a déclaré qu’après être passé par les services de la Trésorerie générale  pour payer une amende liée à l’excès de vitesse, il a été renvoyé vers le tribunal puisqu’il a dépassé le délai de 15 jours. « Une fois sur place, un fonctionnaire nous a indiqué que le tribunal de Ain Sebaâ comptait ouvrir au mois de mars un service dédié aux contrevenants retardataires. Et de savoir ce qu’on risque la prison en cas de non-paiement, il a répondu qu’il s’agit de rumeurs non fondées. J’ai eu le même son de cloche de la part de plusieurs policiers que j’ai interrogés», nous a-t-il déclaré.  
Autre problème de taille soulevé par les conducteurs : bon nombre d’avis de contravention ne sont pas directement notifiés aux concernés. « Ces avis arrivent souvent par courrier non recommandé. Et souvent, ces courriers disparaissent dans la nature ou sont envoyés vers d’anciennes adresses des concernés ou vers des personnes qui ne le sont nullement. Et du coup, un bon nombre de contrevenants se trouvent dans l’ignorance la plus totale de ce qui leur advient», nous a indiqué Ahmed, chauffeur professionnel. Et de conclure : « Il y a également le problème de paiement. Souvent,  les perceptions  refusent d’encaisser les amendes et nous renvoient vers les tribunaux. Ces derniers ne disposent pas de personnel dédié en nombre suffisant ou leurs préposés déclarent que ces recouvrements ne relèvent pas de leurs compétences ».
 

Quid de la contrainte par corps ?

Nous sommes tous en liberté provisoire : Contraventions et contrainte par corps
La contrainte par corps est une mesure exceptionnelle du recouvrement forcé, à laquelle le comptable ne peut recourir qu'après épuisement des voies d'exécution sur les biens.
Pour sa mise en œuvre, le comptable chargé du recouvrement adresse une requête au président du tribunal de première instance du lieu où sont dues les créances publiques concernées en sa qualité de juge des référés.
Le juge des référés statue sur la requête qui lui est adressée dans un délai n'excédant pas 30 jours et fixe la durée de l'incarcération conformément aux dispositions du Code de recouvrement des créances publiques.
La contrainte par corps est immédiatement applicable par le procureur du Roi près la juridiction compétente dès réception de la décision fixant la durée d'incarcération.
Aux termes des dispositions du Code de recouvrement des créances publiques, le redevable contre lequel la contrainte par corps a été ordonnée, peut en prévenir ou en faire cesser les effets :
• Soit en acquittant l'intégralité des sommes dues ;
• Soit sur consentement du comptable chargé du recouvrement après paiement  d'un acompte au moins égal à la moitié des sommes dues et un engagement écrit  de régler le reliquat dans un délai ne dépassant pas trois mois avec constitution de garanties.


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