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Livre: Théocratie populiste L’alternance, une transition démocratique?


Mustapha Hogga
Jeudi 14 Août 2014

Livre: Théocratie populiste L’alternance, une transition démocratique?
Voici ce que propose Me A. Jamaї pour séparer le judiciaire de l’exécutif : il faut tout d’abord «faire échapper le CSM à son emprise
… le vice-président doit être un professionnel qui appartient au corps des magistrats». En outre, il faudrait «permettre aux magistrats de s’organiser en association ou syndicats en dehors de la structure du CSM», car ils seraient mieux armés pour résister au ministère.
Signalons l’existence éphémère d’une Association marocaine pour la défense de l’indépendance de la magistrature (AMDIM). Revenons à la corruption, il n’y a pas de données chiffrées sur le pourcentage des juges corrompus ; il y a seulement une opinion publique majoritaire qui estime que la plupart le sont, mais il y a autant de gens intègres ou corrompus parmi les magistrats que dans les autres professions, et ceux-ci redoutent autant le Makhzen que les autres… De nombreux ministres de la Justice annoncèrent depuis l’indépendance leur intention d’assainir leur département en réprimant les juges malhonnêtes. La déclaration d’Omar Azzimane, ministre de la Justice (1997), suscita quelque espoir : «Il est aujourd’hui vital pour le Maroc d’avoir une justice qui garantisse à chacun ses droits en fonction des seuls critères des textes juridiques en vigueur. » Il s’ensuivit la révocation de 9 magistrats et des mesures disciplinaires contre 30 autres ; mais très vite le processus fut arrêté, parce que lorsque la corruption est à ce point répandue, s’en prendre à quelques-uns seulement paraît arbitraire, et si on les juge tous, les conséquences sur le régime seraient importantes et peut-être non maîtrisables. Il est sûr néanmoins que le problème ne peut pas être résolu par la répression uniquement. En tout état de cause, l’indépendance de la justice est un préalable absolu aux réformes démocratiques.
5. Corruption, subversion de la loi et ambivalence
Il serait peu exact de diviser le Maroc entre corrupteurs et corrompus. Il y a des gendarmes et des juges intègres, des policiers et des fonctionnaires honnêtes, des soldats et des officiers irréprochables.
Ceci dit, la corruption est un phénomène préoccupant; il faut donc l’analyser.
Celui qui corrompt pour régler son problème postule que :
1) Tous les Marocains auraient agi ainsi, et pratiquent donc une malhonnêteté par préemption
2) Ceux qui disent qu’ils ne le font pas sont des menteurs ou n’ont pas les moyens d’acheter tel droit ou d’obtenir tel service ou tel avantage en soudoyant les personnes en charge
3) S’il ne le faisait pas, il serait en position de faiblesse puisque l’autre aurait soudoyé qui un juge, qui une commission d’adjudication d’un marché, et donc, la corruption peut se justifier par un souci d’équilibre. La crainte de corrompre peut céder devant la nécessité de le faire. Autre considération : s’abstenir de corrompre peut nous exposer à des problèmes : quelqu’un peut égarer votre dossier ou faire volontairement une erreur pour vous faire payer plus que ce qui est dû, etc. On en arrive presque à corrompre pour se protéger ! Attitude loin d’être rare.
Maintenant, qu’est-ce la corruption : un complément de salaire?
Une tradition séculaire marocaine n’appelait pas cela corruption mais ḥlāwā, les épices du XVIIe siècle en France. Il était naturel que le représentant de l’autorité ou le juge recevait des cadeaux. Il y a aussi une approche religieuse qui considère que, selon l’islam, les salariés peuvent bénéficier de la adaqa et de la zakāt. Selon cette interprétation, un policier, un fonctionnaire, tout employé peut recevoir une aide financière d’une personne charitable. On peut estimer la rashwā (corruption) comme telle, donc elle est permise. Cette vue est le comble de la sophistique, car la corruption implique nécessairement la transgression et la perte des droits d’une tierce personne, celle qui n’a pas opté pour ce moyen. Justement, au Maroc, on raisonne comme si autrui était une quantité négligeable ou n’existait pas. En fait, la corruption est prohibée par l’islam.
La corruption est souvent considérée comme un problème de comportement, d’attitude morale ; on l’envisage rarement du point de vue politique : la corruption est l’essence de la confusion des pouvoirs.
La corruption est un impôt sans consentement, quand elle est exigée pour obtenir un droit inscrit dans la loi ; en outre, elle fait du corrupteur un législateur criminel lorsqu’il vise à obtenir un privilège ; de même pour le corrompu. La corruption engendre chez tous culpabilité, humiliation et frustration : ceux qui en bénéficient ont un sentiment de supériorité, de souveraineté qui les pousse à mépriser les autres.
Dans la corruption, la loi devient un rapport personnel. La corruption de la justice est le summum de la corruption. Dans la mesure où il y a un consensus sur la corruption, le droit, la loi sont monnayables. Il est paradoxal de soulever la problématique constitutionnelle ou de parler de droits au Maroc si on n’aborde pas en priorité ce problème : qu’est-ce que la loi pour les Marocains ? La corruption partage les citoyens en ceux qui passent à travers les lois grâce à leurs moyens et ceux qui la subissent par indigence et on retrouve le clivage du Bas-Empire romain entre honestiores et humiliores ; seuls ces derniers éprouvaient les rigueurs de la loi.
(A suivre)
 


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