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Mondial féminin. Quand les femmes étaient interdites de football au Brésil

Vendredi 28 Juillet 2023

Dilma Mendes a perdu le compte du nombre de fois où elle s'est fait arrêter par la police. Son crime ? Jouer au football, sport qui, au Brésil, a été interdit aux femmes pendant près de quarante ans.

Considérée comme la pionnière du football dans le pauvre nord-est brésilien, Dilma Mendes a dû confectionner des stratégies pour échapper aux autorités, qui appliquaient un décret promulgué en 1941 par le président de l'époque, Getúlio Vargas, et qui a duré jusqu'en 1979.

L'interdiction a entravé le développement du foot féminin au Brésil, dont la "Seleção", emmenée par l'attaquante Marta, affronte la France au Mondial en Australie samedi.

 "Quand j'étais enfant, je croyais que la police arrêtait les gens qui faisaient quelque chose de mal, et je n'avais pas l'impression de faire quoique ce soit de mal", a déclaré à l'AFP l'ancienne milieu de terrain, âgée de 59 ans. "Je ne savais pas qu'il existait une loi interdisant aux femmes de jouer au football", a-t-elle ajouté.

Au début des années 1970, dans sa ville natale de Camaçari, Mendes offrait des glaces à ses camarades de jeu pour qu'ils la préviennent de l'arrivée des policiers, afin qu'elle puisse se cacher.

Lorsqu'ils partaient, elle retournait sur le terrain sablonneux pour continuer à taper dans le ballon, un droit durement acquis face au refus initial des garçons de jouer avec elle. Mais le plan échouait parfois: elle se retrouvait alors au poste de police.

L'interdiction est née sous le régime conservateur de Vargas et se fondait, entre autres, sur un "discours biomédical" qui considérait les femmes plus fragiles que les hommes: il fallait donc "protéger leur intégrité physique", résume la chercheuse Silvana Goellner.

"La présence des femmes dans l'espace public remettait en cause une norme de représentation de la féminité très puissante à l'époque : la femme comme figure maternelle réservée à l'espace domestique", explique-t-elle.

 Le décret leur interdisait de pratiquer des "sports incompatibles avec les conditions de leur nature", notamment le football, l'aviron et la lutte, bien que ceux-ci ne soient pas explicitement mentionnés.

 Il ne mentionne pas non plus de sanctions, laissant à chaque commissariat le soin d'en imposer. Il n'existe cependant aucune trace de femmes emprisonnées pour l'avoir enfreint. Elles étaient généralement détenues et relâchées après avoir fait leur déposition.

 "Elles n'ont jamais cessé de jouer, elles ont créé des stratégies pour contourner la loi", affirme Silvana Goellner, coautrice d'un livre sur les femmes pionnières dans le football.

 Certaines s'habillaient en hommes, jouaient la nuit ou dans des espaces privés, ou encore couraient dans différentes directions lorsqu'elles étaient découvertes pour semer la police. Mais en plus des autorités, elles devaient aussi faire face à l'opposition de leurs familles.

Dilma Mendes, cadette d'une fratrie de sept enfants, dont cinq hommes, priait lorsqu'elle se faisait arrêter pour que ce soit son père, son grand complice, qui vienne la récupérer. Sa mère ayant eu tendance à lui donner une "fessée" pour avoir pratiqué un "sport d'homme".

 "C'était dur de rentrer à la maison et de se faire battre par sa mère et ses frères, puis le lendemain, il fallait être prête à rejouer", se souvient la Brésilienne, qui a "vu beaucoup d'amies abandonner le football" à cause de toute cette pression.

 Le Brésil avait de "grandes joueuses" qui n'avaient aucune "opportunité". "L'interdiction était cruelle, car elle vous privait de vos rêves", déplore-t-elle, en larmes.

 Mendes n'a pas abandonné et a fait carrière dans le futsal et le football professionnel, qui a été réglementé en 1983, quatre ans après la fin de l'interdiction, notamment sous la pression des mouvements féministes et des premiers tournois internationaux féminins.

L'interdiction, selon Goellner, a entravé le développement du football féminin au Brésil, alors que la sélection masculine a quant à elle remporté cinq titres mondiaux.

 "Sans l'interdiction, le Brésil aurait déjà remporté une Coupe du monde ou une médaille d'or olympique en football féminin", a déclaré Aline Pellegrino, coordinatrice des compétitions féminines à la Confédération brésilienne de football (CBF), au journal espagnol El País en 2021.

Libé

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