Hommage de deux amis
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La France vient de perdre un grand patriote, grand résistant et homme d’exception « Raymond Aubrac » est décédé à l’âge de 97 ans au Val de Grâce à Paris, dans la nuit de mardi à mercredi 11 avril 2012, après une éblouissante carrière.
Cette disparition intervient, presque jour pour jour, cinq ans après celle de son épouse Lucie Aubrac, dont le rôle dans la Résistance à l’occupation allemande de la France a été maintes fois souligné, décrit, et glorifié dans de nombreux ouvrages et porté à l’écran.
Abnégation, résistance, courage, soutien des peuples colonisés en lutte pour leur indépendance et de la cause palestinienne, aide et coopération en faveur du développement dans de nombreux pays, ont amené ce couple mythique à marquer de son empreinte de nombreuses générations en France et dans le monde.
Pour Raymond, un hommage national et international a été rendu il y a quelques jours par la presse, la télévision, les radios et l’ensemble des outils de communication modernes que notre époque a la chance de connaître et d’utiliser. Il fut, dès 1940, l’un des plus grands résistants à l’occupation allemande de la France. Il fut l’ami de Jean Moulin et de Charles Delestraint et le compagnon de Français (jeunes et moins jeunes) qui ont lutté contre cette occupation au péril et au sacrifice de leur vie.
Il échappa à la Gestapo dans les conditions que l’on sait grâce au courage et à la détermination de Lucie. Il fut choisi par le Général De Gaulle pour être l’un des 18 commissaires de la République chargés de rétablir la légalité républicaine après la chute du gouvernement de Vichy (à Marseille d’août 44 à janvier 45). Sa formation d’ingénieur civil des Ponts et Chaussées (promotion 1937) le désigne tout naturellement pour prendre en charge la coordination de la grande opération de déminage du sol de la France sous la houlette de Raoul Dautry. A rappeler également la profonde amitié qui liait Raymond à Ho Chi Minh et qui lui a permis, par des contacts efficaces et secrets, de jouer un rôle important dans les négociations de paix au Vietnam, entre les Etats-Unis et le Vietnam.
Raymond aimait répéter, à ses nombreux amis, qu’il avait eu la chance de vivre plusieurs vies. Un des aspects les moins connus du public dans sa carrière est son séjour au Maroc ou « sa vie marocaine » comme il se plaisait à le dire. Cinq ans passés au Maroc de 1958 à 1963, par Lucie et Raymond Aubrac avec leurs deux filles Catherine et Elisabeth et leur fils Jean-Pierre.
Nous, les deux signataires de cet hommage, sommes amis des Aubrac depuis plus d’un demi-siècle et avons été les témoins et les acteurs de l’odyssée marocaine de Raymond et de Lucie :
Jacques Bourdillon, ingénieur général des Ponts et Chaussées (promotion 50), envoyé au Maroc par François Bloch-Lainé, directeur général de la Caisse de dépôts et de consignations, pour créer et diriger la SCET Coopération au Maroc et assister des institutions marocaines dans différents domaines (contrôle du barrage de Mechra-Klila, étude aménagement des différents périmètres d’irrigation : Tadla, Loukkos, Doukkalas, bassin du Haouz de Marrakech, Souss-Massa et de diverses prestations de service à l’administration marocaine).
Mustapha Faris, ingénieur des Ponts et Chaussées (promotion 59), successivement responsable à l’exploitation au port de Casablanca, aux Travaux Publics à Tétouan et à Agadir (après le séisme du 29/02/1960), directeur de l’équipement de l’Office national des irrigations, directeur général de l’hydraulique, président général de la Banque nationale pour le développement économique BNDE et de la BMCI, Groupe BNP PARIBAS et plusieurs fois ministre.
2 mars 1956 : La France reconnaît l’indépendance du Maroc sous l’égide de Sa Majesté Mohammed V. Le Maroc s’engage dans une politique d’ouverture, de libéralisme économique et de coopération internationale, dans le domaine du développement en particulier avec la France dont plusieurs hauts cadres ont assuré une transition douce entre la période du Protectorat et les premières années de l’Indépendance.
Sous l’impulsion d’Abderrahim Bouabid, grand nationaliste et véritable homme Etat, vice-président du Conseil et ministre de l’Economie et des Finances du gouvernement d’Abdallah Ibrahim, des actions décisives ont été prises. Maître Bouabid, entouré d’une pléiade de grands commis de l’Etat (Mamoun Tahiri, Ahmed et Mohammed Benkirane, Mohammed Lahbabi, Abraham Serfati, Scemmama…) fera appel à des conseillers de renom, dont Raymond Aubrac et Georges Oved sont les plus connus. Cette période exceptionnelle de l’histoire du Maroc a vu, sous la houlette de Bouabid, la modernisation, l’organisation et la création de nombreux instruments de la souveraineté nationale dans les domaines politique, économique et social (Bank El Maghreb, BNDE, BMCE, CDG, Office de développement industriel, BRPM, Crédit populaire, CIH) et d’organismes qu’il serait fastidieux de citer.
Le rôle de Raymond Aubrac, Georges Oved aidés de responsables marocains et français a été déterminant. Parmi les actions fortes et originales : la création de l’Office national des irrigations (ONI) fin 1960. Raymond Aubrac est nommé secrétaire général avec Mohamed Tahiri comme directeur général et brillant ingénieur dans une 1ère période et Mohamed Iman ingénieur des P et C (Promotion 1957). Ce nouvel Office a regroupé des ingénieurs du génie civil, du génie rural, des géologues, des sociologues, des économistes et de brillants administrateurs.
C’est une grande première qui a fait école ailleurs (notamment en France) et qui a permis de faire travailler ensemble les ingénieurs chargés des barrages et des canaux d’irrigation, les responsables de la mise en valeur agricole et ceux qui étudient les structures agraires, la transformation des produits agricoles et la formation des paysans.
L’introduction de la betterave sucrière au Maroc est l’un des succès de l’ONI et de l’engagement personnel de Raymond Aubrac. Dans son livre “Où la mémoire s’attarde” (Odile Jacob), il consacre à “sa vie marocaine” et à l’introduction de la betterave et la création des sucreries quelques dizaines de pages. Son rôle a été également très appréciable dans le rapprochement, la collaboration et même une certaine amitié entre les cadres marocains Haïm Benisty, Mustapha Faris, Ben Soussan, Hariki, David Berdugo, Roger Azan, Paul Pascon, Derhy, Mohammed Dadi et les coopérants et conseillers français (Claude Rattier, Henri Boumendil, Dimitri Cavasillas, Jacques Bourdillon, Jacques Brunet, André Vallette, Marcel Jutton, Henri Maziol, Cercle..).
A son départ du Maroc, Raymond a terminé sa carrière professionnelle à Rome à la FAO. Dans cette fonction, il a favorisé grandement la création du Centre national de documentation de Rabat qui a regroupé et numérisé des décennies de documents relatifs au développement économique et social du pays.
Pour terminer, nous voudrions parler succinctement de la grande Lucie Aubrac, professeur au Collège Moulay Youssef de Rabat. Elle a eu comme élèves de très nombreux responsables parmi lesquels alors Fathallah Oualalou et Abdeljalil Lajoumri et beaucoup d’autres. Ses filles Catherine et Isabelle, alors adolescentes, étaient les compagnes de nombreuses camarades marocaines parvenues, par la suite, à de hautes fonctions dans l’Administration et dans le privé.
A tous, Lucie a enseigné les valeurs de probité, de rigueur morale et d’efforts. Elle a continué à le faire dans les dernières années de son existence, dans les collèges de France.
Après sa mort en 2007, Raymond a pris le relais de Lucie. Son dernier voyage au Maroc en 2009 a été l’occasion de transmettre aux jeunes du Lycée Descartes de Rabat, les valeurs qui ont marqué l’action de toute sa vie et de son épouse, la signification de leur combat. Cette dernière étape de sa vie dans un pays qu’il aimait par-dessus tout, lui a permis de rencontrer de très hautes personnalités marocaines, ainsi que ses nombreux amis qui ont trouvé en lui l’homme sensible, discret et fidèle.
Qu’il repose en paix après cette vie exceptionnelle et que ses enfants et sa famille reçoivent nos condoléances les plus affectueuses.
Jacques Bourdillon * Commandeur du Ouissam Alaouite
Mustapha Faris * Commandeur de la Légion d’Honneur
* (Bourdillon et Faris ont travaillé au côté de Raymond Aubrac du temps où il était conseiller de feu Si Abderrahim Bouabid)
Cette disparition intervient, presque jour pour jour, cinq ans après celle de son épouse Lucie Aubrac, dont le rôle dans la Résistance à l’occupation allemande de la France a été maintes fois souligné, décrit, et glorifié dans de nombreux ouvrages et porté à l’écran.
Abnégation, résistance, courage, soutien des peuples colonisés en lutte pour leur indépendance et de la cause palestinienne, aide et coopération en faveur du développement dans de nombreux pays, ont amené ce couple mythique à marquer de son empreinte de nombreuses générations en France et dans le monde.
Pour Raymond, un hommage national et international a été rendu il y a quelques jours par la presse, la télévision, les radios et l’ensemble des outils de communication modernes que notre époque a la chance de connaître et d’utiliser. Il fut, dès 1940, l’un des plus grands résistants à l’occupation allemande de la France. Il fut l’ami de Jean Moulin et de Charles Delestraint et le compagnon de Français (jeunes et moins jeunes) qui ont lutté contre cette occupation au péril et au sacrifice de leur vie.
Il échappa à la Gestapo dans les conditions que l’on sait grâce au courage et à la détermination de Lucie. Il fut choisi par le Général De Gaulle pour être l’un des 18 commissaires de la République chargés de rétablir la légalité républicaine après la chute du gouvernement de Vichy (à Marseille d’août 44 à janvier 45). Sa formation d’ingénieur civil des Ponts et Chaussées (promotion 1937) le désigne tout naturellement pour prendre en charge la coordination de la grande opération de déminage du sol de la France sous la houlette de Raoul Dautry. A rappeler également la profonde amitié qui liait Raymond à Ho Chi Minh et qui lui a permis, par des contacts efficaces et secrets, de jouer un rôle important dans les négociations de paix au Vietnam, entre les Etats-Unis et le Vietnam.
Raymond aimait répéter, à ses nombreux amis, qu’il avait eu la chance de vivre plusieurs vies. Un des aspects les moins connus du public dans sa carrière est son séjour au Maroc ou « sa vie marocaine » comme il se plaisait à le dire. Cinq ans passés au Maroc de 1958 à 1963, par Lucie et Raymond Aubrac avec leurs deux filles Catherine et Elisabeth et leur fils Jean-Pierre.
Nous, les deux signataires de cet hommage, sommes amis des Aubrac depuis plus d’un demi-siècle et avons été les témoins et les acteurs de l’odyssée marocaine de Raymond et de Lucie :
Jacques Bourdillon, ingénieur général des Ponts et Chaussées (promotion 50), envoyé au Maroc par François Bloch-Lainé, directeur général de la Caisse de dépôts et de consignations, pour créer et diriger la SCET Coopération au Maroc et assister des institutions marocaines dans différents domaines (contrôle du barrage de Mechra-Klila, étude aménagement des différents périmètres d’irrigation : Tadla, Loukkos, Doukkalas, bassin du Haouz de Marrakech, Souss-Massa et de diverses prestations de service à l’administration marocaine).
Mustapha Faris, ingénieur des Ponts et Chaussées (promotion 59), successivement responsable à l’exploitation au port de Casablanca, aux Travaux Publics à Tétouan et à Agadir (après le séisme du 29/02/1960), directeur de l’équipement de l’Office national des irrigations, directeur général de l’hydraulique, président général de la Banque nationale pour le développement économique BNDE et de la BMCI, Groupe BNP PARIBAS et plusieurs fois ministre.
2 mars 1956 : La France reconnaît l’indépendance du Maroc sous l’égide de Sa Majesté Mohammed V. Le Maroc s’engage dans une politique d’ouverture, de libéralisme économique et de coopération internationale, dans le domaine du développement en particulier avec la France dont plusieurs hauts cadres ont assuré une transition douce entre la période du Protectorat et les premières années de l’Indépendance.
Sous l’impulsion d’Abderrahim Bouabid, grand nationaliste et véritable homme Etat, vice-président du Conseil et ministre de l’Economie et des Finances du gouvernement d’Abdallah Ibrahim, des actions décisives ont été prises. Maître Bouabid, entouré d’une pléiade de grands commis de l’Etat (Mamoun Tahiri, Ahmed et Mohammed Benkirane, Mohammed Lahbabi, Abraham Serfati, Scemmama…) fera appel à des conseillers de renom, dont Raymond Aubrac et Georges Oved sont les plus connus. Cette période exceptionnelle de l’histoire du Maroc a vu, sous la houlette de Bouabid, la modernisation, l’organisation et la création de nombreux instruments de la souveraineté nationale dans les domaines politique, économique et social (Bank El Maghreb, BNDE, BMCE, CDG, Office de développement industriel, BRPM, Crédit populaire, CIH) et d’organismes qu’il serait fastidieux de citer.
Le rôle de Raymond Aubrac, Georges Oved aidés de responsables marocains et français a été déterminant. Parmi les actions fortes et originales : la création de l’Office national des irrigations (ONI) fin 1960. Raymond Aubrac est nommé secrétaire général avec Mohamed Tahiri comme directeur général et brillant ingénieur dans une 1ère période et Mohamed Iman ingénieur des P et C (Promotion 1957). Ce nouvel Office a regroupé des ingénieurs du génie civil, du génie rural, des géologues, des sociologues, des économistes et de brillants administrateurs.
C’est une grande première qui a fait école ailleurs (notamment en France) et qui a permis de faire travailler ensemble les ingénieurs chargés des barrages et des canaux d’irrigation, les responsables de la mise en valeur agricole et ceux qui étudient les structures agraires, la transformation des produits agricoles et la formation des paysans.
L’introduction de la betterave sucrière au Maroc est l’un des succès de l’ONI et de l’engagement personnel de Raymond Aubrac. Dans son livre “Où la mémoire s’attarde” (Odile Jacob), il consacre à “sa vie marocaine” et à l’introduction de la betterave et la création des sucreries quelques dizaines de pages. Son rôle a été également très appréciable dans le rapprochement, la collaboration et même une certaine amitié entre les cadres marocains Haïm Benisty, Mustapha Faris, Ben Soussan, Hariki, David Berdugo, Roger Azan, Paul Pascon, Derhy, Mohammed Dadi et les coopérants et conseillers français (Claude Rattier, Henri Boumendil, Dimitri Cavasillas, Jacques Bourdillon, Jacques Brunet, André Vallette, Marcel Jutton, Henri Maziol, Cercle..).
A son départ du Maroc, Raymond a terminé sa carrière professionnelle à Rome à la FAO. Dans cette fonction, il a favorisé grandement la création du Centre national de documentation de Rabat qui a regroupé et numérisé des décennies de documents relatifs au développement économique et social du pays.
Pour terminer, nous voudrions parler succinctement de la grande Lucie Aubrac, professeur au Collège Moulay Youssef de Rabat. Elle a eu comme élèves de très nombreux responsables parmi lesquels alors Fathallah Oualalou et Abdeljalil Lajoumri et beaucoup d’autres. Ses filles Catherine et Isabelle, alors adolescentes, étaient les compagnes de nombreuses camarades marocaines parvenues, par la suite, à de hautes fonctions dans l’Administration et dans le privé.
A tous, Lucie a enseigné les valeurs de probité, de rigueur morale et d’efforts. Elle a continué à le faire dans les dernières années de son existence, dans les collèges de France.
Après sa mort en 2007, Raymond a pris le relais de Lucie. Son dernier voyage au Maroc en 2009 a été l’occasion de transmettre aux jeunes du Lycée Descartes de Rabat, les valeurs qui ont marqué l’action de toute sa vie et de son épouse, la signification de leur combat. Cette dernière étape de sa vie dans un pays qu’il aimait par-dessus tout, lui a permis de rencontrer de très hautes personnalités marocaines, ainsi que ses nombreux amis qui ont trouvé en lui l’homme sensible, discret et fidèle.
Qu’il repose en paix après cette vie exceptionnelle et que ses enfants et sa famille reçoivent nos condoléances les plus affectueuses.
Jacques Bourdillon * Commandeur du Ouissam Alaouite
Mustapha Faris * Commandeur de la Légion d’Honneur
* (Bourdillon et Faris ont travaillé au côté de Raymond Aubrac du temps où il était conseiller de feu Si Abderrahim Bouabid)