Les poumons brûlés du dragon chinois


AFP
Mercredi 12 Juin 2013

Les poumons brûlés du dragon chinois
Quand la Chine s’est lancée à l’assaut de l’hyper-croissance économique, ils ont été 200 à quitter la douceur bucolique du village de Shuangxi (centre) pour aller bâtir gratte-ciel et cités nouvelles. Aujourd’hui, un quart d’entre eux sont morts, les poumons ravagés par les poussières avalées, et une centaine d’autres attendent de mourir.
De retour chez lui, au milieu des rizières et des collines arborées, Xu Zuoqing fait quelques pas devant sa maison, le visage grimaçant de douleur sous l’effort. Tandis qu’il cherche à reprendre son souffle, sa femme se précipite pour lui apporter un tabouret.
“C’est comme si mes poumons s’étaient colmatés... J’ai la poitrine tellement serrée”, dit cet homme de 44 ans, dont 15 ans passés sur les chantiers.
“J’aimerais juste pouvoir mourir sans souffrir... enfin, je préférerais ne pas avoir à mourir”.
En un peu plus de 30 ans, la Chine a conquis la deuxième place sur le podium économique mondial, tirée par une croissance forcenée de quelque 10% l’an. Elle y est parvenue grâce à l’immense réservoir de main-d’oeuvre à bon marché fournie par 230 millions de ruraux en excédent dans les campagnes, les “travailleurs migrants”, les “mingong”.
Mais les normes de sécurité, quand elles existent, sont le plus souvent restées lettre morte: les experts estiment maintenant que des millions de Chinois sont atteints de pneumoconioses, maladies incurables des poumons dont souffre Xu, parmi lesquelles la silicose des mineurs et l’asbestose des travailleurs de l’amiante.
Les statistiques officielles chinoises en recensent 676.541 cas, soit 90% des maladies professionnelles. Mais les ONG en totalisent six millions, dont plus d’un million seraient déjà décédés.
Les pneumoconioses peuvent demeurer indétectées durant des années, tant et si bien que les ouvriers des mines, des carrières, des usines et autres chantiers y restent jusqu’à ce qu’ils ne peuvent plus travailler, puis marcher et, bientôt, respirer.
La maladie prive ces familles rurales d’un gagne-pain, au moment où elles vont devoir payer les factures salées de soins médicaux: l’Etat chinois ne couvre que les soins basiques et les entreprises offrent rarement des indemnités pour les maladies professionnelles.
“Vous pouvez retarder les progrès de la maladie par certains médicaments et traitements, mais, fondamentalement, vous êtes condamné à mort”, explique Geoff Crothall, porte-parole du China Labour Bulletin, une ONG basée à Hong Kong qui défend les droits des salariés chinois.
“Trois à quatre générations sont affectées par la perte de la principale source de revenus de la famille. Et souvent, ce n’est pas qu’un membre de la famille, dans bien des cas, vous avez les pères, les frères, les oncles et les cousins qui sont affectés”.
Les quelques centaines de familles de Shuangxi, dans la province du Hunan (centre), sont presque toutes touchées. Et les malades meurent les uns après les autres, inexorablement.
Il y a la mère qui a perdu quatre de ses cinq fils. Les deux frères décédés. Celui qui n’en pouvait plus et a mis fin à ses jours le mois dernier, d’une surdose de médicaments.
Le frère de Xu est mort en février, laissant ses enfants de cinq et douze ans à la garde de la grand-mère.
Xu se ronge les sangs pour les siens, âgés de dix et douze ans. “J’espère qu’ils termineront l’école”, dit-il dans un souffle, “qu’ils grandiront vite”.
La destination préférée des hommes de Shuangxi était Shenzhen, la ville-phare du boom économique, aux portes de Hong Kong. Là-bas, ils travaillaient sur les foreuses dans les tourbillons de poussière avant que les dynamiteurs ne placent les explosifs de chantier pour creuser les fondations. Avec pour seule protection des masques à trois sous.
Le danger mortel qui les guettait n’est apparu qu’à la fin des années 2000, quand, les uns après les autres, ils sont devenus trop faibles pour travailler et que le premier est mort.


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