Enis Berberoglu, du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), a été condamné mercredi à 25 ans de prison pour avoir fourni au quotidien d'opposition Cumhuriyet des informations confidentielles.
C'est la première fois qu'un député du CHP, parti fondé par le père de la Turquie moderne, Mustafa Kemal Atatürk, est écroué depuis la levée de l'immunité parlementaire l'année dernière. Le gouvernement avait lancé des purges massives, après le coup d'Etat manqué du 15 juillet 2016. Plus de 50.000 personnes ont été incarcérées et plus de 150.000 limogées ou suspendues depuis cette date.
Le CHP s'est immédiatement soulevé contre cette décision, plusieurs députés la qualifiant de "politique". Le dirigeant du parti, Kemal Kiliçdaroglu, a décidé, en protestation, de parcourir à pied les plus de 400 km qui séparent Ankara d'Istanbul où le député est incarcéré.
Le chef de file du CHP, Kemal Kilicdaroglu, a jugé la décision de justice contraire à la loi et motivée par des considérations politiques.
"S'il y a un prix à payer, je le paierai en premier", a déclaré M. Kiliçdaroglu. "Je vais marcher jusqu'à Istanbul. Et nous poursuivrons notre marche jusqu'à ce qu'il y ait de la justice en Turquie." Il a également appelé tous ceux qui veulent défendre la justice à soutenir sa démarche.
Plusieurs milliers de personnes ont marché avec lui depuis le centre-ville d'Ankara, brandissant des pancartes portant le mot "Justice", selon une journaliste de l'AFP sur place.
"Ne restez pas silencieux. Si vous êtes silencieux, votre tour viendra", scandaient-ils, ainsi que "côte à côte contre le fascisme". Un rassemblement a également été organisé à Istanbul, où plusieurs centaines de personnes se sont réunies, scandant "nous gagnerons à travers la résistance", a constaté une autre journaliste de l'AFP.
Enis Berberoglu est accusé d'avoir fourni au quotidien d'opposition Cumhuriyet une vidéo affirmant montrer l'interception, en janvier 2014 à la frontière syrienne, de camions appartenant aux services secrets turcs (MIT) et transportant des armes en Syrie.
Cette affaire avait fait scandale et provoqué la fureur du président Recep Tayyip Erdogan, qui avait promis au rédacteur en chef de Cumhuriyet de l'époque, Can Dündar, qu'il en "paierait le prix". Berberoglu, qui comparaissait libre mercredi, a été incarcéré immédiatement après l'annonce du verdict par le tribunal. L'avocat du député a fait appel de cette décision dès jeudi matin, a rapporté l'agence privée Dogan.
La police a pris des mesures de sécurité très strictes sur le lieu de la manifestation, jeudi matin, bouclant les rues avoisinantes et procédant à des fouilles pour trouver d'éventuelles bombes. Des canons à eau et des véhicules de police stationnaient non loin de là.
Les autorités turques ont condamné par ailleurs un magistrat, Aydin Sedaf Akay, à une peine de sept ans et demi de prison pour "appartenance à une organisation terroriste", a fait savoir jeudi le tribunal de l'Onu, basé à La Haye, pour lequel il travaillait. Le juge Akay est en détention depuis septembre. Pour le tribunal onusien, les menées du pouvoir turc violent là le droit international, dans la mesure où le juge devrait bénéficier de l'immunité diplomatique.