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L’auteur a choisi trois personnages, représentatifs de cette génération. Un commissaire dont l’ambition est de rester commissaire et dont la tâche est de réussir ses investigations dans l’envers des vies, un médecin qui soigne les corps et les âmes et qui, désabusé soignera la sienne par la lecture des textes religieux, et un ingénieur Moha, que l’auteur décrira plus longuement, et dont l’ascension et la chute seront le fil rouge du roman.
Ascension et chute qui auraient du être la toile de fond de l’inexorable échec des trois «mariages mixtes», mais qui vont éclipser cette faillite pour ne s’intéresser qu’à la déliquescence d’une société en mal d’elle-même.
Moha nait dans la misère d’une campagne orpheline et oubliée. L’instituteur veut l’aider, convainc son père, et l’enfant part au collège du village voisin. Là, c’est la maitresse qui s’empare de son destin. On ne saura jamais pourquoi, de tels êtres, à un moment donné, comme des anges gardiens, œuvraient pour aider de jeunes dans les campagnes, et dans les villes à dépasser l’avenir que leur réservait le protectorat («facteur», «ouvrier agricole», «guichetier», «goumier etc.»). Paternalisme ? Altruisme ? Humanisme ?
Toujours est-il, que Moha se retrouve dans une grande école parisienne, et fut séduit par l’attention toute maternelle et affectueuse de Lucie, que le destin cruel a plongée dans la vie nocturne de Paris. Il unira sa vie, à celle qui aurait eu une vie de barmaid, si elle n’avait pas rencontré ce brillant étudiant appelé dans son pays, aux plus hautes destinées.
De retour, dans un pays démuni de compétences, au cours des premières années d’une indépendance euphorique, cet ingénieur, que les luttes politiques intéressaient peu, en jeune technocrate ambitieux, s’enrichira dans une administration que la corruption minait déjà. Puissant et riche, il délaissera son épouse étrangère, que son amante assassinera mais qui aura la préscience de le dépouiller de toute la fortune accumulée de délits en délits. Moha paie d’avoir tout trahi, son pays, sa génération, l’institutrice altruiste qui en fit un ingénieur, son épouse «ancienne barmaid» méprisée et humiliée.
Il paie surtout d’avoir renié son père, sa mère, son frère, son village, ses origines.
Deux scènes illustrent ce reniement brutal, exécuté de sang froid, lucidement: celle où le père, est présenté par Moha à son collaborateur comme un vague parent et qui a eu l’outrecuidance d’aller à la recherche du fils ingrat dans une espérance inouïe. Celle du frère, présenté aussi comme un vague cousin ayant eu vent de la réussite de Moha, et cherchant un travail qu’il ne pouvait lui octroyer. Tous deux, dépenaillés exhalant l’odeur nauséabonde des campagnes, du bétail et de la misère.
Ce n’est pas simplement parce que Moha avait honte de ses origines qu’il ne les accueillera pas chez lui, peu fier de leur faire rencontrer son épouse parisienne, mais parce qu’il était devenu «autre», et que cet autre ne reconnait plus ses origines, qu’il se veut «sans origines», «sans racines».
Tout l’intérêt de ce roman est dans une succession de «reniements» Moha reniera certes, ses racines, mais il reniera aussi, et surtout les valeurs de probité, de pureté, d’honnêteté de ses humbles origines.
Responsable de son destin, il ne lui faudra pas beaucoup de temps, pour accepter la corruption, apprendre à corrompre, et finir par tout corrompre. Peu de tourments l’habiteront. L’auteur qui ne raconte pas cette génération du reniement de l’intérieur, décrit dans un constat froidement « objectif » les illusions de cette âme que piègent l’orgueil, la suffisance et la morgue.
Le lecteur en oublie ces unions, appelées «mariages mixtes». Il en oublie le destin de ces femmes égarées dans des sociétés que personne ne les a préparés à affronter, qui n’étaient pas préparées non plus à les accueillir. Il en oublie leurs discussions où elles cherchaient à inventer les subterfuges qui sauveraient leur couple l’éloigneraient des nuisances d’une culture qui leur apparaissait nuisible, qui les aideraient à habiller «leurs époux» des oripeaux de leur propre culture, d’en faire «des époux français» qu’elles n’ont pas su trouver, qui les ont peut être trahies, ou les ont abandonnées.
Le critique Mustapha Bencheikh à propos d’un récit du regretté Mohamed Leftah, commençait ainsi sa chronique «Comment lire un roman ?», et il ajoutait « nous n’avons pas de réponse compète et définitive à cette question, même si nous savons que toutes lectures ne se valent pas».
La lecture proposée du roman d’Ahmed Hijaoui, n’est certes pas la seule possible. C’est celle qui m’a semblé la plus «actuelle», parce qu’elle ne restitue pas les tourments psychologiques du personnage, à peine effleurés, mais parce qu’elle est surtout «politique» dans le sens large de ce terme, parce qu’elle évoque le dévoiement de toute une génération, en charge du destin de la « Cité » et qui s’en est détourné pour cueillir les plaisirs éphémères d’une vie sans éclats.
Ahmed Hijaoui a su décrire cette trahison dans une langue sobre, de la sobriété de ceux qui n’ont jamais renié leurs origines.