Les valeurs de l’administration publique marocaine


Par Rachid Baji*
Mardi 12 Août 2014

Les valeurs de l’administration publique marocaine
L’être humain est considéré comme le seul à avoir la capacité de distinguer le bien du mal, le correct et l’incorrect. Le terme «valeur» fait référence à l’idée que l’être humain peut savoir ce qui est acceptable et ce qui est inacceptable, ce qui est conforme à la morale et ce qui, par opposition, est immoral. De la même manière, les «valeurs» indiquent l’envergure et l’importance concédées par l’individu à des expériences et des événements ou des phénomènes et qui apportent à l’être humain sa ligne de conduite individuelle.
Les valeurs des agents de la Fonction publique peuvent être partiellement la cause de dilemmes moraux par le fait de la fiabilité de l’individu, son ego surdimensionné, sa soif de pouvoir, de fortune, d’une vie de luxe et d’une position sociale privilégiée, plutôt que sa disposition à rendre service d’une manière honnête et en adhérant à des normes et des règles professionnelles. La faillibilité de la personne peut avoir un effet sur l’efficacité du rendement de l’agent de la Fonction publique dans l’exécution de ses tâches officielles et peut s’étendre à d’autres employés du fait de l’absence de responsabilité et d’une ligne de conduite morale à l’égard du public, ce qui pourrait  entraîner d’autres individus à avoir recours, à leur tour, à des pratiques douteuses.
Il ne faut pas oublier que les agents de la Fonction publique occupent des postes importants et qu’ils ont décidé eux-mêmes de leur position. Les valeurs de la société sont considérées par les agents comme des règles normatives et représentent donc la source de leurs réflexions morales.
Par conséquent, une administration publique saine et honnête ne se développera qu’à la condition d’être soumise à un ensemble de valeurs universelles et communes à tous. Ces valeurs, à force de répétition, deviendront une partie essentielle de l’ensemble des droits sans avoir à y être indiquées. Certainement, on peut supposer  que, pour arriver à ce stade, il faudra un travail de longue haleine qui nécessitera la patience et la volonté ferme de plus d’une génération.
Dans l’administration publique marocaine, on ne peut pas nier qu’il existe un phénomène plus ou moins large de manquement aux valeurs dans la Fonction publique. Sans généraliser, il faut admettre qu’il existe dans une proportion différente selon les différentes institutions de l’État.
C’est un phénomène qui se révèle dans plusieurs directions. Les exemples sont nombreux, mais juste pour la clarification, on n’en retiendra que deux.
 
Mauvais accueil
Les usagers de l’administration  publique déplorent très souvent le mauvais accueil au niveau des services des organisations publiques. Il est parfois difficile, arrivé dans le service en question, de savoir quelle est la bonne personne pour répondre à ses demandes. On passe trop de temps à tourner en rond avant de voir l’agent en question qui vous répond : «Qu’est-ce que vous voulez, je suis pressé». Il vous servira toutes les excuses pour vous décourager et vous renvoyer pour une autre fois. Le harcèlement est une chose courante, pour intimider le citoyen. Il vous dira tous les problèmes de l’organisation avant d’accéder à votre dossier, comme si vous étiez le responsable de cette situation. 
 
La corruption
Au niveau de la corruption, personne n’oublie le fameux rapport de la Banque mondiale publié en 1995 et qui a consacré une grande partie à la corruption ; il a considéré que la corruption est devenue une réalité ou plutôt une économie parallèle.
Il n’est pas obligatoire  de revenir au contenu de ce rapport que l’on ne peut malheureusement pas nier. Le vécu quotidien et ce que les usagers de l’administration publique marocaine n’ont jamais cessé de dénoncer confirment l’existence de ce phénomène et son ampleur qui ne peuvent être ignorées que par une personne qui ne veut rien voir. Beaucoup d’agents chercheront à soutirer de l’argent aux usagers, les expressions du genre «Laisse de quoi prendre un café» vous seront servies pour vous inciter à laisser un pourboire afin d’accélérer le traitement de votre demande. A défaut de ce geste, votre dossier sera retardé ou même perdu dans la paperasse administrative. Tout le monde est au courant de cette pratique, tout le monde la dénonce, mais aucune décision sérieuse n’est prise pour y mettre un terme. Ça devient même institutionnalisé et traité comme un moyen pour les agents de la Fonction publique de bonifier son salaire. 
Au niveau des recommandations, Il n’est pas évident de citer  tout ce qui constitue des actions et mesures pouvant réduire un ensemble de pratiques fort enracinées dans l’administration publique marocaine. Cela nécessitera des études et des recherches par des spécialistes en la matière. Cependant, on peut proposer quelques actions permettant de réduire le mal.
 
Action 1 : redéfinir la mission de la fonction publique.
Un des préalables à toute action, les activités des administrations publiques devront être plus visibles et connues de tous surtout pour les agents qui travaillent dans ces structures. Les agents devront savoir la mission et les objectifs dont ils ont pour mandat à réaliser.
 
Action2 : Rendre le travail intéressant.
Même si cette action peut vicier le cadre du travail, car les syndicats peuvent demander des augmentations de salaires et de plus de formation, il reste évident que le travail des agents dans la Fonction publique est à revoir et à améliorer pour le rendre noble aux yeux de celui qui l’exécute ; il faudra donner plus d’autonomie et de responsabilité aux agents et enrichir leurs tâches en leur ajoutant des fonctions de planification, d’organisation et de contrôle. La contrepartie sera de mettre en place des mécanismes pour les rendre imputables et garantir la transparence.
 
Action 3: Amélioration des revenus des agents.
Dans un pays où le niveau de vie est bas, nous pouvons préconiser une amélioration du niveau de traitement salarial des agents de l’administration publique marocaine pour leur permettre de faire face à la cherté de la vie. Les options possibles :
- indexer les salaires au coût de la vie ;
- subventionner des politiques d’accès au logement ;
- garantir l’accès aux services de santé et d’éducation pour leur famille ;
- faciliter l’accès au crédit en mettant en place des mutuelles de crédits avec des taux d’intérêt bas.
 
Action 4 : Déclaration des revenus et biens
L’une des mesures efficaces pour conserver l’intégrité de l’administration publique est de remplir annuellement, par tous les agents de la Fonction publique des formulaires faisant état de leurs biens et revenus. Cette déclaration ne comptera pas toutes les informations nécessaires pour les agents acceptant «un café». À ce moment, ils seront forcés par l’auditeur général de dévoiler leurs situations financières.
Enfin, les actions proposées cherchent à rendre l’administration publique marocaine performante et professionnelle. Elles ne seront efficaces que si une politique de modernisation globale de l’administration publique est mise en œuvre. Seule une approche concertée et impliquant tous les acteurs de la Fonction publique (employés et gestionnaires)  peut garantir la réussite d’une telle initiative.
 
*Doctorat en droit public 
à l’Université  Hassan II
 - Ain-Chock
Maîtrise en management 
public à l’Ecole nationale
de l’administration publique (ENAP) 
de l’Université du 
Québec- Canada


Lu 1129 fois

Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.





services