Laila Kilani choisit la voie du documentaire pour restituer un épisode sensible de la transition démocratique, celui des séances organisées par l'Instance Equité et Réconciliation; une procédure élaborée pour permettre aux victimes des années de plomb, et à l'ensemble de la société de faire le deuil d'une période difficile et de tourner une page douloureuse de l'histoire contemporaine du pays. Cette formule d'audience publique où la parole est restituée à la victime reprend en la remaniant légèrement l'expérience de l'Afrique du Sud sur les audiences de Vérité et Réconciliation qui par ailleurs ont inspiré plusieurs productions dramatiques notamment au cinéma. Le film « Nothing but the truth » y fait d'ailleurs référence, par le bais cette fois d'un récit fictionnel. Laila Kilani a construit son documentaire sur trois récits qui renvoient à des expériences édifiantes du Maroc de la répression politique. Le récit de la famille du militant syndicaliste lié à un mouvement politique d'opposition clandestin; disparu à l'orée des années soixante-dix. Seules trois femmes, sa mère, sa fille et sa petite fille rescapées de ce naufrage tentent de remonter le fil de l'histoire. Mais c'est comme remonter la nuit des temps. Le deuxième récit est celui du fils d'un ancien détenu du bagne longtemps tenu secret à Tazmamart; le troisième récit est celui de Lahcen Lbou un ancien détenu marxiste léniniste à Kénitra. Au sein de ce dispositif central passe d'autres mini-récits notamment celui du groupe dit de Banouhachem. Ces différents récits sont en fait montés autour de la question de la prise de la parole: Lahcen, qui en a été privé pendant longtemps, est tout le temps dans une sorte de délire; il tente de restituer par le verbe les années de silence et de folie qui lui ont été imposées. Le jeune Said, les trois femmes sont constamment à la recherche de la formulation adéquate. Elles sont les victimes symboliques de la violence qui a été exercée sur les leurs. La caméra ne se contente pas d'enregistrer; elle suit et prolonge le mot ou le silence en captant le geste furtif, le sourire ou le regard interrogateur.
Dans « Teza », c'est le retour sur le passé d'une illusion, celle de l'Ethiopie socialiste à laquelle a voulu croire Anberber, intellectuel, formé en Europe qui rentre au pays dans les années 70 pour découvrir la réalité amère qu'une révolution n'est jamais vaincue que de l'intérieur. C'est une véritable saga qui se déroule sur pratiquement deux décennies et qui nous montre comment une utopie dévoyée verse dans l'horreur. Les meilleures séquences sont celles où l'on retrouve le jeune chercheur complètement cassé à la campagne près de sa maman; l'ultime refuge, la zone de repli finale pour tenter de retrouver des bribes d'humanité chez les humbles et les proches.
John Kani dans « Nothing but the truth » aborde une dimension originale de ce travail de mémoire. Il aborde cette relecture du passé récent à partir non pas du point de vue d'une star de la lutte de libération mais de celui d'un anonyme dont le seul rêve est de devenir directeur de bibliothèque délaissant l'activisme à son frère. Quand il décide de parler, de raconter à sa fille une partie de cette phase héroïque, beaucoup d'images idylliques vont tomber. Les héros d'hier ne sont pas tous des Saints. Le film invite ainsi à une introspection collective et que pour solder les comptes du passé les chemins de la mémoire individuelle et la mémoire collective ne se recoupent pas souvent.