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Temple du patrimoine spirituel, thérapeutique et cultuel gnaoui, et témoin vivant d’un parcours nostalgique, douloureux et chargé d’émotions et de spiritualité, la Zaouia de Sidna Blal a servi, comme toujours, de refuge pour plusieurs milliers d’adeptes de cet héritage singulier.
Durant quatre jours, les artisans et les adeptes du patrimoine gnaoui , guidés par leur «hal», et un imaginaire pétri de «Tagnaouit»,se sont laissés guider par l’instinctif et le mystique. Au fait, il s’agit d’esprits en quête de délivrance et de paix et qui devaient impérativement honorer un pacte spirituel qui les relie depuis des dizaines d'années à leurs Mlouks. Ces derniers ont été au cœur des couleurs, des rituels, du gestuel et des rythmes de la tant attendue «Lila». Celle-ci constitue la phase la plus intense de ce rendez-vous annuel qui a su rassembler toutes les catégories sociales, professionnelles et culturelles.
Le programme de cette année a été entamé par une visite de courtoisie des Zaouia «Hamdouchia» et «Aissaouia» suivie d’un avant-goût de la tradition musicale gnaouie majestueusement animée par le grand et discret Maâlem Abdellah Guinea. Vendredi 06 août, et après un tour en fanfare de la «Dbiha» du Moussem dans les quartiers de l’ancienne médina, les adeptes ont assisté à la «Nhira» qui consiste à égorger un veau comme le veut la tradition gnaouie au cœur de la Zaouia de Sidna Blal en présence du gouverneur de la ville, saisissant l’occasion pour s’enquérir des travaux de réhabilitation de la Zaouïa à l’initiative de l’Association Dar Gnaoui.
Samedi après-midi, le carnaval de la «Jedba» a été entamé par les rythmes et les chants enflammants des «Hdarat». Quelques heures après, les fils Bambara et «Negcha» ont apporté la "Zyara" de la confrérie des gnaoua à Moulay Abdelkader, pour ainsi sillonner la ville à destination de la Zaouia où avait été déclarée ouverte la «Rahba» de la très attendue «Lila» vers minuit. Plusieurs centaines d’adeptes et de curieux ont afflué vers la fameuse Zaouïa de Sidna Blal pour prendre place au milieu d'une grande foule assoiffée et impressionnée en quête d'une délivrance que seul le rituel de transe peut leur offrir.
Au cœur de la «Rahba», le plus discret et inaperçu des Maalmin fait encore une fois preuve de son art. Abdellah Guinia toujours maître de son métier a majestueusement surfé durant douze heures sur la vague des rythmes, des couleurs, du «Bkhour» et de la «Jedba». menant ainsi les adeptes gnaouis vers une ambiance mystique et immatérielle.
Un gnaoui sur la scène d’un festival est une chose, mais un vrai Maâlem dans sa «Rahba» en est une autre. On peut découvrir sans artifice, ni tapage, la vraie identité et les spécificités qui ont fait du patrimoine gnaoui ce qu’il est vraiment. Pour les vrais adeptes qui sentent profondément les sons du Hajhouj de Maâlem Guinea, c’était le moment de délivrance et de transe, selon des rituels dont chacun correspond à un Melk.
Des cris de souffrance, des larmes, des âmes délivrées de toutes formes de retenue, imprègnent cette atmosphère spirituelle, extériorisent et exhaltent pleinement et publiquement des sentiments d’angoisse, de douleur et de chagrin les plus enfouis. Au milieu de ce rythme qui va crescendo, on peut facilement constater le rôle primordial de la Mkadma de la Zaouïa de Sidna Blal dans le rituel de la Lila. Elle est le catalyseur de cette transe effrénée à vous couper le souffle. Sur le plan social et humain, c’est une femme comme les autres, instruite, épouse et mère de famille ; mais sur le plan personnel, elle se distingue par cet héritage spirituel à part. Haja Latifa Essaguer Mkadma de la Zaouia de Sidna Blal, est considérée comme le guide spirituel des adeptes, hommes et femmes, «Msendin» (attachés) de la Zaouia dont elle détient les secrets.
Durant la Lila, Haja Latifa veille sur la sécurité des" Jdaba", et s'assure du bon déroulement du rituel de la transe qui implique le respect de plusieurs normes. Les nerfs tendus et toujours attentive à la «Rahba», aux chants et aux rythmes, elle veille à la convenance des couleurs du "bkhour" et des rituels au Melk ciblé par la Jedba. Ainsi le blanc convient aux Mlouk de Moulay Abdelkader, le bariolé au Bouhali, le noir à Sidi Mimoun, le bleu ciel à Sidi Moussa, le rouge à Ouled Belahmer, le bleu au malin lghaba (maîtres de la forét), le jaune à Lalla Aicha, le violet à lalla Malika, le rouge à Lalla Meryeme la Berbère et le vert aux Mlouk Chourafa. Les rituels de la Jedba n’ont cessé de changer d’un melk à l’autre. Pour Moulay Abdelkader, les jdaba mettent des tissus blancs tandis que la lmkadma allume un bkhour constitué de "oud lackmari" et de l'eau de roses. Pour les Mlouk du Bouhali, les Jdaba vêtus d’habits multicolores et décousus, portent des paniers de dattes, du sucre et des morceaux de pain, et effectuent leur transe tout en offrant le contenu au public. Au stade de Sidi Mimoun, les Jdaba ont allumé douze bougies, les femmes surtout, ( six bougies à chaque main), et ont commencé à passer les flammes sur plusieurs points sensibles de leurs corps de façon inconsciente. La Mkadma sert du café noir à l’audience. Pour les Mlouk du Moussaoui, les femmes versent de l’eau, au-dessus de leurs têtes tout en effectuant le gestuel de la transe. Au moment des Mlouk de Belhamri ou ' Ouled Lguourna" (fils de l’abattoir), la jedba est effectuée avec des couteaux. Ainsi, les Jdaba se font poignarder dans plusieurs points de leurs corps. À la fin des Mlouk de Hamouda, la Mkadma offre des cuillerées de miel aux Jedaba de peur qu'ils perdent le sens du langage. Quant au stade de Lalla Aïcha, on éteint les lumières, et la Jedba s’effectue dans le noir.
Lors d’une interview accordée à «Libé» depuis deux ans maintenant, Haja Latifa avait insisté sur le rôle primordial de la Mkadma durant les rituels de la transe. Elle doit impérativement veiller au respect des différentes phases de la "Jedba" pour ne pas provoquer une rupture brutale dans l'évolution de l'état d'esprit des adeptes pris par leur «Hal»; chose qui pourrait, par la suite, donner lieu à des troubles mentaux, psychologiques ou physiques. Elle nous avait même affirmé que, désormais, les Maalems gnaoui évitent quelques Mlouk qui ont été fatals pour certains jedaba comme celui du "Hnech" (le serpent) et celui de "Malin lghaba" (les maîtres de la forêt). D'autre part, les Jedaba de certains Mlouk se font de plus en plus rares, car l’adepte du «Hal» constitue la pièce maitresse du rituel et se doit ainsi de maîtriser le rituel de ses Mlouk, car «tout ce qui danse n'est pas de la transe», confirmait Haja Latifa Essaguer.
D’après Abderrahmane Naciri, président de l’Association Dar Gnaoui, cette année sera marquée par l’initiative de rassembler l’ensemble des gnaoua, Hmadcha, Aissaoua ainsi que les fameuses Hdarat à l’occasion de «la nuit des maîtres du patrimoine», l’objectif étant de mettre en avant le patrimoine culturel souiri dans toute sa diversité.